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Discriminations : François Héran déplore « leur dénégation par des essayistes en chambre » - Joseph Confavreux, Mediapart,
mercredi 17 mars 2021, par
« Libre à moi de jeter un regard amusé sur tous ces militants qui militent contre le militantisme ! On en finirait par oublier que les deux ministres porteurs de ce projet purificateur sont eux-mêmes – ce qui est leur droit – des enseignants-chercheurs passés à la politique. »
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« Déshabiller le prophète pour rhabiller la collégienne », « octobre 2020 : crime et boniments », « l’insoutenable paradoxe de la liberté obligée »… C’est sur un ton à la fois souriant et apaisé, avec une écriture aussi enlevée que mesurée, que François Héran, professeur au Collège de France, a écrit une Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression que viennent de publier les éditions La Découverte.
Le livre est davantage qu’un prolongement éditorial du texte qu’il avait initialement publié sur La Vie des idées quelque temps après l’assassinat de Samuel Paty, décapité par un jeune djihadiste en octobre 2020.
Il constitue en effet, à partir de la tragédie vécue par l’enseignant du collège de Conflans-Sainte-Honorine, une réflexion implacable pour se situer dans les débats inflammables de notre temps : accusation d’islamophobie à l’encontre de deux enseignants de Sciences-Po Grenoble, enquête lancée par la ministre de l’enseignement supérieur sur « l’islamo-gauchisme » dans le monde universitaire, projet de loi « confortant le respect des principes de la République », laïcité à l’école…
Nourri par une lecture serrée aussi bien de la jurisprudence française et européenne que des différents supports utilisés dans les cours d’éducation morale et civique, l’ouvrage invite à ne pas faire de la liberté d’expression un totem, afin de mieux la défendre ; à ne pas brandir la République comme une arme, pour mieux la faire vivre ; à ne pas être amnésique sur le passé, dans l’idée de se projeter vers un futur pacifié et partagé.
Cette Lettre aux professeurs vise à donner des arguments à des enseignants en première ligne mais s’adresse à un public beaucoup plus large, notamment parce que le chercheur y fait usage autant de son questionnement de sociologue que de son savoir de démographe, une science sociale attentive aux mouvements de fond qui structurent les évolutions sociales.
On ressort ainsi du livre convaincu non seulement par la rigueur du raisonnement, mais inquiet que les emballements médiatiques à répétition et les postures gouvernementales actuelles s’avèrent aussi éloignés de la réalité telle qu’elle est, mais aussi de la société telle qu’elle se dessine. Entretien.
Que vous inspire la récente polémique sur les professeurs accusés, par voie d’affichage, d’islamophobie, Science-Po Grenoble ?
François Héran : Le sentiment que la police des mots, de quelque bord qu’elle vienne, nous entraîne dans des polémiques dévastatrices. L’enquête publiée le 11 mars par Mediapart a été la première à tenter de confronter les points de vue de tous les protagonistes et à publier les échanges de mails ; c’est très précieux. Au départ, un groupe de travail intitulé « Racisme, islamophobie, antisémitisme » devait préparer la troisième édition de la « Semaine pour l’égalité et contre les discriminations », organisée de concert par le personnel enseignant et les étudiants.
Or l’un des enseignants exige, menace de démission à l’appui, que le mot « islamophobie » disparaisse du titre : c’est, selon lui, une « persécution imaginaire », une dangereuse formule de « militants » forgée par les islamistes. La directrice de l’institut a beau lui citer des recherches sérieuses qui explorent et mesurent l’islamophobie, il réitère ses arguments dans une série de messages péremptoires, soutenu par un sociologue connu pour ses tribunes sur le sujet. Leurs textes s’inscrivent dans la doxa actuelle : l’islamophobie serait une « arme » des djihadistes, il faut donc l’exclure du débat.
Comment fallait-il réagir, selon vous, à cette volonté d’exclure « l’islamophobie » du débat ?
Certainement pas en placardant des dénonciations nominatives sur la façade de l’institution, et pas davantage en proclamant que « l’islamophobie tue ». Si le blocage du débat en interne a sans doute poussé à de telles extrémités, elles restent condamnables et contre-productives : il suffit de voir comment les médias qui pratiquent le déni sur l’islamophobie se sont emparés du slogan.
Au sein de la société française actuelle, l’islamophobie ne tue pas, elle brise des vies. Il est avéré qu’elle réduit drastiquement les chances d’entrer dans la vie professionnelle à hauteur de ses diplômes.
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Frédérique Vidal a annoncé une enquête en milieu universitaire pour faire la part de la science et du militantisme. Qu’en pensez-vous ?
J’observe qu’il y a de grands militants parmi les pétitionnaires qui prétendent purger la science de tout militantisme. Lecteur attentif de Pierre-André Taguieff, j’ai du mal à croire qu’il puisse incarner la figure du chercheur détaché de toute passion militante. Libre à lui de s’engager. Mais libre à moi de jeter un regard amusé sur tous ces militants qui militent contre le militantisme ! On en finirait par oublier que les deux ministres porteurs de ce projet purificateur sont eux-mêmes – ce qui est leur droit – des enseignants-chercheurs passés à la politique.
En réalité, bien des raisons peuvent pousser des hommes et des femmes à s’engager dans les sciences sociales : une certaine idée de la justice sociale, la volonté de dévoiler l’intérêt caché ou les mécanismes du pouvoir, la solidarité planétaire, la défense du patrimoine culturel, l’interrogation sur leur place personnelle dans la société, etc.
Pour avoir dirigé un organisme de recherche pendant dix ans, je confirme que tous ces profils existent, qu’ils peuvent se mêler et évoluer au cours de la carrière. Où est le mal ? L’essentiel est qu’au bout du compte l’activité scientifique, fût-elle engagée, adopte une méthode solide, brasse des données, recoupe des archives, produise des connaissances, soulève des hypothèses stimulantes et vérifiables.
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