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Vademecum de la grève (administrative et enseignement)

mercredi 4 février 2009, par Laurence

* Grève administrative (précision envoyée par une collègue sur la liste de la coordination nationale)

“La grève administrative n’est pas juridiquement une grève et, à ce
titre, n’est pas protégée par aucun texte. La décision la plus sévère que
nous connaissons concerne un enseignant chercheur qui n’a rendu des
notes d’examen que le 25 septembre au lieu du 9 juillet 1990. La retenue
a été opérée sur l’ensemble des jours durant lesquels le service n’a pas été
assuré : deux mois et demi... La « mesure comptable » a été complétée
par une sanction : un blâme. (4) L’alternative évoquée par l’avocat a été
appliquée ici en ses deux branches. La retenue a été rendue possible du
fait que plusieurs lettres sont venues rappeler la nécessité de remettre les
notes. Sinon un tribunal administratif a indiqué (5) : « lorsque l’agent se
refuse à accomplir une obligation accessoire qu’il doit périodiquement à
L’autorité hiérarchique, telle la remise de documents à une date fixée par
cette autorité, la loi du 22 juillet 1977, ne peut autoriser l’administration
à retenir autant de trentièmes du traitement qu’il y a de jours dans la
période où se prolonge l’inexécution de l’obligation accessoire dont
S’agit. Une telle inexécution justifie seulement une retenue du trentième
pour la seule journée où le défaut d’exécution est consommé ». Ce
jugement concerne des professeurs ayant remis des copies de concours
avec huit jours de retard.”

L’intégralité du document du SGEN Nantes sur les formes d’action collectives autres que la grève est téléchargeable.

* Mise au point de Philippe Enclos, Forum-superieur, 24 janvier 2009

I. Légalité de la rétention des notes (dans l’enseignement supérieur public)

Que signifie l’affirmation selon laquelle « la rétention des notes est illégale » ? Rien, tant que son auteur ne fournit aucune analyse juridique ; elle est aussi vide de sens que l’assertion selon laquelle « bloquer les Facs est illégal ». Il ne s’agit que d’une accusation gratuite visant à disqualifier, à délégitimer les rétenteurs de notes, en les faisant passer pour des hors-la-loi.

Évidemment, aucun juriste ne se laisse prendre à ce piège grossier. Demander à qui vous accuse d’illégalité d’en apporter la démonstration est un bon moyen de le faire taire.
C’est même un excellent moyen, parce qu’il n’existe aucune loi qui interdise de retenir les notes.

Certes, le seul bon sens suffit à poser que les enseignants doivent remettre les notes à l’administration chargée de les collationner en vue des jurys ; il est évident que remettre les notes constitue une obligation de service. Une circulaire du 9 mars1989 (BOEN n° 12 du 23 mars 1989) rappelle que, dans le primaire et le secondaire, la notation des élèves fait partie des obligations de service des personnels enseignants. L’enseignant gréviste ne peut donc pas noter ; à l’inverse, celui qui fait cours mais ne note pas est considéré comme " n’ayant pas exécuté tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à [sa] fonction " (amendement Lamassoure, art. 89 de la loi 87-558 du 30 juillet1987 qui réintroduit la notion de « service non fait »). Dans l’enseignement supérieur public, il appartient aux règlements d’examens d’édicter les modalités d’organisation du contrôle des connaissances, et d’évaluation des étudiants : les jurys, dans le respect des dispositions de la loi (décret et arrêtés d’avril 2002 relatifs au LMD).)

Ainsi, le fait de ne pas remettre ses notes s’analyse en un « service non fait », qui entraîne réduction de la rémunération (1/30ième du salaire mensuel). Il ne s’agit pas d’une sanction.

Une autre question est de savoir si la non remise des notes est constitutive d’une faute disciplinaire, exposant son auteur à l’une ou l’autre des sanctions prévues par le droit de la fonction publique. Il n’existe aucun texte posant ou édictant que la non remise des notes constitue une faute disciplinaire : c’est en effet, au juge qu’il appartient de procéder à une telle qualification ; à l’université, le juge de première instance est, comme chacun sait, la section disciplinaire du CA, la juridiction d’appel est la section disciplinaire du CNESER, le juge de cassation étant le Conseil d’État. Or, sauf erreur, il n’y a pas de jurisprudence du Conseil d’État en la matière. Éventuellement, telle action de rétention des notes de la part de tel enseignant dans telle université à telle date peut être jugée constitutive d’une faute disciplinaire : il doit bien exister des cas, que l’exploration des affaires jugées par la section disciplinaire du CNESER ne manquerait pas de faire apparaître ; mais cela ne permettrait toujours pas d’affirmer qu’en général la rétention des notes est illégale.

