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"Valérie Pécresse veut creuser les écarts de rémunérations entre scientifiques", par Sylvestre Huet, journaliste à "Libération" (28 octobre)
jeudi 30 octobre 2008, par
Pour lire ce texte sur le blog de Sylvestre Huet, sciences² sur le site de "Libération".
Un sérieux coup de pouce pour tous les maîtres de conférence nouvellement embauchés, et pour le reste, des primes. C’est le "plan carrières" de Valérie Pécresse, annoncé le lundi 20 octobre et sur lequel elle revient en détail dans une interview qu’elle m’a accordée (lire ci-dessous).
Habilement, ce plan mélange des mesures générales réclamées depuis des années et la mise en oeuvre volontariste d’une politique visant à accroître les différentiels entre individus, censée récompenser le "mérite" et ainsi booster "l’excellence", pédagogique, scientifique et administrative.
L’habileté est toute politique. Rien n’obligeait à une quelconque simultanéité dans l’annonce, bien dans la manière d’une ministre désireuse de réussir à son poste tant en termes de résultats (la mise en oeuvres des réformes voulues par le Président de la République) que pour la suite de sa... carrière politique. Or, les dernières années l’ont montré, la réussite rue Descartes, le siège du ministère à Paris, exige sinon les applaudissements unanimes (mpossibles à réunir) mais au moins de maintenir la contestation dans des dimensions modestes. Ok pour subir les critiques syndicales, mais pas pour supporter une levée de boucliers trop massives dans les labos et les amphis.
Le détail des mesures indique bien cette volonté.
Désormais, le salaire d’embauche des maîtres de conférence sera aligné à celui des chargés de recherche (Cnrs, Inserm...). Cela en raison de la prise en compte des années de thèse et de post-doctorat comme "expérience professionnelle", une revendication ancienne des syndicats. Mine de rien, la hausse sera comprise entre 200 et 500 euros bruts. Et comme l’embauche se fait à un niveau supérieur, il y aura un effet "poussoir" sur les évolutions salariales des 10 ou 15 premières années de carrière. L’intérêt de cette mesure est qu’elle signifie, outre le bonus pour les portefeuilles, une meilleure considération de la société pour les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En revanche, l’ensemble des autres mesures relève d’une politique de la "prime". Scientifique, pédagogique, adminstrative... La "bonne" nouvelle, c’est que ces différents métiers sont considérés avec égalité. La prime d’excellence "pédagogique" est ainsi alignée sur sa soeur "scientifique" L’autre "bonne nouvelle", c’est que les montants peuvent atteindre des niveaux conséquents (15 000 euros). Voire très conséquents pour les "cadres" du système dont la ministre attend beaucoup : les présidents d’universités dont la prime atteindra 40 000 euros pour ceux qui dirigeront celles du "groupe-1". La "mauvaise" nouvelle consiste évidemment en ce que ces primes ne sont, par définition, pas pour tout le monde... et seront d’autant moins nombreuses qu’elles sont élevées.
Pour savoir quelles seront les véritables conséquences de cette politique, il reste donc à expertiser les volumes financiers en jeu afin de mesurer les conséquences de cette politique sur l’ensemble des rémunérations et le moyen terme. Si l’on se réfère à l’annonce ministérielle pour les trois prochaines années (252 millions d’ici 2011 pour l’ensemble des mesures du plan) on se retrouve avec un petit pourcentage de la masse salariale... de l’ordre de l’inflation. Autrement dit, si l’on poursuit la logique actuelle de la politique salariale dans la fonction publique, on aura, au final, une minorité de chercheurs et d’enseignants chercheurs qui verront leurs revenus croître au delà de l’inflation, et pour certains de manière vraiment conséquente... et une majorité dont les révenus réels n’augmenteront pas.
A cet égard il est intéressant de noter que Valérie Pécresse revendique clairement cette vision "plus individualisée" des rémunérations. Une vision qui doit soulever un débat chez les scientifiques et les universitaires, au delà des a priori idéologiques.
