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"Droite/gauche/droite, la politique de la recherche depuis 1981", par Sylvestre Huet, Libéblog, Sciences2, 2 mars 2009

lundi 2 mars 2009, par Elie

Pour lire cet article sur le blog de Sylvestre Huet.

Nicolas Sarkozy l’a affirmé dans son désormais fameux discours du 22 janvier 2009 : la science n’est pas une affaire droite/gauche. Voire.

Voici donc une brève histoire des relations entre la droite, la gauche, et la politique de la recherche depuis 1981. Une histoire singulière, totalement subjective, écrite non à travers rapports et chiffres (d’autres l’ont fait), mais vue à travers les ministres qui ont occupé cette charge depuis que je couvre ce secteur comme journaliste professionnel. Certains diront que c’est un peu court... ils ne pourront pas ajouter « jeune homme ».

Si cette histoire présente un autre intérêt qu’anecdotique, ce n’est pas seulement à travers les choix de ministres de la recherche (parfois mise dans le même sac ministériel que l’enseignement supérieur et même l’Education nationale sous Claude Allègre). Encore que certaines nominations ont montré à quel niveau d’importance (très bas) un Président de la République et ses Premiers ministres (Jacques Chirac, Alain Juppé et Jean Pierre Raffarin) pouvaient placer ce secteur pourtant décisif pour l’avenir du pays.

On y retrouvera une rapide mise en perspective qui éclaire les problèmes et défis d’aujourd’hui, alors que Nicolas Sarkozy a décidé de mettre le paquet sur le sujet, afin de remodeler l’université et la recherche selon son programme politique. Une décision qui, comme il le reconnaît lui-même dans son discours du 22 janvier « provoquera des remous. » Une de ces prédictions, c’est rare en politique, qui s’est totalement réalisée... au delà probablement des attentes de son auteur.

1981-1986 L’espoir puis la pause

De Giscard à Mitterrand, la politique de la recherche connaît une véritable rupture. Le président de droite glosait sur « le déclin biologique de l’espèce (humaine) ». Son premier ministre Raymond Barre vantait une politique « de créneaux », sacrifiant les secteurs jugés non porteurs de la recherche. L’effort de R&D (recherche et développement) du pays se traîne à 1,6% du PIB... on est loin du volontarisme de De Gaule quand les laboratoires poussaient comme des champignons. A peine élu, Mitterrand convie son ministre de la Recherche Jean-Pierre Chevènement à la mobilisation des labos pour répondre aux problèmes sociaux. Des Etats-Généraux de la science et de la technologie (1982) propulsent une politique ambitieuse. Augmentation des crédits et de l’emploi scientifique publics, réforme du statut des chercheurs (de contractuels ils deviennent fonctionnaires) et du fonctionnement des organismes de recherche. La croissance des effectifs étudiants s’amorce, donc celle des universitaires. Les labos entament un rapprochement avec les entreprises, favorisé par les nationalisations de géants industriels. Le gouvernement met en place une vigoureuse politique de culture scientifique sous la houlette du mathématicien Jean-Pierre Kahane. La rigueur delorienne, puis le gouvernement de Laurent Fabius ralentissent le mouvement malgré les efforts d’Hubert Curien, ministre de la recherche en 1984, pour conserver l’élan initial.

1986-1988 Intermède chiraquien

La victoire de la droite aux législatives et le gouvernement de Jacques Chirac donnent un coup d’arrêt à cet essor. Au ministère de la recherche et des universités, confié à Alain Devaquet, une droite dure prône la dissolution du CNRS dont le recrutement est bloqué durant plusieurs mois. Les budgets de la recherche publique sont sabrés. Après la révolte étudiante, Devaquet est remplacé par Jacques Valade qui passe mollement deux jours par semaine dans son ministère pour expédier les affaires courantes (le reste du temps il intrigue pour succéder à Chaban à Bordeaux, sans succès Juppé lui piquant la place).