Encore une autre question est de savoir si la rétention des notes est une forme illégale de grève. A ma connaissance, il n’existe aucune disposition législative posant que la rétention des notes constitue une forme illégale de grève. Il appartient donc au juge administratif de décider si telle rétention de notes doit recevoir cette qualification : toujours à ma connaissance, il n’existe pas de jurisprudence du Conseil d’État en la matière. Il existe, certes, quelques rares arrêts relatifs à des rétentions de notes, mais ils ne concernent que ses effets sur la rémunération (les curieux trouveront tous ces arrêts ci-joints). Sachant que le juge administratif est tenu de soulever d’office les moyens d’illégalité, et qu’il ne l’a pas fait dans la seule de ces affaires où la rétention des notes obéissait à une consigne syndicale, on peut même penser que le CE ne considère pas que la rétention des notes soit, en principe, une consigne syndicale illégale.

En tous les cas, il est faux d’affirmer que la jurisprudence administrative considère que la rétention des notes est une forme illégale de grève. Bien sûr, il n’est pas exclu que le CE, voire une CAA, conclue en ce sens à l’avenir ; il faudrait pour cela que le juge fasse, par exemple, prévaloir le principe de continuité du service public sur le droit de grève reconnu aux agents publics. J’attends.

Il est piquant de constater que, lors de l’assemblée du « collectif pour la défense de l’université » le 17 janvier à la Fac de droit de Paris 2, collectif principalement composé de juristes, une telle affirmation ait pu être lancée sans être démentie, au point que des collègues aussi éminents qu’Olivier Beaud et Frédéric Sudre en ont été désarçonnés, et n’ont trouvé d’autre échappatoire que d’en appeler à l’expertise d’administrativistes (s’il y en avait dans l’amphi, ils se sont bien gardés de se signaler…). J’ai demandé la parole pour exposer ce qui précède, mais, malheureusement, le débat est parti dans une autre direction avant que mon tour fût venu.

II. La réquisition de grévistes

Aucune limitation législative du droit de grève ne concerne les personnels de l’Education Nationale. Seuls sont concernés par ces limitations les magistrats, la police, l’armée, la navigation aérienne, les CRS, les transmissions.

1) Initialement issus d’une loi du 11 juillet 1938, les articles 5 et 6 de l’ordonnance 59-147 du 7 janvier 1959 « relative à l’organisation générale de la défense » permettent de réquisitionner en « cas de menace sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale, ou sur une fraction de la population les personnes, les biens et les services ». Il faut un décret en conseil des ministres, chacun des ministres prononçant ensuite la réquisition par des arrêtés ministériels. Les ordres individuels ou collectifs de réquisition sont, ensuite, prononcés par le préfet.

L’article 3 de la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure (créant l’article L 2215-1 du Code général des collectivités territoriales) simplifie la procédure : l’arrêté de réquisition peut être pris directement par le Préfet sans qu’il soit nécessaire de recourir à un décret préalable. Cet arrêté préfectoral, dûment motivé, fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure et les modalités de son application. Il peut viser « toutes les communes du département ou plusieurs, ou une seule d’entre elles (…), réquisitionner tout bien et service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ».

Ainsi, sauf pour le gouvernement à considérer que la rétention des notes à la Faculté de droit de Lille 2 fait peser une menace sur une partie du territoire, un secteur de la vie nationale ou une fraction de la population, nous ne sommes pas réquisitionnables.
Pour être complet, notons qu’il existe une législation spécifique aux services de santé permettant la réquisition de leurs personnels (loi du 19 août 1948 et circulaire du 30 avril 2007) : ce texte semble pouvoir concerner nos collègues MCF-PH et PU-PH, dans leur fonction PH.

2) Il existe par ailleurs une procédure dite de « désignation » (ou parfois « assignation ») d’agents publics afin qu’ils restent à leur poste en cas de grève. Cette procédure, d’origine uniquement jurisprudentielle, ne repose sur aucune base légale ou réglementaire. Il s’agit du célèbre arrêt " Dehaene " rendu le 7 juillet 1950 par le Conseil d’État (rec. Lebon n° 426). Dehaene, chef de bureau de la préfecture d’Indre et Loire, s’était pourvu devant le Conseil d’État pour contester une sanction de suspension infligée par le préfet, au motif qu’il avait participé en 1948 à une grève avec d’autres chefs de bureaux qui n’avaient pas suivi l’ordre du ministre de l’Intérieur de rester à leur poste. Le CE a posé le principe selon lequel : « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ; (...) en l’état actuel de la législation, il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, (...) la nature et l’étendue desdites limitations », et que la cessation du travail des agents d’autorité avait pour effet « de compromettre dans ses attributions essentielles l’exercice de la fonction préfectorale » et portait « une atteinte grave à l’ordre public ».

Le même type de fondement a été utilisé par le CE dans une décision concernant les pouvoirs du maire en la matière, dans laquelle il précisait qu’ « en l’état actuel de la législation, il appartient au maire responsable, en ce qui concerne l’administration communale, du bon fonctionnement des services placés sous son autorité, de prévoir lui-même, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et l’étendue de ces limites ». Il s’agissait du chef du premier bureau de l’état civil d’une commune que le maire avait requis d’avoir à assurer le service jusqu’à 18h30. Mais en l’espèce, le CE a considéré que le service étant assuré depuis le matin par des employés non-grévistes, l’arrêté du maire enjoignant à l’intéressé « d’assurer ce service au cours de l’après-midi (...) n’était pas justifié par la nécessité de maintenir un service dont l’interruption eût pu porter une atteinte grave à l’intérêt public » (CE, 9 juillet 1965, Pouzenc, n° 58-778, 58-779).

