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La nausée : lettre à E. - Yann Bisiou, Le Sup en maintenance, 5 septembre 2018
jeudi 6 septembre 2018, par
« Le râle de la gorge s’éteignit, et un dernier haut-le-cœur jeta sur la nappe un petit tas de boue sanglante » (Bernanos)
À lire ici.
Cher E., président d’une université où j’ai aimé enseigner et d’une commission juridique,
On se connaît depuis longtemps, je te tutoierai donc. J’ai lu, puis relu, ta tribune sur Parcoursup parue dans un grand quotidien [1] . Et j’ai eu un haut-le-cœur. Deux fois.
Faible avec les forts, fort avec les faibles, tu réclames la clémence pour Parcoursup pour mieux la refuser aux lycéennes et aux lycéens. C’est elle, c’est lui, le coupable du désastre, lui qui est atteint du « syndrome du collectionneur », elle qui « séquestre des places » ; égoïstement.
Zélé, tu te fais procureur et propose la sentence à la ministre : hiérarchiser les propositions après le bac. Plus de vœux, plus de choix, plus d’espoir. À prendre ou à laisser, et s’il le faut, qu’il joue sa formation aux dés !
Tout y passe, mensonges, amalgames, démagogie, hypocrisie. Mensonge quand tu tires de l’annulation par le Conseil d’État de la circulaire sur le tirage au sort la nécessité de réformer APB alors qu’il pouvait y être répondu par une modification de la loi et/ou un financement suffisant des universités permettant de ne recourir au tirage au sort « qu’à titre exceptionnel pour départager un nombre limité de candidats » (considérant n°4). Amalgames quand tu associes les « soubresauts d’APB 2017 » et les images d’amphis saturés, ou quand « informer » les étudiants dérive sur leur « classement ». Démagogie quand tu invoques les mânes de la CNIL alors que tu sais parfaitement que l’exigence d’une intervention humaine pouvait résulter de la délibération d’un jury. Hypocrisie enfin à s’émouvoir du tirage au sort avec APB, sans constater que le classement des voeux en descendant 3 chiffres après la virgule revient à instaurer une forme de tirage au sort déguisé.
Mais le pire est certainement dans les omissions. Ainsi, à te lire, la vocation d’une université se limiterait à « donner les gages d’une insertion satisfaisante » ? C’est ça ton ambition de président d’université ? Faut-il te les rappeler ces missions de l’université ? La formation, la recherche scientifique et technologique, la diffusion de la culture humaniste, la participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche, la coopération internationale... Et même quand il évoque l’insertion professionnelle, l’article L123-3 du code de l’éducation l’associe à l’orientation et à la promotion sociale.
C’est vrai, je le concède, ce discours on le connaît. Mais c’était auparavant l’apanage des Think-tanks ou de certaines personnalités politiques. Les premiers rejetaient sur l’AUTRE qui n’avait pas su "s’approprier la réforme", la responsabilité de leur échec. Les seconds justifiaient, plus simplement, l’injustifiable, les retraités qui pouvaient bien faire un effort, les médecins qui prescrivaient trop d’arrêts-maladie, ou les français, gaulois réfractaires au changement.
Mais tu es enseignant-chercheur, juriste de surcroît et je ne comprends pas. Comment peut-on renoncer ainsi à tout esprit critique ? Quelle cause vaut de fouler aux pieds ce qui constitue le socle de notre contribution au service public ? Crois-tu vraiment servir l’enseignement supérieur en défendant, au prix de tous les renoncements, un dispositif dont les effets s’avèrent plus néfastes que le le dispositif honni qu’il a remplacé ?
À y bien réfléchir, je crois que je préfère ne pas connaître ta réponse.
y.