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Des enseignants s’opposent à la réforme des universités - Faïza Zerouala, Médiapart, 22 décembre 2017
vendredi 22 décembre 2017, par
Les enseignants sont restés discrets face au projet de loi d’accès à l’enseignement supérieur. Seulement, la mise en place d’attendus, ces compétences requises pour les futurs étudiants, divise dans les universités. Certains refusent d’appliquer un texte de loi qui n’est pas encore définitivement voté.
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Il s’agit peut-être d’un premier frémissement. Depuis quelques jours, plusieurs UFR d’universités ont voté des motions contre la réforme d’accès à l’enseignement supérieur. À Nanterre, Paris I, Aix-Marseille, Paris VIII, plusieurs enseignants ont fait part de leur opposition au nouveau système d’affectation à l’université qui repose, de fait, en partie sur leurs épaules. À Aix-Marseille par exemple, la motion votée en conseil d’administration par la quasi-totalité des membres du département d’histoire demande « le report du plan étudiant ». À leurs yeux, le « scénario envisagé suppose une surcharge de travail énorme et encore incalculable pour les enseignants du secondaire et du supérieur qui va alourdir nos tâches et dégrader nos conditions de travail et les conditions d’accueil des étudiants ».
À l’université de Nanterre, le conseil d’administration réclame des moyens pour soutenir l’effort supplémentaire engendré par la réforme. À Paris I, le département de science politique émet les mêmes réserves. L’université Paul-Valéry-Montpellier III « refuse de mettre en place la réforme de l’accès à l’université sans un investissement massif dans l’université » (lire ici les textes des différentes motions).
Il est vrai que la loi est passée sans contestation forte à l’Assemblée nationale (lire notre article sur le sujet). Les députés l’ont approuvée à une large majorité. L’objectif de la loi est de faciliter les affectations et corriger les défauts de la plateforme admission post-bac (APB). Cet été, des milliers de bacheliers s’étaient retrouvés sans affectation. L’autre volonté forte, martelée par le gouvernement, était de mettre fin au tirage au sort, en réalité marginal. Le Conseil d’État a par ailleurs annulé ce 22 décembre la circulaire du 24 avril 2017, mise en œuvre par la précédente équipe, qui autorisait cette pratique.
Si la réalité de ces dysfonctionnements est reconnue par les différents acteurs du supérieur, l’alternative choisie par Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, ne recueille pas l’unanimité.
Du côté des syndicats de l’enseignement supérieur, les positions sont variables. Le Snesup, syndicat majoritaire du supérieur, réclame dans un communiqué le retrait de ce texte « inégalitaire » et demande aux sénateurs de rejeter le projet de loi qu’ils auront à examiner les 8 et 9 février. Un appel à une coordination entre les organisations syndicales et les associations intéressées est aussi lancé afin de faire front commun contre la réforme.
Mathieu Brunet, enseignant en lettres modernes à l’université d’Aix-Marseille, qui siège par ailleurs au conseil d’UFR lettres, arts et sciences humaines, se souvient qu’en 2009, le mouvement de contestation contre la loi Pécresse instaurant l’autonomie des universités, a débuté de la même manière. « Les professeurs mobilisés s’étaient coordonnés dans des assemblées. Ils y débattaient, se fédéraient et fabriquaient les résistances. Aujourd’hui, bien sûr, les temps ne sont pas les mêmes. Peut-être y a-t-il davantage de résignation », analyse-t-il.
De leur côté, les organisations étudiantes sont presque muettes. La Fage, désormais majoritaire, approuve le dispositif, mais indique rester vigilante face à son application concrète. L’Unef s’y oppose, mais n’a plus d’espace politique pour porter la contestation. Les tentatives de mobiliser la jeunesse contre une loi qui la concerne ont pour le moment échoué.
Les choses s’organisent cependant peu à peu. Professeur à l’université Paris VIII et par ailleurs ex-président (en 2009) de l’association Sauvons l’université, Jean-Louis Fournel explique ne pas pouvoir se prononcer sur le futur : « Je suis incapable de dire s’il y a un mouvement massif. Depuis la loi Fioraso en 2013, c’est la première fois que ça bouge, et ça bouge y compris dans des universités rarement en pointe dans la contestation. Il reste difficile de prévoir la naissance d’un mouvement universitaire. À l’heure actuelle, les organisations étudiantes ont perdu de leur force, et peut-être de leur légitimité. L’Unef est mal en point, la Fage est jeune, pas toujours bien implantée et s’avère plus “Macron compatible”. Cela peut partir des lycéens qui, on le sait, s’enflamment vite. »
Le Snesup appelle à une forme de résistance et recommande « de ne pas participer à l’application anticipée et illégale du projet de loi et par conséquent de refuser de remonter les “attendus” et les dispositifs de contingentement ».
