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Universités et recherche, quelle issue pour un conflit qui dure ? - Sylvestre Huet, Sciences2, Libéblogs, 6 avril 2009

mardi 7 avril 2009, par Laurence

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Comment en sortir ? Qui veut vraiment en sortir ? Ces deux questions sont posées à tous les acteurs du conflit qui secoue les universités depuis dix semaines, un record depuis 1968.

Décrypter l’attitude du gouvernement pourrait sembler difficile. Valérie Pécresse et Xavier Darcos ont martelé que les réformes comme les décisions budgétaires étaient « bonnes et nécessaires ». Puis traité par le mépris les critiques. Commencé par ignorer le mouvement de contestation lorsqu’il a pris la forme d’actions dures avec les grèves entamées fin janvier et début février.

Depuis, les deux ministres ont joué le pourrissement, les manoeuvres en recul lorsque le maintien en position n’était plus possible, enfin usé des vieilles techniques (agiter la menace d’un semestre perdu pour les étudiants, faire pression sur les présidents d’universités pour qu’ils jouent aux gendarmes, user de la répression policière avec plus ou moins de doigté...) que tout gouvernement de droite se doit de mettre en oeuvre en pareil cas. En réalité, les deux ministres, et singulièrement Valérie Pécresse, ont un mandat clair, sarkozyste dans tous les sens du terme : ne pas céder.

Cette ligne dure procède de nombreuses raisons, dont la conviction que ces réformes sont nécessaires au projet sarkozyste de « rupture ». Une conviction fondée sur une analyse connue, mais également sur des positions idéologiques extrêmement solides : le monde de l’université et de la recherche doit se plier aux dogmes de la mise en concurrence des acteurs, au dépérissement des structures de co-gestion héritées de l’histoire, à des pratiques de direction managériales apprises dans les Grandes Ecoles (HEC, ENA, X, et non les écoles d’ingénieurs...), à des priorités fixées par les responsables politiques (plus de nanotechnologies, moins de sciences humaines). Parmi ces dogmes, l’un est parfois présenté sous son angle budgétaire - celui du blocage des effectifs d’universitaires et de chercheurs sur statut stable. En réalité, l’acharnement mis sur des effectifs dérisoires en termes budgétaires (les 130 postes liés aux chaires mixtes universités/organismes par exemple) au regard des sommes dégagées par ailleurs pour l’Agence nationale de la recherche montre qu’il s’agit moins d’argent que d’idéologie. Et tant pis pour l’efficacité.

Partie avec ce mandat, Valérie Pécresse ne peut en déroger sauf autorisation expresse de l’Elysée. D’où, par exemple, sa réaction lorsque, en discussion informelle, je lui demandais pourquoi ne pas lâcher sur les postes supprimés en 2009 ou les chaires. « Cela ne dépend pas de moi », répondait-elle. Il y avait là non un aveu d’impuissance ou d’un pilotage étroit de l’Elysée, mais le constat d’une ligne jaune. Le grain à moudre pour la négociation n’existe pas puique lâcher sur ces postes - ce qui a été fait in fine - aurait dû représenter un geste de début de discussion au lieu d’être présenté comme une concession finale, lâchée du bout des lèvres en guise d’os à ronger avant de retourner à son labo.

On retrouve la même ligne dure sur le statut des universitaires. Valérie Pécresse a raison de le présenter comme le « deuxième étage de la fusée LRU ». C’est honnête de sa part. Et c’est bien parce que la LRU est fondée sur une analyse et un projet qui posent plusieurs problèmes que la révolte universitaire contre le nouveau statut a été si large, allant dans un premier temps jusqu’à Autonome Sup et Qualité de la Science Française. Sa « réécriture », dont la dernière version analysée ici par Olivier Beaud, confirme son double objectif - budgétaire à court terme, de hiérarchisation accrue du monde universitaire sur un mode concurrentiel et managérial à plus long terme.

On retrouve la même rudesse du conflit sur la mastérisation. Sur le fond, il s’agissait pour le gouvernement d’utiliser une vieille revendication mêlant la reconnaissance salariale et la demande d’une qualification supérieure pour faire passer un dispositif permettant un gain immédiat en postes et ouvrant la voie à une possible défonctionarisation de la fonction enseignante. Les démentis outragés de Xavier Darcos sur ce dernier point n’ont aucune crédibilité, il suffit de se rappeler que les gouvernements de droite - et de gauche parfois - ont régulièrement créé des « stocks » de vacataires en situation de précarité que seule l’action syndicale a transformé en postes stables de fonctionnaires. Quant au niveau de formation, il suffit de jeter un oeil sur le contenu des concours proposé par Xavier Darcos et sur les délais imposés au monde universitaire pour concevoir les maquettes pour se convaincre qu’il s’agit là d’un sujet mineur pour le gouvernement.

Pour l’organisation de la recherche, l’ambition gouvernementale est de même niveau. Le Pacte pour la recherche, la création de l’AERES - agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur - de l’Agence nationale de la recherche, la recomposition du CNRS en instituts disciplinaires, la tentative de regrouper les sciences de la vie sous l’égide d’un INSERM lui même recomposé... tout cela procède d’un mouvement cohérent. Fondé sur une analyse et un projet : réorienter l’effort scientifique public dont on veut stopper la croissance vers l’innovation technologique au service de l’économie vue par les entreprises.

A cette rudesse gouvernementale, les mondes universitaire et de la recherche - souvent mêlés mais pas toujours - opposent une vive résistance qui s’appuie sur un désaccord massif avec les objectifs et la méthode. Une résistance plus vive même que ne s’y attendaient le gouvernement... et la plupart des initiateurs de cette révolte, personne parmi ces derniers, n’espérait qu’une grève lancée et tenue par les seuls universitaires puisse dépasser les deux semaines. Toutefois, la capacité du gouvernement à tenir ses positions a elle aussi été plus solide qu’ils ne le pensaient. En résumé, si les universitaires ont sous-estimé la fermeté du gouvernement, ce dernier a commis la même erreur en ce qui concerne la capacité de révolte d’universitaires attaqués dans leur dignité et non seulement dans les conditions d’exercice de leur métier. Il sera temps, lorsque la phase aiguë de ce conflit sera passée de s’interroger sur les raisons de ces forces et faiblesses, en particulier sur les difficultés que le monde syndical ou associatif des universités et de l’enseignement secondaire a opposées aux projets du gouvernement non seulement des refus mais également des projets cohérents répondant aux défauts, manques et insuffisances de notre système d’enseignement supérieur.

L’urgence est ailleurs, dans la sortie du conflit. Le gouvernement, jusqu’aujourd’hui a fait un choix violent : plutôt payer le prix politique, pourrir une année universitaire, dégrader la capacité de notre système à enseigner et chercher, que de vraiment reculer sur ses projets. Les universitaires engagés dans l’action, de leur côté, n’ont pas cédé à ce chantage, malgré le prix qu’ils payent en cours non donnés, recherches non conduites, mise en périls des relations collégiales indispensables à la vie des universités et laboratoires, risques personnels de carrière importants pour ceux qui sont montés en première ligne. Ainsi, le nouveau secrétaire général du Snesup FSU, Stéphane Tassel, lors d’une rencontre avec la presse vendredi, a clairement indiqué que la sortie de la crise, pour son syndicat, consiste en la prise en compte des revendications du mouvement de protestation. Un avis exprimé par une formule choc : « nous ne voulons pas une sortie de crise, nous voulons gagner sur nos revendications. »

Le bras de fer entamé le 2 février est donc toujours en cours... quel qu’en soit la forme.