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Quand l’Université annule un colloque sur l’islamophobie : une mécanique de censure - Antoine Lévêque, Blog de Médiapart, 4 octobre 2017
mercredi 4 octobre 2017, par
Quelle surprise lorsque nous apprenons, ce mardi 3 octobre, l’annulation d’un colloque à l’Université Lumière Lyon 2, auquel nous comptions nous rendre, autour du thème : “Lutter contre l’islamophobie, un enjeu d’égalité ?”. Cette décision semble donner raison aux prises de positions qui, derrière la mise en cause des participants, dénient l’enjeu de lutte contre l’islamophobie.
Derrière la journée d’études et de débats se cacherait une entreprise “islamiste” et “antirépublicaine”, à la recherche d’une “caution scientifique”.
L’événement est pourtant semblable à bien des manifestations organisées à l’université en rassemblant des universitaires issus de diverses disciplines (science politique, sociologie, sciences économiques…), des associations intervenant dans le champ en question, ou encore des responsables politiques.
Que reproche-t-on exactement à la tenue d’un tel colloque ? Qui en sont les “pourfendeurs” ? Il semble, une fois n’est pas coutume, que la discussion autour de l’islamophobie souffre de la mobilisation de quelques personnalités, journalistes, et de quelques associations s’étant auto-revendiqués défenseurs d’une conception de la république bien particulière. Lorsqu’un tel réseau obtient de la part d’une université l’annulation d’un débat, c’est plus largement plusieurs piliers démocratiques qui sont mis en danger : la libre expression des associations d’une part, l’université et le débat scientifique d’autre part. Retour sur une dynamique de censure autour du fait “islamophobe”.
Une entreprise “islamiste” et “antirépublicaine” dans les murs de l’université ?
Dans un article publié sur le Figaro.fr le 28 septembre dernier, Céline Pina, essayiste et ancienne élue locale socialiste relayée fréquemment dans différents médias (Le Point, Marianne, LCI, Bourdin direct, La Règle du jeu…) se fait lanceuse d’alerte en dénonçant la tenue du colloque. Participants et organisateurs seraient issus d’une “nébuleuse islamiste et indigéniste” en quête de “caution universitaire”.
En cause donc, la participation au colloque d’un certain nombre d’associations et collectifs jugés controversés, citons pêle-mêle le CCIF (Collectif contre l’islamophobie), l’EMF (Étudiants Musulmans de France), la CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie)... Signalons avant toute chose que le colloque est organisé par la chaire “Égalité, inégalités et discriminations” de l’université Lyon 2 et l’Institut des Etudes du Travail de Lyon (IETL) et par l’Institut Supérieur d’Étude des Religions et de la laïcité (ISERL). Il s’inscrit donc dans les travaux de recherche portés par ces structures, mais également dans un débat citoyen portant sur les inégalités et discriminations. Comme indiqué sur le programme du colloque : “La société française est amenée à s’interroger : au-delà d’un développement de l’islamophobie, la persistance d’inégalités, l’ampleur des discriminations, la remise en débat de mesures portant atteinte aux droits des femmes, les incitations à la haine, l’essor de manifestations homophobes ou d’actes racistes et antisémites interpellent les citoyen.nes quant aux conditions d’exercice du vivre et de l’agir ensemble dans le respect de l’altérité. Ces enjeux sont au coeur même de la notion de laïcité. Le monde universitaire, dans toutes ses composantes, est concerné au premier chef, tant dans son fonctionnement, dans l’égalité d’accès au savoir que dans la recherche. Cette articulation entre le militantisme pour les droits humains et la réflexion universitaire vient montrer que les phénomènes qui préoccupent la société font écho à l’intérêt porté par l’université aux problématiques sociales. Il n’existe pas de cloisonnement hermétique entre ces deux mondes qui au contraire se complètent pour la construction d’une collectivité responsable et citoyenne.”
Bien évidemment, aucune des organisations participantes ne souffre d’interdiction légale quelconque. Céline Pina les incrimine au nom de liens supposés de certains intervenants à des groupes comme les frères musulmans, ou - réactivant des figures diabolisées - à des individus comme Tariq Ramadan.
On pourrait en rester là : invoquer des connivences entre des intervenants et des groupes soi-disant controversés est-il une raison valable pour faire taire les débats ? À plus forte raison, lorsque ces derniers sont encadrés par des universitaires travaillant précisément sur les thématiques sur lesquelles interviennent les associations ?
Mais la confusion générale semée dans la tribune de Céline Pina mérite que l’on s’y attarde un instant. Tous les critères semblent bons pour faire taire le débat.
On invoque ici les dispositifs issus de l’état d’urgence, en l’occurrence la constitution d’un fichier “S” pour le président de la CRI. Sans doute le dispositif n’allait-il pas assez loin, que Céline Pina réclame désormais l’interdiction pour un fiché S de pouvoir s’exprimer lors d’un colloque. Fort heureusement, juridiquement, un fiché “S” garde le droit de s’exprimer.
On évoque, sans la moindre administration de la preuve, des liens entre les frères musulmans et le CCIF, quand bien même le collectif l’a toujours démenti et ne cesse de revendiquer son attachement aux principes de la loi de 1905 sur la laïcité. Rappelons que celui-ci, à travers les statistiques qu’il constitue, et l’un des rares organismes permettant de prendre la mesure des actes islamophobes et qu’il est à cet égard consulté par de nombreuses institutions publiques ou par des travaux de recherche, au grand damne de ses détracteurs.
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