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Enseignants-chercheurs : sortir de la culture de la punition - par Jean-Fabien Spitz, 24 heures philo, blog de Libération (10 février 2009)

mardi 10 février 2009, par Laurence

Le projet de décret redéfinissant le statut des enseignants-chercheurs de l’université est une illustration parfaite de la logique bureaucratique qui décide sans rien savoir de la réalité concernée. Certains universitaires ne font aucune recherche, ils se contentent de dispenser leurs six ou sept heures de cours hebdomadaire pendant les 26 semaines que dure l’année universitaire. Le reste du temps, ils se consacrent à des activités privées ou travaillent à arrondir leurs fins de mois. Cette réalité est indiscutable et elle n’est pas acceptable. Le bureaucrate qui réfléchit dans la solitude de son cabinet y apporte la réponse la plus stupide que l’on puisse imaginer : puisque ces gens ne font pas de recherche, imposons-leur une charge d’enseignement plus importante, ce qui permettra à la fois d’accroître la masse horaire disponible pour les étudiants et de décharger d’une partie de leurs tâches d’enseignement les universitaires les plus actifs dans la recherche.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit – accroître les obligations de service de certains - malgré les mensonges de la presse et du Monde en particulier (édition datée du 5 février ) qui affirme au mépris des faits que les obligations de service des enseignants ne sont pas modifiées. Le malheur c’est que cette brillante idée ignore tout simplement que les enseignants qui ne se livrent à aucun travail de recherche sont aussi ceux qui enseignent le plus mal ; ils n’ont pas nourri leur activité par des apports nouveaux depuis des années, ils considèrent l’enseignement comme une tâche purement alimentaire et l’accomplissent de manière négligente.

C’est à eux que les départements ont tendance à confier l’enseignement dans les premières années d’études, attitude tout à fait logique qui explique – en partie – l’échec que rencontrent les étudiants du premier cycle mis ainsi au contact non pas d’esprits créatifs qui pourraient stimuler leur envie d’apprendre, mais d’esprits routiniers qui leur donnent envie de fuir. Faire enseigner plus et au niveau le plus sensible ceux qui enseignent le plus mal, c’est-à-dire ceux qui sont incapables de donner le goût d’apprendre, voilà une riche idée.

Mais le décret projeté présente aussi d’autres aspects très négatifs : assisté de son seul conseil d’administration et après avis purement consultatif des instances scientifiques, le président d’université aura non seulement la haute main sur les carrières des universitaires mais pourra modifier la répartition de leurs tâches entre enseignement et recherche. Porte ouverte à l’arbitraire le plus complet, au localisme le plus éhonté, au favoritisme clientélaire.

Comment va s’opérer l’évaluation généralisée des activités de recherche que cela requiert ? Il suffit de voir par exemple le résultat du classement scientifique des revues dans lesquelles les universitaires publient leurs travaux pour comprendre le problème. Ce classement a obéi à des luttes de clan, à des trafics d’influence, à l’action des lobbys de tous ordres, aggravés par le fait que ceux qui ont établi le classement sont partie prenante dans les revues qui y figurent, exactement comme l’évaluation des équipes de recherche est menée par des individus associés parfois de très près à ceux dont ils sont chargés d’évaluer le travail.

Pour calmer les esprits, la ministre a fait une « concession » majeure : le président d’université devra choisir 50% des promus parmi les enseignants dont l’activité de recherche aura été évaluée favorablement par le Conseil national des Universités, instance nationale d’évaluation des enseignants par leurs pairs. On croit rêver car, quand on décrypte cette concession, son absurdité saute aux yeux : sur deux promotions auxquelles le président pourra procéder, il pourra en accorder une à un enseignant que le CNU n’aura pas classé parmi ceux qui sont dignes de la recevoir en raison de leur activité de recherche. En clair, il pourra l’accorder à l’un de ses amis, ou à un enseignant qui a cessé de l’être et qui se consacre à quelque tâche administrative. Et on appelle cela évaluation des enseignants-chercheurs ! Et on parle de valoriser la recherche ! Quelle imposture !

Que faut-il faire ? D’abord examiner la réalité et tenir compte de l’histoire des institutions : les enseignants médiocres appartiennent quasiment tous à la génération qui approche de la retraite : recrutés massivement dans les années 70, ils ne sont pas passés par une sélection sévère et n’ont jamais eu la vocation d’être des chercheurs. Les générations plus jeunes, en particulier celles qui sont entrées à l’université depuis une quinzaine d’années, sont infiniment plus dynamiques, mais c’est sur elles que va peser le poids de la suspicion et d’une concurrence malsaine, orchestrée au demeurant par ces enseignants sans vocation que leur peu de goût pour la recherche a orientés vers les instances administratives des établissements universitaires.

Quant aux plus anciens, rien ne les incitera à changer et, face à l’alourdissement de leurs tâches, ils vont réagir par un allègement encore plus grand de son intensité et de leur investissement. L’urgence n’est pas de les pénaliser mais d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise, c’est-à-dire que n’entrent à l’université, au moyen d’un contrat à vie, des enseignants de mauvaise qualité. Pour cela, il faut renforcer le sérieux des procédures de recrutement – avec un véritable examen du niveau scientifique des dossiers, qui n’existe pas aujourd’hui - et renoncer à la fonctionnarisation immédiate : les nouveaux recrutés devraient se voir offrir un contrat de cinq ans, renouvelable une fois avec une garantie non pas que leurs obligations d’enseignement seront diminuées mais qu’elles seront stables et permettront un investissement sur plusieurs années, et que, par ailleurs, elles ne seront pas confinées aux niveaux les plus bas, permettant ainsi une dynamisation de leur activité de recherche par l’enseignement qu’ils sont amenés à dispenser. Au terme de ces dix ans, on verra ceux qui auront été productifs ; les autres devront comprendre que l’enseignement supérieur n’est pas pour eux.

Chaque établissement devrait par ailleurs se doter d’une convention collective précisant les obligations de services auxquels les enseignants sont assujettis et fixant en matière de promotion, des règles claires dans lesquelles l’évaluation des activités de recherche doit relever d’une instance nationale extérieure à l’établissement. Une telle convention devrait être appliquée à parité par la présidence de l’université et par les représentants des enseignants-chercheurs. Il n’y a pas de raison de récuser la possibilité de certains aménagements entre les différents aspects du métier d’enseignant-chercheur (enseignement, recherche, administration) à la triple condition que ces aménagements soient fondés sur une évaluation extérieure du travail de recherche interdisant tout alourdissement de la tâche d’enseignement pour ceux dont l’activité de recherche est évaluée favorablement, qu’ils requièrent l’accord des représentants qualifiés des enseignants au sein de l’établissement, et qu’ils soient à la fois motivés et susceptibles d’appel.

Mais il serait catastrophique de créer un système où l’activité d’enseignement serait vécue comme un pensum et son accroissement comme une sanction utilisée pour combler le manque criant de personnel dont souffre aujourd’hui l’université. Construisons un système dans lequel un tel alourdissement ne sera jamais nécessaire – et la période probatoire de dix ans doit y aider – en procédant à des recrutements qui garantiront qu’il n’y ait pas un enseignant qui ne soit aussi un chercheur, entrons enfin dans une culture de l’encouragement au lieu de nous embourber sans cesse plus dans une culture de la défiance et de la punition.

Jean-Fabien Spitz, professeur de philosophie politique, université de Paris I Panthéon Sorbonne.