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La réforme de la formation des professeurs - Pierre Merle, La Vie des Idées, 15 septembre
mardi 22 septembre 2020, par
Si l’actuelle formation des professeurs n’est pas pleinement satisfaisante, la réforme de la formation prévue dans la loi Blanquer de 2019 ne permettra pas une amélioration de la formation des professeurs et ne répond pas aux défis auxquels l’institution scolaire est confrontée.
Adoptée définitivement le 26 juillet 2019, la loi Blanquer, « Pour une école de la confiance », a modifié certaines dispositions législatives du système éducatif français. Parmi les diverses mesures adoptées par le parlement, les ESPE (Écoles Supérieures du Professorat de l’Éducation) sont devenues des INSPE (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation), l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé de six à trois ans, le CNESCO, centre de recherche sur l’éducation, a été supprimé, etc. La réforme de la formation des professeurs, dont le principe a été arrêté par la loi Blanquer, a peu été débattue par les parlementaires alors qu’elle est essentielle. Les modalités réglementaires de sa mise en œuvre ne sont définies que progressivement depuis le début de l’année 2020. Sont-elles à la hauteur des défis que l’institution scolaire doit relever ?
Le principe de la réforme : une rupture majeure d’organisation
Dans l’organisation de la formation des professeurs en vigueur jusqu’à la rentrée universitaire 2019, les étudiants souhaitant devenir enseignants s’inscrivaient dans un master MEEF (Métier de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). La première année de ce master était essentiellement consacrée à la préparation des épreuves écrites et orales du CAPES de leur discipline [1]. En seconde année, s’ils étaient admis à leur concours, les étudiants devenaient professeurs stagiaires. Ils assuraient neuf heures de cours hebdomadaires dans un établissement scolaire et, parallèlement, suivaient à l’ESPE des cours leur permettant d’approfondir les différentes dimensions du métier d’enseignant. Les professeurs stagiaires devaient également préparer un mémoire de recherche en rapport direct avec leurs activités enseignantes. Les sujets portaient, par exemple, sur l’usage des outils numériques dans leur discipline, l’enseignement de telle ou telle notion, la « gestion » de la classe, etc. La nouvelle organisation de la formation des professeurs introduit une rupture majeure. Le concours ne sera plus situé lors de la première année de master, mais lors de la seconde. Cette nouvelle organisation est comparable à celle mise en place par le ministre Xavier Darcos en 2008. La loi Peillon de 2013 l’avait supprimée pour replacer le concours en première année.
Il existait de bonnes raisons de modifier la formation des enseignants. La première année du master MEEF était particulièrement chargée. Les cours commençaient en septembre et les écrits des concours du CAPES avaient lieu entre mi-mars et mi-avril. Compte tenu de l’existence de deux stages en établissements scolaires d’une durée totale de cinq semaines afin que les étudiants appréhendent de façon concrète la réalité du métier de professeur, la durée effective de préparation au concours n’excédait pas cinq mois. La surcharge de travail réduisait la qualité de la préparation au concours et favorisait les abandons. Par ailleurs, les jeunes professeurs, dans une proportion difficile à connaître, estimaient que la formation dispensée dans les ESPE préparait mal au métier. Pour ces raisons, une réforme de l’organisation de la formation des professeurs était donc légitime.
Pour le ministère, il était surtout nécessaire de promouvoir une formation dans laquelle une plus grande expérience du terrain, c’est-à-dire de l’enseignement en établissement avant la titularisation, devait permettre aux futurs professeurs, ainsi mieux formés, de faire face aux difficultés rencontrées ordinairement lors de leur première affectation. Une formation plus pratique, fondée en partie sur le modèle traditionnel du compagnonnage qui accorde une place plus grande aux professeurs jugés expérimentés, devait remplacer une formation suspectée d’être trop théorique et accusée de « pédagogisme » par une certaine presse.
La réforme de la formation : une source d’effets pervers
Toutefois, l’organisation de la nouvelle formation des professeurs déplace les difficultés constatées sans résoudre celles-ci. Elle risque aussi, pour plusieurs raisons, de provoquer des effets pervers. Premièrement, avec la nouvelle organisation de la formation, les étudiants de master 2 ne seront plus des professeurs stagiaires, c’est-à-dire des fonctionnaires percevant le salaire d’un professeur débutant, environ 1400 € net mensuels, mais des étudiants en stage. Comme en 2008, la nouvelle organisation de la formation permet de réaliser des économies budgétaires substantielles avec la suppression de plus de 10000 postes de fonctionnaires stagiaires. Assurant un enseignement de six heures hebdomadaires, la rémunération des étudiants de seconde année serait - cette question centrale n’est toujours pas réglée - de 600 € net mensuels, soit l’équivalent du tiers de la rémunération d’un professeur contractuel débutant titulaire d’une licence. Cette rémunération risque de poser des problèmes financiers aux étudiants dont l’établissement scolaire sera éloigné des centres de formation de l’INSPE. Pour ces étudiants, les frais de déplacement et les contraintes de logement constitueront une source supplémentaire d’abandons de la formation, déjà constatés en seconde année du master MEEF actuel.
Deuxièmement, la nouvelle organisation du concours d’accès au professorat aboutit, pour les étudiants en deuxième année de master, à une mise en concurrence de trois objectifs : assurer un service d’enseignement à tiers temps jugé nécessaire à l’apprentissage du métier, réaliser un mémoire de recherche, réussir leur concours. Soit le dernier objectif l’emportera sur les deux autres, soit les étudiants focaliseront leur énergie sur la préparation de leur enseignement hebdomadaire au détriment de leur réussite au concours et de leur mémoire de recherche. Déjà, dans l’actuelle formation des professeurs, en deuxième année, les professeurs stagiaires sont souvent débordés par la préparation de leurs cours, à laquelle s’ajoute la rédaction d’un mémoire de recherche. Leur situation ne pourra être que plus défavorable lorsque ces étudiants auront, de surcroît, à préparer le concours. Le mémoire de recherche risque d’être encore plus négligé alors même qu’il est essentiel pour les futurs professeurs. Ceux-ci doivent être capables, a minima, de disposer de données d’enquête (observations, entretiens, documents divers…) et d’évaluer la pertinence de leurs pratiques pédagogiques afin d’être toujours vigilants à l’égard des effets de mode si fréquents dans l’univers scolaire.
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[1] Pour simplifier la présentation et l’analyse de la réforme de la formation des professeurs, le propos est centré sur les concours du CAPES. Toutefois, le concours des professeurs des écoles est également concerné mutatis mutandis.