Dans quelle mesure les dimensions coopératives de leurs activités risquent d’en souffrir ? Dans quelle mesure la "surenchère salariale" menée par certains pays (Etats-Unis, Chine...) pour le brain drain des plus performants doit-il être combattu par les mêmes armes ? Dans quelle mesure les différences réelles de résultats doivent-ils être récompensés ?
Mais aussi, plus subtilement, dans quelle mesure une telle politique risque t-elle d’attirer tout le monde vers les thèmes à la mode, peu risqués et peu porteurs de ruptures scientifiques ou technologiques ? Alors que le Nobel de medecine vient d’être donné à Luc Montagner et Françoise Barré-Sinoussi pour la découverte du virus du sida en 1983 - c’est à dire un duo sur lequel personne (à l’époque) n’aurait parié un kopek pour un Nobel et un sujet jugé sans intérêt ou has been (à l’époque) tant par les reponsables politiques que par la majorité des scientifiques à de postes importants - la question vaut d’être posée.
L’excellence scientifique n’est pas seulement reconnue, la plupart du temps, "après" la découverte, mais l’importance sociale de cette dernière, elle aussi, n’estsouvent perçue qu’après le travail effectué et la rencontre entre les deux logiques (de la science et du besoin social) pas nécessairement prévue ni même prévisible... autrement dit : la reconnaissance de l’excellence arrive souvent... trop tard pour demander des crédits de recherche.
Lors de l’interview (lire ci dessous) j’ai demandé à Valérie Pécresse si "l’affaire Institut Universitaire de France", avec la nomination de personnes non choisie par le Jury, dont Michel Maffesoli, ne jetait pas une ombre sur la condition sine qua non d’une politique de "prime" : la méthode de sélection des récipiendaires. La ministre ayant réaffirmé qu’elle n’avait nommé que les personnes "retenues par ls sous-jurys", j’ai demandé au président du Jury, Elie Cohen de réagir :
Elie Cohen, président du jury de l’IUF, dément la ministre.
« Il n’y a jamais eu de listes supplémentaires retenues par les sous-jurys pour la promotion 2008 de l’Institut Universitaire de France », nous a déclaré Elie Cohen, président du Jury d’admission, en réaction à l’affirmation de Valérie Pécresse (ci-contre). L’économiste est toujours « scandalisé » par cette affaire révélée par un article que j’ai publié dans Libération le 6 octobre 2008 - la nomination de 22 personnes en plus de ceux choisis par le Jury - dont le sociologue Michel Maffésoli qui, affirme t-il « n’aurait jamais été retenu par le jury même s’il y avait eu plus de places. » Sa présence parmi les nominations ministérielles est donc « troublante », estime t-il, et pourrait constituer un des buts de l’opération. Il confirme que « la seule liste transmise et signée de mon nom comportait 90 noms. J’ai appris les nominations faites par la ministre de manière discrétionnaire après leur parution au journal officiel fin août, sans avoir été informé, ni sollicité pour soumettre une nouvelle liste ».
Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche détaille le « plan carrières » qu’elle a annoncé lundi 20 octobre.
Vous venez de présenter un plan pour les carrières des universitaires et des chercheurs, quelles en sont les mesures phares ?
Je voudrais surtout en souligner la philosophie d’ensemble. Notre première idée consiste à passer d’une gestion uniforme des ressources humaines, par des mesures indiciaires, à une vision plus individualisée qui tient compte de l’engagement professionnel des personnels. D’où notre décision de dégager une enveloppe de primes en forte croissance, comme celles destinées à récompenser l’excellence scientifique des chercheurs ou l’excellence pédagogique des enseignants du supérieur – les deux étant identiques en leurs montants, signe de l’égale dignité des deux activités à nos yeux. Le montant des primes pourra ainsi aller jusqu’à 15 000 euros par an, avec un plancher à 3500 euros. Nous avons tenu aussi à ce que des récipiendaire de distinctions scientifiques nationales ou internationales puissent bénéficier de cette prime d’un montant supérieur. Il faut bien prendre conscience de la compétition internationale pour attirer les meilleurs qui se traduit par une certaine surenchère salariale. Enfin, nous avons voulu aussi signifier l’importance des fonctions d’encadrement, avec la prime de charge administrative des présidents d’Universités qui passera de 18 000 à 25 000 et même 40 000 pour les plus importantes dans le cadre de la mise en œuvre de leur autonomie.