1988-1993 Curien à la manœuvre

Réélu, Mitterrand a une bonne idée, réinstaller Hubert Curien au ministère de la recherche pour cinq ans. Cet homme droit, honnête et compétent, ayant l’oreille du Président, obtiendra, de 1988 à 1993, une hausse des crédits publics attribués à la recherche de 15% en sus de l’inflation... et saura, avec le regretté René Pellat le convaincre d’arrêter les frais de la navette spatiale Hermès. L’effort de R&D, public et privé, culmine à 2,37% du PIB en 1993 (contre 1,16 à la fin de Giscard !). Le programme technologique public/privé Eurêka se pose en réponse européenne civile à la guerre des étoiles de Reagan. Curien impulse une vive augmentation du nombre et du montant des bourses doctorales, le nombre de docteurs es-sciences diplômés chaque année augmente jusqu’à plus de 10.000 (pour mémoire, on en est aujourd’hui à 9500, et la ministre Valérie Pécresse affirme que cela suffit, Hubert Curien doit s’en retourner dans sa tombe). La recherche publique se déconcentre en province selon un plan de longue haleine. Mais les deux dernières années sont en trompe-l’œil. Pour ruser avec Bercy qui serre les freins, Hubert Curien obtient une hausse des Autorisations de Programmes bien supérieure aux crédits de paiements annuels… ce qui suppose que les gouvernements ultérieurs tiennent cette « promesse » budgétaire. Cela ne sera pas le cas.

1993-1997 Les labos rackettés

Dès le retour de la droite au pouvoir, c’est la cata. François Fillon, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, répète en privé aux journalistes d’un air blasé qu’il aurait « préféré la Défense ». Les crédits de paiement diminuent. Les promesses des autorisations de programmes ne peuvent être tenues. Pour pouvoir payer les fournisseurs, le directeur général du CNRS Guy Aubert rackette les comptes des labos, un soir de janvier 1995, faisant remonter au niveau national tout ce qui traine. Puis menace le gouvernement « d’arrêter tous les programmes internationaux » pour obtenir de quoi boucler le budget. En 1995, avec le premier gouvernement du Président Jacques Chirac, c’est l’ère des Juppettes. Elisabeth Dufourcq, secrétaire d’Etat à la recherche (mai à novembre), démontre que la parité est arrivée : enfin une femme incompétente nommée à un poste important, comme chez les hommes. Elle est remplacée par François d’Aubert qui s’ébaubit tous les matins devant les journalistes de ce que le budget de la recherche, « c’est moins que le trou du Crédit Lyonnais ». Crédits en baisse. Dans les organismes de recherche, on sacrifie les emplois d’ingénieurs et de techniciens pour sauver les embauches de jeunes chercheurs. Entre 1992 et 2004, près de 9000 emplois de ce type disparaissent (la gauche opérant le même mauvais calcul).

1997-2002 Claude Allègre puis Roger-Gérard Schwartenberg

Une période au goût étrange pour les chercheurs ayant le cœur à gauche, et surtout pour les camarades de parti de Claude Allègre, l’ex-conseiller spécial de Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale et de la recherche. Il alterne le meilleur : un vigoureux plan de recrutement d’universitaires, un réinvestissement du politique dans les choix stratégiques de la recherche, des crédits en hausse pour l’Université mais qui sont à mettre en relation avec l’explosion des effectifs étudiants, la volonté de voir des jeunes disposer de crédits autonomes. Et le pire : autoritarisme, règlement de comptes stupides comme l’attaque contre les thésards du CEA, tentative maladroite – et ratée – de réforme du CNRS, chantage aux crédits – « pas de réforme, pas d’argent » –, intrusion personnelle et rugueuse dans les programmes spatiaux qui entraîne le Cnes dans l’impasse d’une mission martienne jamais réalisée. Son refus de lancer le synchrotron Soleil (un accélérateur de particules, aujourd’hui en phase finale de construction dans l’Essonne) énerve jusqu’à ses derniers partisans. Au total, il gache une formidable occasion d’une réforme de l’ensemble du système d’enseignement supérieur et de recherche pour laquelle il disposait de tous les atouts : crédits, soutien politique, ministère unique. Comme le raconte en se moquant Cathérine Bréchignac, alors Directrice générale du Cnrs, « Claude il apporte des problèmes, et c’est aux autres de trouver des solutions. » Or, cette réforme est nécessaire, car il faut repenser le rôle des premiers cycles universitaires, ne plus faire face à l’évolution de leurs effectifs par le recours massif aux heures complémentaires, repenser les périmètres des organismes de recherche, mettre sur pied des politiques plus actives de valorisation. Il sera remplacé par Roger-Gérard Schwartzenberg pour calmer le jeu. Il le calme en lançant Soleil, en promettant un plan pluriannuel de l’emploi scientifique (abandonné par le gouvernement Chirac dès l’année suivante).

