Accueil > Le mouvement de 2009 > Actions / Courriers / Réponses individuelles et collectives > MERCREDI 18 MARS 2009 : OCCUPATION DE L’AERES À PARIS

MERCREDI 18 MARS 2009 : OCCUPATION DE L’AERES À PARIS

mercredi 18 mars 2009

Depuis 9h ce matin, l’AERES est occupée ce jour par une cinquantaine d’enseignants-chercheurs, de chercheurs et d’étudiants, qui y sont depuis l’ouverture.

Ils invitent leurs collègues à les rejoindre pour tenir une AG sur place, 20 rue Vivienne, 75002 PARIS (Métro Bourse).

"POURQUOI NOUS OCCUPONS L’AERES" : voir le document joint.

NB : la photo du panonceau d’entrée de l’AERES ("pour des raisons de sécurité merci de maintenir cette porte fermée") a été prise par Cyril Catelain (SLR).

Pour un compte rendu et une analyse de ce qui s’est dit à l’AERES ce jour-là.

Et voici le compte rendu des initiateurs de cette occupation :

Compte-rendu de l’occupation de l’AERES

Suite au tract « Pourquoi nous occupons l’AERES », nous revenons après quelques jours sur ce qui s’est passé mercredi 18 mars au matin. Le communiqué que l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur a bien voulu publier sur son site et sur le même sujet nous donne également l’occasion de quelques commentaires.

Nous étions une cinquantaine à nous présenter ce matin-là, 20 rue Vivienne, au siège de cet organisme destiné à étendre à la recherche et à l’enseignement les nouveaux dogmes bureaucratiques du management. Notre intrusion se passa le plus simplement possible. Avouons-le franchement, nous avons d’abord été surpris par le lieu et ses occupants. Nous nous attendions à tomber sur une coquille vide. Nous imaginions l’AERES fonctionnant essentiellement en externe grâce à la collaboration de quelques mandarins universitaires en fin de carrière ou d’experts de même nature. La surprise fût de découvrir des locaux vastes, luxueusement décorés (« attention aux œuvres d’art !!! »), bouclés en intérieur par un grand nombre de sas dont l’ouverture est commandée par badges à puce avec des caméras de vidéosurveillance. En ces lieux, du personnel, des responsables, et surtout un ballet incessant d’universitaires venus en réunion. Ce fut donc la découverte de l’univers de la bureaucratie managériale : sécurité, modernité, communication.

La communication, ce fut la grande affaire du jour. Le débat que nous demandions commença assez rapidement. Certes, le président, M. Dhainaut était resté caché dans son bureau, soit parce qu’il s’était perdu soit parce qu’il était trop timide, nous ne savons toujours pas. Mais quelques uns de ses dociles subordonnés vinrent débattre avec nous dans le hall. Dans une langue bien huilée de communicants, ils firent résonner pendant trois heures les mots clés « processus », « réglementation », « évaluation » et « production ». L’accumulation de nos témoignages sur le déroulement des visites AERES ne pesait rien face à leur monde de papiers : « Non, ça ne peut pas s’être passé comme cela, relisez les textes ». Quelques glissades les ont néanmoins trahis :

- « En quoi ça vous gêne, la concurrence ? Vous croyez que les prix Nobel ont coopéré pour l’avoir ? ». En somme, vive le darwinisme social appliqué à la recherche ! Soyons lucides, nous savons bien que le milieu des chercheurs est traversé par toutes sortes de mesquineries. Mais nos interlocuteurs ont bien l’intention d’instituer, d’organiser, de naturaliser la mise en compétition systématique.

- À notre mise en cause de la nomination des experts, ils donnèrent une réponse que seul un naïf accepterait : « Être nommé n’oblige pas à être servile ». Faut-il alors leur proposer la lecture de la fable de La Fontaine Le loup et le chien pour mettre à jour le ridicule de cette assertion ?

- Quant à leur responsabilité dans la gestion des laboratoires de recherche, ils se défaussèrent. Un post-doctorant les prit à parti : « Comment se fait-il que l’AERES qualifie d’immature toute titularisation avant quarante ans ? » Ils restèrent sans voix[1].

- Chose comique, un membre de l’agence européenne d’évaluation des agences d’évaluations (!) nous chuchota à l’oreille que l’AERES est loin de répondre aux standards européens en la matière. Nous n’espérons pas qu’elle y parvienne : l’AERES fonctionne déjà trop bien. Sa démarche de « qualité » s’inscrit d’ailleurs dans un contexte plus large d’imposition de normes managériales européennes (Processus de Lisbonne). Cet aspect sans doute trop humiliant n’a pas paru audible à nos interlocuteurs, partagés entre le déni et la bonne conscience. Ils se sont finalement estimés suffisamment irresponsables pour nous proposer d’ « aller manifester à l’ANR » (l’Agence Nationale de la Recherche, cad l’organisme qui oriente les recherches en spécifiant les critères de financement des projets). À bon entendeur...

Ils refusèrent presque toujours d’aborder les questions fondamentales, comme en témoigna leur silence gêné à la question des étudiants : «  pour vous, qu’est ce qu’une bonne recherche ? » Dans leur esprit, ils se contentent de délivrer une expertise neutre et le pilotage relève d’un autre service. Or il est bien évident que promouvoir une recherche « attractive », « productive » et « stratégique » (pour reprendre les termes de leur communiqué) élimine par définition toute recherche critique sur l’état du monde.

Face à ceux qui émettent des doutes, l’AERES affirme régulièrement que ses évaluations sont indépendantes. Nous demandons : indépendantes de quoi ?
Car au fond dans ce débat, il s’agit toujours d’organiser, de manière plus ou moins transparente, des procédures d’évaluation entre initiés (des managers, des scientifiques et des experts). Le grand absent, c’est donc toujours le peuple. Pour régler ce problème, il ne suffit pas de défendre la recherche publique, comme si celle-ci était systématiquement démocratique et émancipatrice. Rappelons que les recherches sur l’énergie nucléaire sont publiques –cela pourra d’ailleurs rester dans nos mémoires pour quelques milliers d’années.

Depuis cinquante ans, pour des raisons de stratégie géopolitique, toutes les grandes orientations en matière de science sont abandonnées aux impératifs de puissance militaire et industrielle. Vu l’état de la planète, un bilan sérieux de toutes les innovations technologiques qui ont été ainsi produites s’impose. Ce débat permettra de poser la seule question qui vaille : de quelles recherches avons-nous besoin ? Il y a là tout un pan de réflexions qui n’a été qu’effleuré lors ce débat. Créons l’occasion de nous y confronter pleinement.
Les initiateurs de l’occupation de l’AERES