La difficulté réside évidemment dans la détermination des fonctions qui peuvent être concernées par ces restrictions au droit de grève. Ainsi, ont déjà été jugées comme pouvant subir des restrictions à leur droit de grève, les agents de service, les agents de sécurité et de prestations hôtelières d’un centre hospitalier (CE, 7 janvier 1976, CHR d’Orléans, n° 92162) ; en l’espèce, cependant, le nombre d’agents requis a été considéré comme disproportionné par rapport à ce qui était nécessaire pour la continuité du service.
Par conséquent, seuls les agents dont les fonctions sont indispensables au maintien de la continuité du service public et dont l’interruption de travail porterait une atteinte grave à l’intérêt public pourraient être " réquisitionnés ".

Conclusion : en aucun cas un président d’université n’est habilité à « réquisitionner » des personnels grévistes de son établissement.

* Se déclarer gréviste ? (analyse envoyée sur la liste de la coordination nationale par un collègue du SNES-UP)

Concernant les agents publics, le droit de grève leur a été
juridiquement reconnu lors de l’adoption de la constitution du 27
octobre 1946 qui a posé le droit de grève comme étant un principe
constitutionnel. Les rédacteurs du texte constitutionnel l’ont inscrit
dans le préambule de la constitution de la IVe République en précisant
toutefois qu’il s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
C’est ainsi que le statut de la Police, des militaires, des magistrats
interdit le droit de grève. Le préambule de la constitution de la Ve
République intègre le préambule de la constitution de 1946.

La seule condition posée concernant le droit de grève dans la fonction
publique est le dépôt d’un préavis de la part d’une organisation
syndicale représentative au niveau national dans la catégorie
professionnelle ou l’administration concernée. Il doit être remis à
l’autorité hiérarchique au moins 5 jours francs avant le déclenchement
de la grève et préciser clairement le lieu, la date et l’heure du
début de la grève, sa durée envisagée et ses motifs. Dès lors qu’une
organisation syndicale a publié un mot d’ordre de grève, soit
national, soit au plan local ou académique, tout agent, adhérent ou
non à cette organisation, titulaire ou non, est en droit de suivre ce
mot d’ordre.
Bien évidemment, les organisations syndicales ont respecté ce préavis
pour le jeudi 29, et il couvre tout agent désireux de faire grève.

En revanche, aucune règlementation imposant une quelconque déclaration
individuelle de l’agent n’existe dans la fonction publique et donc
dans l’enseignement qu’il soit primaire, secondaire ou supérieur. Le
rôle de l’administration en cas de grève est de constater, le jour de
la grève, la situation, et de comptabiliser les grévistes.

Certes, une réglementation prévoyant une déclaration préalable
individuelle de la part des agents souhaitant faire grève existe
depuis la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007. Mais il convient de
souligner que cette loi ne s’applique en aucun cas aux agents publics.
Elle concerne exclusivement les personnels (de droit privé) des
services publics de transport terrestre régulier de personnes à
vocation non touristique. Toute autre interprétation de la part de
l’administration serait contraire au principe constitutionnel.

Pour les agents publics de l’Etat, le rôle des responsables
administratifs et les droits de chacun sont précisés par une
circulaire du 30 juillet 2003 ( JORF n°179 du 5 août 2003, page
13499). Il ressort de cette circulaire - que l’administration procède
au recensement des grévistes "dans la plus grande transparence" :
- information accessible pour que les personnels puissent vérifier
individuellement leur inscription,
- que les personnels recensés à tort comme grévistes pourront apporter
la preuve, par tous les moyens à leur disposition, qu’ils ont
normalement accompli leur service pendant la durée de la grève.
(Conseil d’Etat, jurisprudence Kornprobst, 15-12-1967)

La grève ne peut donc être évoquée individuellement avec un agent
qu’après la grève, à la seule initiative de l’agent et dans le seul
cas d’une contestation de sa qualité de gréviste.

Le respect du principe ressortant non seulement de son existence mais
des conditions de sa mise en œuvre, le législateur a veillé à garantir
dans les règles qui y président à ce que chaque agent puisse être
pleinement libre d’exercer ce droit.

Ainsi, les règles applicables à l’exercice du droit de grève, dans
leur sagesse, entendent éviter aux agents d’avoir à se confronter à
des relations personnalisées dans des conflits dont la nature est
collective, et de leur permettre ainsi de pouvoir exercer pleinement
un droit démocratique fondamental garanti à ce titre par la
constitution et de leur garantir dans l’exercice de ce droit hors de
toute pression explicite ou implicite émanant de leur hiérarchie.