Vous mettez votre plan sous le signe de l’attractivité de ces carrières, comment cela se traduit-il ?
La deuxième idée de ce plan relève de la nécessité d’attirer et de garder les meilleurs pour l’enseignement supérieur et la recherche. En agissant sur trois périodes : le recrutement, la promotion aux grades supérieurs et la fin de carrière. Pour le recrutement, nous avons décidé d’intégrer les années de thèse et de post-doctorat dans la carrière ce qui entraîne mécaniquement une embauche à des salaires plus élevés comme maître de conférence, avec des hausses de 241 à 510 euros bruts par mois par rapport à la situation actuelle. Nous alignons ainsi les jeunes universitaires sur les conditions accordées aux jeunes chercheurs. Ensuite, nous allons augmenter la proportion de postes de directeur de recherche et de professeur relativement à ceux de chargé de recherche et de maître de conférence, ce qui permettra d’augmenter les taux d’encadrement et de promotions internes. Nous augmenterons aussi les taux de promotions de 10% pour le passage à la hors classe des maîtres de conférence, ce taux passera à 15% en 2009 et 20% en 2011. Enfin, le nombre de « classe exceptionnelle » sera aussi augmenté, afin de récompenser les efforts accomplis en fin de carrière (de 10 à 20% pour les professeurs d’ici 2011).
Vous voulez récompenser le mérite, mais comment le mesurer et par qui ?
Toute cette politique repose sur une évaluation des enseignants chercheurs et des chercheurs qui est collégiale, faite par les pairs et indépendante. Nous mettons en place un nouveau dispositif d’auto-évaluation par un dossier qui sera proposé par l’universitaire à son université qui fera aussi sa propre évaluation avec des règles du jeu transparentes. La Conférence des Présidents d’Universités doit se saisir de cette question pour mettre en place des guides de bonnes pratiques. Il y aura cette phase d’évaluation interne qui doit intégrer l’avis des étudiants quant au volet enseignement. Et pour garantir l’impartialité, le Comité National des Universités réalisera une évaluation globale, avec un avis sur le dossier qui sera transmis à l’université qui attribuera les primes et les promotions.
L’affaire de l’Institut Universitaire de France (le jury à protesté contre le manque de transparence des nominations) ne jette t-elle pas une ombre sur cette évaluation ?
Non, j’ai souhaité augmenter de 25% la promotion de l’IUF en intégrant tous les candidats retenus par les sous-jury en attendant la réforme qui en 2009 me permettra de doubler les effectifs de l’IUF. L’an prochain leur statut sera amélioré avec le versement d’une somme de 10 000 euros annuel. L’Institut ne doit plus être un service du ministère. Son accès doit se faire sur concours national. Il y avait un vide juridique sur les listes complémentaires qui explique le problème que vous soulevez, nous ne manquerons pas de prévoir la présence de telles listes dans le fonctionnement du jury. L’IUF doit être dans le prolongement des chaires mixtes université/organisme de recherche, au nombre de 130 pour 2009, qui permettent de recruter des jeunes très prometteurs pour l’Université mais en leur donnant le temps (par une décharge de service d’enseignement) et les moyens de leur recherche en début de carrière. L’Etat va désormais compenser aux Universités la perte d’heures d’enseignement que représente la décharge de service de ces chaires.
Propos recueillis par Sylvestre Huet