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Les lycéens entrent à leur tour dans la danse de la contestation - Lenaïg Bredoux et Faïza Zerouala, Médiapart, 3 décembre 2018
mardi 4 décembre 2018, par
Plus d’une centaine de lycées ont été perturbés lundi. L’organisation UNL, rejointe par la FIDL et le SGL, avait appelé les jeunes à se mobiliser contre les réformes du baccalauréat, du lycée et de Parcoursup. Pour le moment, la stratégie de convergence avec les « gilets jaunes » n’est pas définie.
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Ils sont la hantise de tout pouvoir en place. Les lycéens entrent à leur tour dans la danse de la révolte qui secoue le pays depuis trois semaines. Par essence, ces mouvements sont imprévisibles et incontrôlables. Il est encore difficile de savoir si l’élan des « gilets jaunes » sera suffisamment puissant pour rebondir jusqu’à la jeunesse. Mais quelque chose se met en branle.
Ce matin du 3 décembre, selon le ministère de l’éducation, de « cent à cent cinquante » lycées ont été bloqués, partiellement ou totalement, partout en France à l’appel des différentes organisations lycéennes : SGL, FIDL et UNL. Déjà, vendredi 30 novembre, une trentaine d’établissements avaient connu le même sort, selon le ministère de l’éducation nationale.
D’après les premières remontées des rectorats, parmi les académies les plus touchées figurent celles de Toulouse – une quarantaine d’établissements perturbés – et Créteil – une vingtaine d’établissements bloqués. L’UNL annonce dans un communiqué que 300 lycées ont été bloqués dans toute la France, « soit approximativement 100 000 lycéen.ne.s dans la rue ».
En tout début de matinée lundi, plusieurs dizaines de jeunes ont bloqué l’accès au lycée professionnel Jean-Pierre-Timbaud d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) – essentiellement des garçons, très largement majoritaires dans cet établissement. Très vite, les poubelles ont été incendiées, plusieurs abribus dévastés, et une petite barricade a été dressée au milieu de l’avenue de la République avec ce que les jeunes ont trouvé dans l’espace public pour y mettre le feu : planches, poubelles, vieux coussins de canapé, jambes de mannequins pillées dans un magasin à quelques mètres de là, sapins de Noël volés dans une boutique de l’autre côté du carrefour.
Un véhicule de police et un camion de pompiers ont tenté d’intervenir, avant de rebrousser chemin face à l’hostilité de la petite foule (environ 150 personnes, très majoritairement non cagoulées). Les policiers, stationnés plus loin, ont attendu le milieu de matinée pour intervenir – entretemps, plusieurs magasins avaient été pillés et au moins une voiture incendiée.
Vendredi déjà, un groupe nettement moins important de lycéens (environ 50) avait bloqué l’entrée du lycée en mettant le feu aux poubelles poussées contre les grilles de l’établissement albertivillarien. Certains criaient alors « Révolution ». Lundi, à plusieurs reprises, les manifestants ont lancé, en groupe et en remontant l’avenue sur quelques mètres, « Macron démission » ou « Macron nique ta mère ».
Dans un communiqué, la maire d’Aubervilliers, la communiste Meriem Derkaoui, a appelé à des « mesures concrètes et justes […] pour répondre à la colère légitime des jeunes de la Seine-Saint-Denis trop longtemps oubliés de la République ».
Ce début de mobilisation intervient alors que le gouvernement est resté sourd et mutique face à la fronde qui a jalonné la mise en place de la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur, avec Parcoursup. Les organisations lycéennes espèrent aujourd’hui ne pas rater le coche et réussir la coagulation des revendications avec les autres corps entrés en révolte contre l’exécutif.
À travers toute la France, les lycéens ont suivi les mots d’ordre de leurs organisations. À Limoges, par exemple.
Ou encore à Nice où les lycéens ont bloqué leurs établissements avant de converger vers la place Masséna, comme le rapporte Nice-Matin. À Bourges aussi, l’appel a rencontré un certain succès. À Orléans, la situation a dégénéré, comme le raconte La Nouvelle République : « Des centaines de jeunes ont d’abord déambulé pacifiquement et sans véritable but dans les rues adjacentes aux établissements scolaires. Mais la situation s’est sérieusement tendue peu après 11 heures, où les forces de l’ordre, ciblées par des projectiles ont fait usage de gaz lacrymogène et de flashball pour disperser les attroupements », peut-on lire sur le site.
À Toulouse aussi, les lycéens ont montré leur désapprobation vis-à-vis de la politique éducative menée par le gouvernement.
Même scénario à Marseille où douze lycées ont été bloqués, selon le rectorat, comme l’écrit Marsactu.
Louis Boyard, président de l’Union nationale lycéenne (UNL), est satisfait de cette journée de mobilisation. « La lutte contre Parcoursup n’a pas fonctionné, explique-t-il. Là, le pouvoir fait face à un mouvement spontané de gens qui disent que leur quotidien est difficile à cause des politiques menées par Emmanuel Macron. »
Un constat que partagent nombre de lycéens, selon lui. Il cite également les classes surchargées, le non-remplacement en cas d’absence d’un professeur ou les défaillances de Parcoursup. Sans oublier la réforme des lycées professionnels.
