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Pour le maintien du colloque « Lutter contre l’islamophobie : un enjeu d’égalité ? » - Blog de Médiapart, 11 octobre 2017
jeudi 12 octobre 2017
C’est « une atteinte aux fondements même de nos universités, de la production de nos savoirs et de la démocratie ». Suite à l’interdiction du colloque sur la lutte contre l’islamophobie organisé par la Chaire Égalité, Inégalités et Discriminations de Lyon 2, des universitaires engagé-e-s dans la recherche académique sur les discriminations et les inégalités exigent le « maintien sans condition » du colloque.
« Toujours un groupe plus fort vise, soit à cause de sa religion, de la couleur de peau, de sa race, son origine, son idéal social ou de ses conceptions philosophiques, un groupe plus petit et plus faible sur lequel il se hâte de décharger les forces destructrices qui sommeillent en lui. » Conscience contre violence, 1936, Stefan Zweig
Suite à l’interdiction d’un colloque universitaire sur la lutte contre l’islamophobie organisé par la Chaire Égalité, Inégalités et Discriminations de l’Université Lumière Lyon 2, nous, engagé-e-s dans la recherche académique sur les discriminations et les inégalités, n’acceptons pas cette atteinte grave à notre liberté de penser le monde social avec celles et ceux qui le font.
Une chaire unique en France
L’existence de la chaire Égalité, Inégalités et Discriminations est pourtant un signe de vitalité incontestable de la recherche française, comme les initiatives sur les études de genre ou l’intersectionalité ailleurs. Forte de son existence développée sous quatre présidences et reconnue pour son expérience et ses compétences par la présidence actuelle de l’Université Lumière Lyon 2 [1], elle a été sollicitée pour l’organisation d’un colloque sur l’islamophobie. Ce colloque avait pour but de rassembler chercheur-e-s et membres de la société civile pour en interroger les contours tant théoriques qu’empiriques. Nous revendiquons en effet une recherche moderne qui se fait avec les personnes concerné-e-s - en l’occurrence des associations de lutte contre l’islamophobie - à qui nous donnons la légitimité d’exprimer une expertise acquise dans l’expérience sociale du racisme vécu par leurs membres.
Co-produire la connaissance avec les « concerné-e-s »
Si la production de la connaissance ne peut ignorer ces voix, certain-e-s pourtant, vantent encore les mérites des « comités scientifiques » comme garde-fou de l’entre-soi académique. À l’heure de la « co-production des savoirs », ils apparaissent comme la dernière manière d’enfermer la recherche dans une tour d’ivoire, loin de l’épreuve des réalités sociales. L’histoire des discriminations et des inégalités nous enseigne que ce sont en premier lieu les personnes qui les subissent qui ont construit les outils conceptuels qui ont facilité la déconstruction de ces faits sociaux. Réfléchir et penser "avec" ne signifie pas pour autant partager des agendas politiques : notre rôle s’arrête là. L’annulation d’une manifestation universitaire sur l’islamophobie aura le mérite d’offrir à de futur-e-s doctorant-e-s l’illustration de la tentative d’invisibilisation des luttes des groupes dominés par des institutions dites "démocratiques", "autonomes", et "indépendantes".
L’université touchée dans ses fondements
C’est pourquoi, nous souhaitons ré-affirmer ici la liberté intellectuelle de concevoir nos espaces de recherche. L’université est pour nous l’agora où il n’est ni de paroles ni de personnes interdites autres que celles contenues dans les limites fixées par la loi. Cet espace d’expression, de construction des savoirs, d’opposition critique, de dissensus et de conflictualité, est le lieu de rassemblement démocratique des paroles et des écrits. La censure n’y a donc aucune place. Elle est une atteinte aux fondements même de nos universités, de la production de nos savoirs et de la démocratie.
Pour une recherche critique
Les sciences sociales - plus particulièrement la sociologie - sont devenues la cible, notamment, des discours racistes et islamophobes. On l’a décrite tantôt comme une « excuse » [2] aux terroristes complices de « l’islamisme » [3] pour les un-e-s ou un « danger » [4]pour d’autres. Face au grotesque et à l’outrance, nous garderons le cap serein d’une recherche critique, conscient-e-s que l’espace social n’est pas neutre et que des rapports de pouvoir et de dominations s’y jouent.
L’ordre social raciste est-il inattaquable ?
Nous avons bien mesuré qu’étudier les discriminations et les inégalités dans le cadre français d’un universalisme républicain abstrait, c’est subvertir et remettre en question un ordre social, assis sur des dominations dont le caractère indicible leur permet de mieux perdurer. Mais n’est-ce pas là justement le rôle émancipateur de la recherche, dès lors qu’elle est faite avec les personnes concernées, de révéler par l’étude méthodique ces rapports de domination qui écrasent nos relations ?
Pour lire la fin et voir la liste des premiers signataires
[1] Prise de parole du Vice-Président en charge de la vie citoyenne et de l’égalité sur la Chaire : http://www.univ-lyon2.fr/culture-savoirs/podcasts/la-reunion-des-annees-1960-1970-emigration-deportation-et-controle-des-naissances-732706.kjsp?RH=podcasts&ksession=3ce30375-2e61-4357-bc63-c537d18dc770
[2] Manuel Valls sur les attentats du 13 novembre : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses...sociologiques »
[3] Céline Pina dans une tribune du journal Le figaro le 29 septembre 2017.
[4] Gérald Bronner, Le danger sociologique.