2002-2006 L’arnaque Chirac

Candidat, Jacques Chirac promet une grande politique scientifique et « 3% du PIB consacré à la R&D ». Réélu, il fait l’inverse. Baisse des budgets, gels des crédits votés, emplois stables sacrifiés au profits de CDD, limogeage de la directrice général du CNRS Geneviève Berger… l’arrivée de l’astronaute Claudie Haigneré au ministère, saluée d’abord avec une certaine perplexité par les journalistes spécialisés, tourne au cauchemar dès l’annonce de son premier budget. Je dévoile dans Libération le 31 juillet 2002- à la suite d’une fuite involontaire de Jean-Pierre Raffarin himself (je peux le révéler maintenant, il y a prescription) oubliant dans un avion le fax que lui envoie la ministre qui proteste très mollement contre ce massacre et n’en propose qu’un habillage politicien afin de le masquer au maximum à l’aide d’astuces de présentation.

Exaspérés, les scientifiques se lancent dans un mouvement de protestation sans précédent. Ils créent l’association « Sauvons la Recherche », dont Alain Trautmann sera un porte parole d’une très grande efficacité, organisent une démission massive des directeurs de laboratoires en mars 2004, manifestent dans la rue à la veille des élections régionales, obtiennent le soutien de grands noms de la science, des sociétés savantes, de l’Académie des Sciences où Etienne Emile Beaulieu et surtout Edouard Brézin se mobilisent, de l’opinion publique et de nombreux organes de presse. Libération n’est pas le dernier, je m’en occupe avec ardeur.

Piteusement, au lendemain des élections régionales et cantonales, Jacques Chirac fait marche arrière, désavoue son premier ministre Jean Pierre Raffarin, exfiltre Claudie Haigneré du ministère, rétablit les postes transformés en CDD, crée 1000 postes supplémentaires pour les universités... et promet « une grande loi pour la recherche ». Les scientifiques se mobilisent pour des Etats-Généraux, tenus à Grenoble en novembre 2005 afin d’en proposer le contenu. Ils pourraient croire avoir gagné.
Las, voté sous la houlette d’un nouveau duo ministériel (De Robien et François Goulard), le Pacte pour la Recherche n’opère qu’un rattrapage budgétaire des coupes précédentes et met en place des structures - Agence nationale de la recherche, Haut conseil de la science, Agence d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche - qui détournent complètement le sens des réformes proposées par les Etats Généraux, en visant le double objectif d’un contrôle politique accru sur la distribution des crédits au nom d’une « réorientation » de la recherche et des dépenses publiques vers les « besoins économiques », en réalité vers les entreprises privées, et d’une précarisation massive de l’emploi des jeunes chercheurs.