« Les gilets jaunes sont révoltés car leur situation n’est pas tenable. On se retrouve à travers cette colère face à Emmanuel Macron », poursuit le syndicaliste lycéen. Il n’a pourtant pas appelé formellement à rejoindre les gilets jaunes, à cause du caractère divers de ce mouvement. Il espère pourtant qu’il mettra fin à la léthargie du mouvement social. « Si les jeunes s’y mettent sérieusement, on peut faire tomber le gouvernement ! Les gilets jaunes ont redonné la lumière et la lueur d’espoir pour donner l’impulsion. »
Un constat partagé par Marouane Majrar, vice-président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) qui avait de son côté appelé « sans ambiguïté » à « rejoindre les “gilets jaunes” ». « Il y a donc une opportunité à saisir. Dans ce contexte explosif, on a enfin la possibilité de se faire entendre par le pouvoir. »
Il explique « être submergé » d’appels de lycéens qui demandent de l’aide pour structurer le mouvement d’une manière pérenne. Il avoue aussi être « surpris » de la rapidité avec laquelle l’appel a été suivi d’effets.
Marouane Majrar relève une prise de conscience généralisée chez les jeunes, parmi lesquels figurent « ceux qui sont frustrés des résultats de Parcoursup ou ceux qui ne comprennent pas la réforme du lycée et se demandent quelle spécialité choisir en seconde ». Plus généralement, le jeune homme déplore « le mépris de Macron pour les plus précaires ».
Si les deux syndicats s’accordent sur de nombreux points, l’UNL ajoute à son éventail de revendications l’abrogation du service national universel, grande promesse d’Emmanuel Macron. « Ce n’est pas une priorité quand on supprime 2 650 postes d’enseignants. Il est censé créer de la citoyenneté et de la mixité sociale. C’est l’école qui doit produire cela. Sinon on inscrit l’échec de notre système scolaire dans la Constitution, puisque le président veut y ajouter le service national universel », estime Louis Boyard (UNL).
L’inconnue des étudiants
Le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer s’efforce de faire bonne figure. Lors du mouvement précédent, il a gardé le cap avec sa collègue chargée du supérieur, Frédérique Vidal. Invité sur LCI, il s’est efforcé de minimiser l’ampleur de la mobilisation : « Il n’y a pas de raison rationnelle pour que la contestation des gilets jaunes ait un impact sur les lycéens. […] Je ne dis pas que le risque n’existe pas. Mais beaucoup essaient de s’engouffrer dans la brèche des gilets jaunes pour revendiquer tout et n’importe quoi. » Il précise qu’il existe 4 000 lycées sur le territoire et donc que le mouvement est faible en proportion.
Le ministre a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas matière à protester contre la réforme du lycée prévue en 2021, car « la concertation » a concerné « de très nombreux acteurs, dont 40 000 lycéens ».
Les organisations lycéennes semblent déterminées à détromper leur ministre. Dans un communiqué, le SGL « réitère son soutien aux gilets jaunes pacifistes » et « déplore » les violences commises au cours du week-end dans le sillage de ce mouvement. « Les lycéens doivent avoir une part de responsabilité dans cette révolte citoyenne », peut-on encore lire sous leur plume. En plus des autres revendications communes aux organisations lycéennes, le SGL réclame une hausse des bourses.
Il appelle, tout comme la FIDL, à une nouvelle journée de mobilisation, jeudi 6 décembre, « pour le service public de l’éducation ou encore les lycées professionnels ». De son côté, l’UNL incite les lycéens à bloquer leurs établissements et à manifester dans la foulée vendredi 7 décembre, la veille de la nouvelle journée de mobilisation des gilets jaunes.
La question d’entraîner les étudiants dans le mouvement se pose également même si, pour le moment, la Fage et l’Unef, les deux principales organisations, n’appellent pas à la convergence. Elles souhaitent encore concentrer leurs forces dans la lutte contre la hausse annoncée des frais d’inscription pour les étudiants étrangers à compter de la rentrée 2019. Ces droits vont passer de 170 à 2 770 euros pour la licence et de 243 à 3 770 euros pour le master pour les étudiants extracommunautaires.
Samedi 1er décembre se tenait un rassemblement, place du Panthéon à Paris, à l’initiative des deux organisations et quatorze associations étudiantes étrangères. Plusieurs centaines d’étudiants et d’enseignants ont fait le déplacement. Au milieu de la foule, quelques gilets jaunes se faisaient remarquer par leur couleur fluorescente. Des membres du collectif Rosa-Parks étaient aussi présents.
Ismaël explique être ici pour lutter contre cette mesure « discriminatoire » et « raciste » du gouvernement. « C’est la mémoire de l’immigration qui est visée et encore humiliée par cette réforme », explique encore le militant de Rosa-Parks. Un peu plus loin, une jeune femme brandit une pancarte : « Macron tu perds tes facultés ». Plusieurs personnes arborent un message identique sur des cartons : « Mêmes études, mêmes droits ! »
Un groupe de quatre amies venues de Colombie et du Honduras racontent comment elles ont été soulagées de l’élection d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Même si elles ne votent pas en France, explique Maria, 28 ans, étudiante en gestion d’entreprise à l’université de Créteil (Val-de-Marne), elles ont suivi avec passion les élections. Elles ont cru que la victoire de l’actuel président allait les préserver. À tort. Leur déception est décuplée.
Dans plusieurs universités, des rassemblements et des assemblées générales ont également été organisés. D’autres sont prévus. Avec l’espoir, chez certains, que la colère étudiante s’additionne à celles, multiples, qui s’expriment depuis plus de trois semaines.