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"Enseignants-chercheurs : la fronde s’étend", Le Monde, 9 février 2009

lundi 9 février 2009, par Elie

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Après une première mobilisation réussie la semaine dernière, les enseignants-chercheurs seront à nouveau dans la rue, mardi 10 février. Dans les universités, des plus remuantes aux moins revendicatives, mais aussi dans les Instituts d’études politiques ou les écoles d’ingénieurs, ils s’inquiètent de la réforme de leur statut, de la formation des enseignants du premier et second degré et des coupes budgétaires.

A Rouen, les enseignants-chercheurs font fac en ville. En grève depuis le début de la semaine dernière, les enseignants-chercheurs de Rouen ne veulent surtout pas que leur mouvement reste confiné à des réunions d’amphis ou des débats en laboratoire. "Il faut absolument montrer que nous chercheurs, nous ne travaillons pas que pour nous", explique Pierre-Emmanuel Berche, physicien.

Du coup, la maire de Rouen, Valérie Fourneyron, députée PS de la Seine-Maritime, a ouvert la salle du conseil municipal pour que Florent Hivert, Elise Lemercier, et Thierry de la Rue, respectivement spécialistes d’informatique, de sociologie et de mathématiques planchent devant la population. Les trois sujets retenus étaient : "La jonglerie peut-elle s’écrire comme une partition de musique ?" "Les discriminations : l’imbrication du sexisme et du racisme" ou "Quel est le début de ce nombre ? La loi de Benford du premier chiffre significatif." L’opération a été baptisée "Fac en ville". Et Mme Fourneyron, médecin, qui a enseigné à l’université, a elle-même participé à cette initiative.

A Aix-en-Provence, l’Institut d’études politiques voit rouge. "Prof en saignant". La banderole qui barre le fronton de l’Institut de sciences politiques (IEP) d’Aix-en-Provence donne le ton. Pour la première fois depuis sa création en 1956, l’IEP fait une grève totale des cours et des notes. André Cartapanis, professeur d’économie et de finances internationales n’a rien d’un gauchiste.

Pourtant, cet ancien doyen de la faculté des sciences économiques de Marseille ne mâche pas ses mots : "Bien sûr qu’il faut réformer, mais pas en commençant par la présidence des universités et le statut des enseignants-chercheurs. Il fallait d’abord réfléchir à l’architecture des universités que l’on veut, aux formations longues et courtes, à la sélection à l’entrée, à l’augmentation des droits d’inscription, puis voir si cela nécessite de changer les statuts des enseignants-chercheurs." Tout aussi réservé sur le projet de réforme, Christian Duval, directeur de l’IEP, estime que la charge des enseignants-chercheurs ne se résume pas à 128 heures d’enseignement par an : "On n’arrête pas de travailler et j’ai du mal à recruter des jeunes enseignants. Allez demander aux épouses et enfants des enseignants-chercheurs s’ils les voient beaucoup."

A Lyon, les profs de Lyon-III rejoignent ceux de Lyon-II. D’un site à l’autre, les facs lyonnaises réagissent avec des intensités variables. Aucune perturbation n’est apparente à Lyon-III, fac réputée conservatrice qui se tient généralement en retrait des mouvements de protestations. Plus loin, à Lyon-II, à la tradition plus remuante, quelques affiches témoignent sur le campus des quais du Rhône d’une mobilisation plus sensible. Sur le site de Bron, les amphis bouillonnent.

Malgré ses différences de mobilisation, un enseignant relève que le 5 février les profs de Lyon-III ont bel et bien "défilé à côté de ceux de Lyon-II". Un cas de figure à ce point inhabituel "qu’on peut penser qu’il se passe quelque chose", souligne-t-il avec ironie. Blocages administratifs, jurys suspendus, notes non transmises. Beaucoup d’enseignants ne font pas grève mais veulent expliquer, argumenter, à l’instar de Jean-Louis Gaulin. Vendredi 6 février, il a choisi de présenter le programme du second semestre d’initiation à la recherche en histoire médiévale. Il s’est ému "des perspectives très sombres" pour le CNRS, de la mastérisation des concours avec "trois formations en une" qui constituent pour lui "une déstabilisation complète du système". Des réformes permanentes, précipitées, irréfléchies, l’Education nationale fait penser à un monastère régi sur un "mode médiéval" ironise le prof.

À Rennes, facs, IUT et école d’ingénieurs tournent au ralenti. Gilles Le Ray, enseignant-chercheur en électronique à l’Institut universitaire technologique (IUT) de Rennes depuis onze ans, est en grève pour la première fois. Comme ses collègues, il ne voit pas comment la globalisation du budget de l’IUT dans celui de l’université ne se traduira pas par des baisses de moyens. Un peu plus bas, l’Institut national des sciences appliquées (INSA) qui forme des ingénieurs est lui aussi complètement fermé.

A l’autre bout de la ville, le campus de sciences sociales et humaines de l’université de Rennes-II marche, comme Rennes-I, au ralenti. Dans cette université à la culture revendicative plus ancrée, on parle beaucoup de la réforme de la formation des enseignants du premier et second degré. D’ailleurs, les maquettes de ces masters viennent d’être rejetées par les trois conseils de l’université.

A Paris-III, on expérimente la "grève active". Au centre Censier de Paris-III, vendredi 6, l’amphi B est plein pour la deuxième AG depuis le début du mouvement, mais il n’est pas "blindé", relève une étudiante. La notion de "grève active", c’est-à-dire en conservant des cours "alternatifs" et en participant aux manifestations, est contestée par les plus radicaux, qui reprochent aussi aux professeurs leur prudence. "Grève ou pas grève, il faudrait qu’ils se décident", lance un étudiant. Les discours les plus enflammés sont les plus applaudis, mais au bout de deux heures, l’AG vote pour la reconduction de la grève et écarte le recours aux "blocages".

Etienne Banzet (à Rouen), Luc Cédelle, Marc Dupuis, Gilles Kerdreux (à Rennes), Catherine Rollot et Richard Schitlly (à Lyon)