Et Nicolas Sarkozy arriva

Le Président de la République élu en 2007 l’affirme : « l’enseignement supérieur et la recherche sont notre priorité absolue ». Difficile de comprendre pourquoi, alors, universitaires et chercheurs manifestent avec autant d’ardeur. Sans revenir en détail sur un mouvement en cours et dont on trouvera sur ce blog une relation détaillée, il est clair que l’UMP et son Président considèrent qu’il est temps de remodeler ce secteur selon leurs analyses et objectifs politiques, économiques, idéologiques. Ils bénéficient d’une situation en or pour y parvenir : la gauche n’ayant pas conduit les réformes nécessaires et le système fonctionnant en grande partie à l’inverse de sa conception (les IUT, par exemple, étant devenus des filières... sélectives et les formations généralistes des universités, censées dans un tel système recruter surtout des étudiants ayant le potentiel d’aller au moins à bac plus cinq récupérant tous les recalés de toutes les filières sélectives), il est possible d’argumenter sur une nécessaire tranformation en évitant le débat sur le contenu de cette dernière. D’où l’usage jusqu’à plus soif de la rhétorique de la modernisation et des réformes, bien connue de tous les analystes de sciences politiques. Ne s’y laissent prendre que les volontaires.

Habilement, Valérie Pécresse recrute un directeur de cabinet... chez les thuriféraires de Ségolène Royal, en la personne de Philippe Gillet, par ailleurs brillant géologue, directeur de l’ENS à Lyon, que j’ai bien connu lorsqu’il dirigeait l’Institut national des sciences de l’Univers au Cnrs. La ministre développe d’emblée un discours volontariste, annonçant une manne budgétaire sans précédent, des réformes visant à « libérer » les scientifiques de la bureaucratie, et une révolution fondée sur la « confiance » du gouvernement envers les universitaires puisqu’il leur confie des Universités « autonomes ». En outre, dans ses premiers contacts avec les journalistes spécialisés, elle joue la carte de la ministre qui va enfin défendre la science contre les obscurantismes, affirme une volonté de s’impliquer à fond dans les dossiers et d’obtenir des résultats. Volontarisme et ardeur au travail dont il faut lui donner acte, tant ils n’ont pas été si fréquents dans le passé.

La suite fut malheureusement ce que l’on sait. La LRU va confondre l’autonomie de gestion nécessaire et un réforme de gouvernance beaucoup trop marquée par l’obsession d’obtenir un pouvoir fort. On en voit l’effet avec la situation ubuesque de Paris-7 Diderot où un président (Guy Cousineau) qui a perdu la majorité du Conseil d’administration en raison de nouvelles élection peut, juridiquement, se maintenir à son poste. Les budgets seront mirobolants à l’annonce, et beaucoup moins glorieux au résultat. L’emploi scientifique public sacrifié sur l’autel de la précarisation, avec un discours mortifère prétendant qu’il y a assez de scientifiques en France et refusant d’augmenter le nombre de thèses financées.

La redéfinition de la carte universitaire, dont la nécessité est reconnue par de nombreux universitaires et scientifiques qui poussent à des recompositions, des fusions d’établissements, ne traite pas de manière franche le double problème majeur que constituent l’intégration des écoles d’ingénieurs et de commerce dans les universités et le devenir des formations à bac plus trois pour les étudiants qui s’en tiendront là.

La mastérisation du recrutement des enseignants se fonde sur une véritable arnaque sémantique : prétendre élever le niveau de formation alors qu’on le diminue. Reste le plan campus qui va permettre de renover et construire bâtiments, labos, logements étudiants dans certaines métropoles universitaires... Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse me permettront de remarquer qu’il n’y a pas grand mérite à rattrapper le temps et les budgets perdus en se contentant de vendre des actions d’EDF, merci le nucléaire pour ces milliards qui viennent en réalité des factures d’électricité.

Au moment où j’écris ces lignes, nul ne sait quel sera le devenir du mouvement de protestation contre cette politique, dans quelle mesure il parviendra ou non à infléchir la politique gouvernementale. Il est clair que son ambition scientifique est réduite, elle se limite à vouloir réorienter l’effort de recherche public vers les secteurs jugés plus décisif pour l’activité économique privée sans en élever le niveau global. C’est une stratégie qui présente certes un sens et donc peut obtenir, ici ou là, des résultats. Affronter les défis du 21ème siècle dans lesquels la science et la technologie peuvent jouer un rôle important - démographie, environnement, santé, emplois, climat, essor économique du Sud, gestion de ressources naturelles, développement culturel... - exige manifestement une autre ambition.