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Lettre d’Axel Kahn, président de l’université Paris 5, à Valérie Pécresse

jeudi 4 décembre 2008, par Laurence

Madame la Ministre,

J’ai eu l’occasion de vous faire part, à l’occasion du déjeuner auquel
vous avez convié, le 6 novembre dernier, les présidents d’université
passant aux responsabilités et compétences élargies à compter du 1er
janvier 2009, de mon soutien à toute revalorisation de la fonction
enseignante à l’Université. A l’inverse, j’ai fait état de mon
opposition à tout ce qui pourrait transformer cette fonction en « 
mission par défaut » réservée aux enseignants-chercheurs jugés peu
performants en recherche.

Je conviens que la double mission de l’enseignement supérieur
(enrichir les savoirs et les transmettre) est celle des équipes, voire
de l’établissement, plutôt que, de façon obligatoire, de chacun des
enseignants-chercheurs individuellement. A ce titre, le principe de
décharges réciproques m’apparaît recevable, à la condition que la
réciprocité soit authentique.

En d’autres termes, que les deux services essentiels de l’université –
enseigner et chercher – soient valorisés l’un et l’autre, ce qui
requiert, bien entendu, une évaluation de la qualité de l’exercice de
ces fonctions. Une application efficace de telles règles de
réciprocité implique que, sur la base des voeux, des talents et de
l’originalité des projets, des collègues se voient déchargés d’une
part
notable de l’une de leurs missions dans un équilibre maximum de
l’ordre de 1/3 – 2/3, et que ces différents mandats puissent valoir,
l’un et l’autre, gratification et promotion en fonction de la
qualité, de l’originalité, de la créativité de la tâche accomplie.

Les parts respectives consacrées aux différents services des
enseignants-chercheurs, auxquels il convient d’ajouter le pilotage et
l’administration, gagnent à varier au cours d’une carrière. En
particulier, les jeunes maîtres de conférence devraient assez
largement disposer d’une charge réduite d’enseignement afin d’engager
leur programme de recherche dans la nouvelle équipe et de parfaire
leur formation.

Bien entendu, un tel système est peu compatible avec une réduction du
nombre d’enseignants-chercheurs qui, associée à la multiplication des
situations sélectives de décharges d’enseignement, ferait peser sur
les autres collègues une charge imposée et subie. D’ailleurs, c’est ce
que semble faire craindre le paragraphe 4 de la deuxième page de votre
lettre du premier décembre où vous précisez « naturellement », une
évaluation négative de l’activité de recherche peut conduire à ce
qu’un enseignant-chercheur « doive se consacrer » à une activité
enseignante accrue.

Dans le même paragraphe, vous rappelez les décharges dont bénéficient
les « chaires » de type IUF ou organisme-université. Il n’y a là
aucune symétrie puisque la surcharge d’enseignement est bien notée
être la conséquence d’une insuffisance des capacités en recherche. Or,
être un chercheur peu productif ne garantit nullement d’être un
enseignant efficace. La situation de nos universités, le taux d’échec
que vous déplorez ainsi que tous les enseignants-chercheurs, ne
s’amélioreront pas si la mission essentielle d’enseigner est vue
comme une sorte de sanction pour ceux considérés incapables de mener
des recherches compétitives. Il y a aussi – c’est un chercheur qui
s’exprime – de la grandeur, de l’enthousiasme, de la créativité dans
le désir et la manière d’enseigner qui doivent être appréciés comme
des éléments positifs, au coeur des missions de l’université, au même
titre que la créativité scientifique.

En vous remerciant de l’attention que vous accorderez à cette lettre,
je vous prie de croire, Madame la Ministre, à l’expression de ma plus
sincère considération.
Axel KAHN