« Le ministère fait comme si les règles législatives n’étaient pas primordiales »
Plusieurs enseignants dénoncent la célérité avec laquelle le ministère entend introduire ce changement à l’université. Romain Pudal, sociologue au CNRS et membre de l’Association des sociologues enseignant-e-s du supérieur (ASES), a lancé avec d’autres membres une pétition qui a recueilli 2 180 signatures. Il confirme sentir que les choses commencent à bouger dans les universités. Il explique que dans un premier temps, certains enseignants, « submergés », se sont convertis à l’idée d’introduire une forme de sélection à l’université. Avant d’opérer un revirement lorsqu’ils ont réalisé qu’ils en seraient les acteurs et ont vu le contenu de ces attendus, « tellement flous ».
Mathieu Brunet s’élève lui aussi contre ces « prérequis », et estime que « le ministère fait comme si c’était déjà en application. Comme si les règles législatives n’étaient pas primordiales ». Plusieurs des personnes interrogées déplorent que cette réforme ne fasse pas plus débat, alors qu’elle introduit une modification réelle et profonde du mode d’accès en licence.
Son homologue de l’université Paris I Guillaume Mazeau, enseignant en histoire, partage le constat. « Notre seule capacité à faire quelque chose est de développer les liens avec des profs du secondaire qui vont mettre des avis favorables afin de ne pas sélectionner. Nous, on refuse de faire remonter les attendus. De fait, cette loi ne pourra pas être appliquée. » Jean-Louis Fournel imagine que plusieurs enseignants vont se saisir de ce levier pour se soustraire à l’injonction ministérielle : « C’est l’une des entourloupes de cette loi. On ne nous oblige à rien. Chaque université peut rajouter ses propres attendus. On nous délègue ainsi la responsabilité de la sélection. Le ministère pourra ensuite dire que ce n’est pas de sa faute si cela se passe mal, comme cela est probable avec une telle usine à gaz mise en place au pas de course. On nous accusera de ne pas avoir joué le jeu. »
Nicolas Schapira, enseignant d’histoire moderne à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, membre de l’association Sauvons l’université, explique qu’il est à l’heure actuelle matériellement impossible d’appliquer cette réforme car la « tâche est gigantesque ».
Tous racontent la lassitude des personnels d’université, sans cesse confrontés au manque de moyens. Guillaume Mazeau évoque pour sa part la démographie grandissante et cet afflux supplémentaire d’étudiants (39 000 en cette rentrée), ainsi que l’incapacité matérielle de l’université de gérer tous les dossiers de manière aussi personnalisée que le commande la réforme.
Au-delà de la philosophie initiale du texte, plusieurs enseignants soulignent que cette loi comporte des effets pervers. Jean-Louis Fournel pense qu’elle entraîne dans son sillage d’autres nouveautés. « La question est posée d’une façon qui relève de la manipulation pour pousser d’autres pions : le cadrage national des diplômes est menacé comme leur unicité. Les différences empiriques entre les formations et les établissements vont devenir systémiques (notamment entre les universités plus ou moins bien dotées). C’est ce qui est grave. On est un peu dans une situation où certaines universités vont pouvoir appliquer la logique des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). »
L’enseignant de Paris VIII n’est pas le seul à formuler cette analyse. Mathieu Brunet, d’Aix-Marseille, craint que le caractère national de l’enseignement supérieur et donc l’égalité territoriale ne soient sacrifiés dans cette réforme, à long terme. « Il ne se passera sans doute rien de radical cette année, mais la boîte de Pandore est ouverte. Les universités pourront dire qu’elles ne veulent que des lycéens de Terminale S qui ont 16 de moyenne et personne ne pourra rien faire. Voilà pourquoi on doit réfléchir à tous ces enjeux », conclut l’enseignant. Nicolas Schapira abonde dans ce sens : pour l’universitaire, la voie est toute tracée vers une hiérarchisation des établissements.
Jean-Louis Fournel craint qu’à terme d’autres verrous ne sautent, comme le cadrage national des diplômes, ou que les universités ne soient tentées d’augmenter leurs frais d’inscription pour des diplômes créés localement (de type bachelors). Et que cela ne débouche sur des cursus différenciés : « L’habileté suprême du gouvernement est de dire ne pas vouloir toucher au modèle traditionnel d’une université non sélective, et dont les diplômes et les frais d’inscription sont contrôlés nationalement. On va certes garder une partie de l’université libre, pas chère avec des diplômes nationaux. Et en dehors, il y aura une partie de l’université qui délivrera des diplômes particuliers, locaux et plus chers. »
La très forte et longue mobilisation de 2009 n’a pas débouché sur une victoire. Depuis, la lassitude et la résignation ont pu gagner les personnels des universités. Romain Pudal, de l’ASES, ne peut néanmoins s’empêcher de penser que « la rentrée de janvier va être tendue ». Ne serait-ce que parce qu’il imagine que les parents des élèves de Terminale vont se confronter à la réalité du dispositif et se heurter à des désillusions. D’autant plus qu’une réforme du baccalauréat est aussi engagée en parallèle, sous la férule du ministère de l’éducation nationale. Pour Romain Pudal, « tant que c’était fictif et présenté comme une simple réforme technique, ça allait. Mais là certains ne vont plus avoir de place, ou alors dans les facs moins prestigieuses. C’est terrible. C’est un changement de société complet ». D’ores et déjà, des assemblées générales sont prévues, dès la rentrée.