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Yves Clot : « L’institution compte sur les enseignants mais ne fait rien pour eux » - entretien par Sylvie Ducatteau, L’Humanité, 3 février 2018
mardi 6 février 2018, par
Entretien avec le chercheur et professeur en psychologie du travail qui accompagne une recherche-action du SNUipp-FSU consacrée au métier de professeur des écoles.
Pour lire cet entretien sur le site de L’Humanité
Le SNUipp vous a sollicité pour conduire une recherche sur les pratiques professionnelles des professeurs des écoles et pour comprendre les raisons d’un malaise qu’ils partagent massivement. Ne pensez-vous pas que le niveau des salaires des enseignants, selon une récente enquête sur les préoccupations des enseignants, ils sont 83% à se dire insatisfaits, n’est pas une explication essentielle ?
Yves Clot Le salaire est un symptôme. Il révèle la façon dont on regarde un métier et comment il se regarde. Concernant les enseignants, il en dit long sur la place qui leur est accordée dans la société, encensés quand on a besoin d’eux et mal rétribués pour ce grand besoin social exprimé au moment des drames nationaux que nous venons de vivre. Mais d’autres signes peuvent expliquer la profondeur du malaise. 80 % des enseignants sont fiers de leur métier mais les ¾ se sentent impuissants à assurer la réussite de tous les élèves. Un tel mélange de sentiments contradictoires constitue un cocktail explosif. On parle d’une fierté rentrée, ravalée, contrariée, avortée. L’institution joue avec la fierté des enseignants. Elle compte sur eux mais ne fait rien pour eux, ne les écoute pas. La qualité du travail est sacrifiée, beaucoup d’énergie est sacrifiée.
Vous insistez sur la question du professionnalisme, de la conscience professionnelle…
Yves Clot Faire un travail que l’on aimerait faire correctement mais qui reste « ni fait ni à faire » bien qu’on sache comment le faire correctement est ravageur. La dignité professionnelle est un facteur de santé et d’efficacité. S’y joue également la reconnaissance. Etre reconnu, pas seulement par quelqu’un, son directeur, son inspecteur mais se reconnaitre soi-même dans une histoire commune, des valeurs, une technique tout ce qui fait justement le métier.
Sur quoi se fonde un métier ?
Yves Clot Il est fondé sur quatre choses en même temps et c’est un conflit. Un conflit de critères. Un métier est à la fois très personnel, même intime pour un enseignant. Cela correspond à la capacité d’être seul, à prendre des décisions. Il est également interpersonnel. On partage des situations. Et trans-personnel. Cela se passe du côté de la mémoire, de l’histoire collective, qui vient de loin pour les enseignants, histoire des techniques, des valeurs au nom de quoi on fait les choses. Enfin, il est fondé sur un quatrième registre, impersonnel cette fois qui concerne la prescription, les procédures, les objectifs, l’organisation officielle du travail. La prescription ne doit pas être laissée aux prescripteurs sinon cela revient à de la subordination L’un des drames du travail contemporain résulte du fait que les gens ont beaucoup de responsabilités dans l’exercice de leur travail mais très peu de droits pour décider de l’objet et du contenu de leur travail. Le milieu enseignant n’est pas à l’abri de ce phénomène.
Les enseignants se plaignent de leur charge de travail, de leur isolement. Ils désirent travailler plus collectivement. Dans vos travaux de recherche sur le travail vous insistez sur les vertus du travail collectif…
Yves Clot La première fonction du collectif est psychologique. Travailler collectivement permet d’insuffler du collectif en soi. C’est une ressource intérieure. « Je me sers de la gamme des possibilités que recèlent mes collègues et je la mets en moi ». Le collectif renforce les capacités de l’enseignant à travailler seul. La controverse, ce que je nomme « le conflit de critères », est une véritable ressource notamment en matière de pratiques professionnelles. Un désaccord professionnel bien instruit permet d’analyser en profondeur ce que l’on ne voit pas spontanément. La fonction psychologique du collectif renforce l’efficacité. Mais le collectif a également une fonction sociale. Il est utile pour l’ensemble de l’institution pour décider de l’organisation du travail, ses contenus, ses finalités.
A ce propos vous préconisez une réforme de l’inspection d’ailleurs souhaitée par la majorité des enseignants qui la juge infantilisante et inutile en l’état.
Yves Clot On peut comprendre cette réaction. Dans la plupart des cas, l’inspecteur rencontre l’enseignant pour l’évaluer. L’inspection institue de fait un rapport de subordination au détriment d’une démarche de coopération même conflictuelle. C’est d’autant plus dommage que l’inspection se déroulant dans la classe, pendant la classe, et dans l’école, offre un cadre collectif qui pourrait permettre de construire le débat d’école sur le réel. Mais cela impose de la transformer.