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« La réforme des programmes est une mascarade » - entretien avec Denis Paget, Alternatives économiques, 30 octobre 2018
mercredi 31 octobre 2018, par
Démissions en série, prises de position véhémentes de sa présidente, refus d’audition par plusieurs organisations enseignantes… Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) est dans la tourmente. L’instance a pourtant du pain sur la planche : ses membres travaillent depuis le mois de juin à la refonte des programmes scolaires du lycée, dans le cadre de la réforme en cours du baccalauréat, et doit remettre ses conclusions en décembre. Denis Paget, professeur de Lettres, ancien secrétaire général du Snes (Syndicat national des enseignements du second degré) et membre du CSP dont le mandat est arrivé à terme en 2018, nous donne son point de vue sur les raisons de ce malaise.
Le mode de fonctionnement et la gouvernance du Conseil supérieur des programmes (CSP), chargée de concevoir les nouveaux programmes du lycée d’ici décembre, fait actuellement débat. Comment est organisée cette instance ?
Le Conseil supérieur des programmes (CSP), créé en 2013 par la loi Peillon, est une organisation originale dans sa définition puisqu’il fait cohabiter des élus et des personnalités qualifiées. Sa mission est de fabriquer des projets de programmes scolaires en créant un consensus. Mais se pose la question de son indépendance par rapport au politique et au cabinet du ministre de l’Education nationale. En théorie il dispose en effet d’une indépendance et d’une autonomie relative puisque cette instance n’est pas inscrite dans l’Education nationale comme l’est l’Inspection générale qui avait pour fonction de fabriquer l’ensemble des programmes scolaires jusqu’en 1989.
La loi Jospin de 1989 a séparé les fonctions de fabrication et d’évaluation des programmes car il est difficile d’être à la fois prescripteur et évaluateur : on arrivait en effet ainsi à des situations absurdes où les inspecteurs contrôlaient eux-mêmes l’application des programmes qu’ils avaient conçus, ils estimaient donc toujours que s’il y avait des problèmes, c’était de la faute des enseignants ! En conséquence la loi de 1989 avait créé un Conseil national des programmes qui donnait des avis mais n’avait pas la responsabilité d’écrire les projets de programmes. Jusqu’en 2013 ce sont des groupes d’experts dépendant de la direction de l’enseignement scolaire, et présidés par des universitaires et/ou des inspecteurs généraux qui en ont assumé la rédaction. En 2005, le socle commun a été voté pour la première fois par l’Assemblée Nationale.
La loi Peillon de 2013 a donc innové en montrant que les programmes scolaires ne devaient pas seulement être ceux des ministres et de l’Education nationale mais que la nation pouvait avoir quelque chose à dire sur eux. C’est pourquoi il a mélangé, en créant le CSP, des élus, des personnalités qualifiées diverses et donné à ce conseil de grandes responsabilités sur la fabrication des programmes mais aussi sur l’évaluation et la formation des maîtres.
D’où vient le problème, alors ?
Aujourd’hui le CSP est trop soumis à la commande des ministres successifs de l’Éducation, dont les calendriers sont incompatibles avec son fonctionnement. Ses membres n’ont pas le temps de réfléchir sereinement à des programmes qui sont pourtant censés durer le temps d’une scolarité complète. Le CSP est en quelque sorte victime de l’instauration du quinquennat, mais aussi de la faible durée des portefeuilles ministériels à l’Éducation Nationale : trois ministres sous Hollande, trois sous Sarkozy, trois sous Chirac… Ainsi, depuis le début des années 2000, nous assistons à une valse permanente des programmes, qui perturbe la tâche des enseignants.
Cela n’a-t-il pas changé avec Jean-Michel Blanquer ?
Non. L’actuel ministre de l’Education Nationale avait certes promis qu’il ne changerait plus ceux du primaire et du collège : ils ont pourtant été récemment réformés et accompagnés de centaines de pages de notes de service produites pour prescrire aux professeurs ce qu’ils doivent faire. Et aujourd’hui, dans le cadre de la réforme du lycée, la présidente du CSP, Souâd Ayada, a accepté les délais prescrits. Ses membres, dont je faisais encore partie jusqu’en octobre, ont donc commencé à travailler en juin, avec l’idée de finaliser leurs travaux en décembre, sachant que les vacances scolaires ont interrompu les possibilités de réunion.
Sans avoir pu se poser et se concerter réellement, il est difficile au CSP d’avoir une réflexion sur la globalité des programmes et les attentes des élèves. Quelle doit être la culture générale d’un élève à la sortie du lycée ? Une telle question aurait mérité une temporalité longue pour trouver une esquisse de réponse : on aurait pu par exemple discuter de l’introduction d’une spécialité sur les questions environnementales, de plus en plus présentes dans l’actualité qui aurait peut-être été plus utile qu’une spécialité de géopolitique.
Les membres du Conseil, soumis à l’urgence d’écrire les programmes, vivent un malaise qui s’est manifesté par des démissions. Le premier président Alain Boissinot a démissionné parce qu’il pensait que le conseil n’était pas outillé pour remplir correctement sa mission. Michel Lussault, qui occupait cette fonction avant Souâd Ayada a dû attendre des mois que le nouveau Ministre qui ne croyait pas au CSP veuille bien le recevoir. Ce mépris l’a conduit aussi à une démission. Jean-Michel Blanquer a finalement relancé le CSP pour la réforme du lycée mais il l’a vidé d’une partie de ses capacités en supprimant tous les spécialistes de l’éducation et ceux qui ont une expérience concrète et récente de l’enseignement scolaire. En nommant des représentants des grandes écoles ou des Chambres de commerce, il est clair que l’idée est de faire du lycée l’endroit où l’on va trier les élèves pour l’université. Le temps accordé au CSP aboutit à une véritable mascarade : en 3 semaines boucler 82 projets de programmes qui ne sont pas même diffusés à l’avance aux membres du CSP.
Quels sont les contenus qui font débat ?
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