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Pourquoi, le 2 février, l’Université s’est arrêtée (par un collectif de mathématiciens de Rennes I, Mediapart, 6 février 2009)

dimanche 8 février 2009, par Mathieu

Pour lire l’article sur le site de Mediapart.

Un collectif de mathématiciens de l’université de Rennes-I explique les raisons de la grève des enseignants-chercheurs.

Les enseignants-chercheurs s’opposent aux deux projets de réformes que le gouvernement souhaite mettre en place ; l’un concerne leur statut et l’autre la formation des enseignants des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées. Dans une conjoncture où les mécontentements sont nombreux, cette opposition a été taxée d’immobilisme et de corporatisme ; il n’en est rien !


La réforme du statut des enseignants-chercheurs

Un universitaire nourrit son savoir de lectures, de recherches et d’échanges ; il forme ses étudiants en leur transmettant une part de ce savoir. Cette double mission explique le mot « enseignant-chercheur ». Ce métier sous-entend un lien étroit entre recherche et enseignement ; il existe en outre une grande liberté d’esprit qui permet l’émergence des idées nouvelles qui contribueront au progrès de la Société. Le lien entre recherche et enseignement, la liberté d’esprit, voici les deux clefs de voûte de l’Université, que les projets de réformes voulues par l’actuel gouvernement mettent en péril.

Nous sommes fonctionnaires de l’État, payés par l’argent public et nous sommes conscients qu’à ce titre nous nous devons à un travail exemplaire. Nous sommes depuis bien longtemps convaincus de l’intérêt et de la nécessité d’une évaluation par les pairs dont la finalité est l’amélioration de la recherche et de l’enseignement.

Nos travaux de recherche sont constamment évalués selon les règles rigoureuses en vigueur dans le monde scientifique. Nos demandes de financement de projets sont évaluées par des commissions formées d’experts universitaires et de chercheurs internationaux : qui d’autre qu’eux peut juger de la pertinence scientifique d’une recherche en cours ou tout juste aboutie ? Nos demandes d’avancement et de primes sont examinées par des commissions d’experts universitaires qui tiennent compte de notre double mission d’enseignement et de recherche.

Prétendre que les enseignants-chercheurs s’auto-évaluent de façon complaisante et corporatiste revient tout simplement à nier deux des fondements essentiels de la démarche scientifique : la volonté de rigueur et la recherche du vrai.

La loi LRU (Liberté et responsabilité des universités) est le cadre législatif général dans lequel s’inscrivent les réformes actuelles. Cette loi a été votée pour permettre aux universités de devenir autonomes. Elle confie au président d’une université un pouvoir de direction potentiellement similaire à celui que peut posséder le dirigeant d’une entreprise. La modulation des services mise en place par la modification du statut des enseignants- chercheurs rend complètement effectif le pouvoir managerial d’un président d’université, soumis à une concurrence accrue entre établissements. Dans le contexte actuel de diminution de l’engagement financier de l’État et de l’augmentation des charges de gestion locale, un président d’université aura nécessairement à arbitrer entre une augmentation globale des services d’enseignement et une augmentation des frais d’inscription.

Un chercheur « mal évalué » se verra imposer une charge d’enseignement plus lourde.

C’est ouvrir la porte à la tentation de publier beaucoup, mais d’innover peu, de privilégier les actions « visibles » indépendamment de leur réelle implication scientifique. C’est mettre en place une concurrence au sein de l’université, contrairement à l’exigence du partage universel du savoir. En outre, est-ce ainsi que l’on valorise l’enseignement à l’université ?

D’autres réformes comme la déstructuration des organismes de recherche et la place croissante d’un pilotage de la recherche sur la base de projets à court terme ont déjà ébranlé la liberté de choix des thèmes de recherche en les soumettant aux pouvoirs politiques et économiques. Si la pertinence des orientations de recherche et d’enseignement d’une université n’est plus décidée par les enseignants-chercheurs dans leur ensemble mais par les sphères politiques et économiques, la qualité de l’enseignement et de la recherche ne pourra que décliner.


La réforme des concours de recrutement des enseignants

La réforme de la formation des enseignants de la maternelle au lycée nous concerne à double titre, comme formateurs des futurs enseignants d’abord, et comme parents ensuite. Pour être brefs, disons que ce projet de réforme impose la création de nouveaux « diplômes d’enseignement », retarde les concours de recrutement des enseignants d’une année et supprime l’année de stage. Quelles que soient les critiques qu’on ait pu faire au sujet de la formation actuelle, la réforme qui nous est « proposée » n’y répond en rien. Pire, elle dégradera inévitablement le niveau de formation et le statut des jeunes enseignants.

Ce projet de réforme dégradera le niveau des jeunes enseignants parce qu’il supprime l’année de stage pédagogique, cette année où le nouvel enseignant suit une formation savante et pédagogique, où il est responsable d’un nombre limité d’élèves avec l’aide d’un tuteur et pendant laquelle il est rémunéré. Toutes les annonces du ministère concernant ces stages restent floues quant aux modalités concrètes et sont bien en deçà des besoins.

De plus, une partie du contenu disciplinaire des concours de recrutement des professeurs certifiés serait remplacée par une épreuve de « connaissance du monde de l’école » aux contours désespérément imprécis.

Ce projet de réforme dégradera sans doute le statut d’un nombre important de jeunes professeurs. Il est déjà annoncé que les concours de recrutement proposeront significativement moins de places qu’il n’y aura de diplômés. Tout permet de penser qu’un étudiant qui échouera au concours de recrutement se verra malgré tout proposer un emploi dans un établissement, vraisemblablement à un salaire inférieur et avec un statut plus précaire. C’est déjà ce qui se passe pour les enseignants remplaçants dans le primaire et le secondaire. Ainsi, suivant les moyens des régions et des villes, nos enfants pourraient avoir un enseignant de l’éducation nationale ou bien un diplômé d’une formation floue sous la menace d’un statut instable.

Enfin, rappelons que c’est dans des délais ridiculement brefs, et sans moyens spécifiques que les universités ont été sommées de mettre en place ce nouveau mode de formation et de recrutement des enseignants. Plusieurs points importants n’ont été qu’à peine esquissés par les injonctions ministérielles ; de nombreuses interrogations légitimes restent sans réponse ; de nombreux problèmes pratiques restent à résoudre.

Ces deux réformes nous sont imposées. Les nombreuses propositions que nous avons faites ont été ignorées, nos avis ne sont pas sollicités, nos questions restent sans réponse. Parallèlement, la gouvernance des universités, désormais soumise à une logique économique et comptable qui lui est imposée, préfère ne pas entendre les mécontentements, refuse d’instaurer en son sein un véritable dialogue, voire se prête à de la désinformation. Il y a une contradiction criante avec les annonces faites sur l’éducation et la recherche comme priorités.

Fonctionnaires de l’État, nous sommes attachés à en respecter les lois, mais aujourd’hui le mépris que montre le gouvernement à notre égard nous oblige à réagir. Nous demandons le retrait de ces deux projets et, fait exceptionnel, nous sommes en grève pour l’obtenir. Nous ne sommes pas contre les réformes. Seulement contre les mauvaises. Celles que le gouvernement veut nous imposer aujourd’hui sont faites sans nous, voire contre nous et finalement contre vous.

Antoine Chambert-Loir, professeur à l’Université de Rennes 1, Institut universitaire de France Christophe Mourougane, professeur à l’Université de Rennes 1 Frank Loray, directeur de recherche au CNRS Collectif des mathématiciens de l’université de Rennes 1