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« A propos de l’enseignement supérieur et de la recherche en France » par Frédéric Vincent, Doctorant en astrophysique (UC Davis / Paris 6), Le Monde, 16 février 2009

lundi 16 février 2009, par yann

Pour lire cette chronique sur le site du Monde.

Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut réformer l’université, mêmes les universitaires qui ne sont pas des réactionnaires. Avant de parler du projet de réforme, il semble nécessaire de faire un tour d’horizon de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.

L’université est loin d’être surdotée, elle est plutôt le parent pauvre de l’enseignement supérieur : l’Etat paye 13k€ par an pour un élève de classe préparatoire contre 7k€ pour un étudiant à l’université. En dehors de l’université, le système français est ultra-sélectif : concours pour les grandes écoles, sélection sur dossier pour les BTS et les IUT. A l’université, la sélection n’opère réellement qu’à partir de l’entrée en master, les premières années sont beaucoup plus confuses, donnant lieu à de gros problèmes d’orientation et de forts taux d’échec.

Pour simplifier, la France a un système à deux vitesses : les grandes écoles et l’université, deux mondes qui vivent en parallèle, quasiment dans l’ignorance de l’autre, malgré l’existence de quelques passerelles. Celles-ci permettent, à des étudiants de l’université d’intégrer une grande école grâce à une admission sur titre, ou à des étudiants de grandes écoles de valider un master délivré par une université. Malgré ces chemins de traverse, les deux communautés ne se mélangent pas très bien : une part non-négligeable des étudiants des grandes écoles ont une fâcheuse tendance à devenir arrogants et à prendre de haut leurs petits camarades de l’université.

Pourtant, il n’y a pas de quoi pavoiser. Nos grandes écoles présentées comme des usines à champions ont un gros problème de visibilité au niveau international. Demandez à un étudiant chinois ou indien s’il connaît l’Ecole Polytechnique, HEC ou l’ENA : quasiment aucune chance. Par contre il aura entendu parler du MIT, de UC Berkeley ou d’Oxford. Les deux dernières sont des universités publiques et figurent dans le top 5 du fameux classement de Shanghaï, ce qui laisse à penser que le financement privé n’est pas indispensable pour avoir une université de qualité.

Les forces du modèle anglo-saxon sont multiples : l’enseignement y est pluridisciplinaire grâce à un système de majeure/mineure qui facilite l’orientation des étudiants, les étudiants peuvent travailler à temps partiel, ils sont aussi encouragés à avoir des activités sportives et culturelles en dehors des cours. Autant de qualités qui sont rares dans le système français, que ce soit à l’université ou dans les grandes écoles, où les étudiants doivent se spécialiser très rapidement, quitte à prendre de mauvaises décisions. A l’arrivée, le jugement est sans appel : au classement de Shanghaï, la première université française (Paris 6) est 7e au niveau européen et 42e au niveau mondial, loin derrière les universités anglaises qui rivalisent avec les universités américaines dans le haut du tableau.

Pourtant, la recherche française se porte bien malgré un sous-investissement chronique : les dépenses françaises de R&D en pourcentage du PIB sont inférieures à la moyenne des pays de l’OCDE. Même sous-payés et en prise à des difficultés pour financer leurs projets, les chercheurs français publient et sont référencés dans des proportions comparables à leurs homologues étrangers, les collaborations sont multiples et la France fournit régulièrement des prix Nobel et des médailles Fields.

Comment un tel miracle est-il possible ? Les forces vives de la recherche française évoluent dans les instituts de recherche : le CNRS, le CEA, l’INSERM, l’INRIA et l’INRA sont des acteurs incontournables de la communauté scientifique française. Ces instituts ont une tradition de pluridisciplinarité et favorisent les collaborations avec les universités : un grand nombre de laboratoires bénéficient du statut d’UMR (unités mixtes de recherche), permettant des synergies entre les instituts de recherche et les universités.

La situation n’est pas aussi catastrophique qu’on voudrait le faire croire. Il faut certes réformer, mais le diagnostic est erroné et le remède proposé est destructeur. L’axe principal de la réforme de l’université est la possiblité donnée aux présidents d’universités de moduler les heures d’enseignement des enseignant-chercheurs. Ce projet est dangereux car il présente l’enseignement comme une punition et favorise l’arbitraire et le clientélisme au sein d’une université déjà victime du mandarinat. Il est aussi hypocrite, car parallèlement des postes sont supprimés, entraînant mécaniquement une modulation à la hausse de l’enseignement. Il est finalement contre-productif car les enseignant-chercheurs auront globalement moins de temps à consacrer à la recherche.

Par ailleurs, transformer le CNRS en agence de moyens n’entraînera pas des gains de productivité : l’histoire des sciences nous montre que la recherche fondamentale est imprédictible, elle ne peut pas être pilotée, elle sera donc asphyxiée, ce qui à terme entraînera un décrochage dans la recherche appliquée. L’échec sera total.