Accueil > Revue de presse > Deux entretiens (Daniel Cohn-Bendit, François Dubet) et le compte rendu d’un (...)

Deux entretiens (Daniel Cohn-Bendit, François Dubet) et le compte rendu d’un ouvrage sur la manipulation des statistiques par le MEN : trois papiers sur le site d’Educpros, 20 mai 2009

jeudi 21 mai 2009, par Laurence

I. Daniel Cohn-Bendit : "L’autonomie, c’est la parité des moyens pour toutes les universités, pas la hiérarchisation »

Daniel Cohn-Bendit a été le premier homme politique à soutenir les enseignants-chercheurs et les étudiants en lutte contres les projets de réforme de Valérie Pécresse et Xavier Darcos. Retour sur un engagement, bilan critique sur un mouvement, et idées pour l’avenir de l’université.

Vous être le premier homme politique a avoir manifesté son soutien aux enseignant-chercheur et aux étudiant pendant cette crise des universités. En quoi cette lutte méritait-elle votre soutien ?

Je crois qu’il y a une crise de la recherche, non seulement en France mais partout, et aujourd’hui les pouvoirs politiques – parce que ce n’est pas seulement la France – tendent à instrumentaliser, pour l’efficacité économique, la recherche. C’est une idée complètement sotte de la recherche. Par ailleurs, dans cette dimension d’instrumentalisation, on réduit les Sciences sociales, on les met particulièrement de côté, parce qu’elle ne sont pas efficaces. Donc je voulais vraiment apporter mon soutien : il faut avoir une réflexion générale sur la recherche et le rôle de la recherche dans notre société.

Il y a aussi, dans ce mouvement, une dimension que l’on peut qualifier de corporatiste. Une défense statutaire des enseignants chercheurs. Il y a aussi une critique de l’harmonisation européenne des diplômes, en tout cas des réformes qui ont été conduites en ce sens, notamment le LMD. On trouve également une défiance vis-à-vis de l’autonomie… Vous retrouvez-vous également dans cette dénonciation-là ?

Non. Je suis pour l’autonomie des universités. Je dis simplement que l’autonomie de l’université, ce qu’on appelle le processus de Bologne, et aussi le fait que tout étudiant ait le pouvoir de faire ses études dans toute l’Europe, c’est bien ! C’est juste ! Mais on a instrumentalisé encore une fois le processus de Bologne, pour une rationalisation économique de l’enseignement et des universités. Si bien qu’aujourd’hui, l’autonomie, en France, ça veut dire continuer la hiérarchisation de l’enseignement, notamment entre les Grandes Ecoles et les universités. On a les Grandes Ecoles, on aura les Grandes Universités, et on aura les universités lambda qui auront des moyens inférieurs. Cela, il faut le dénoncer. Donc oui à l’autonomie, parce que je crois que le monde scientifique, le monde de la recherche, a besoin de l’autonomie. Mais ça veut dire que l’autonomie, c’est la parité des moyens pour toutes les universités, et non pas la hiérarchisation des moyens. L’autonomie, c’est donner aux universités la possibilité de développer une identité propre, de faire un enseignement général et une spécialisation propres, une identé propre, que formulent les enseignant et auxquels peuvent participer d’ailleurs les étudiants.

Pour lire la suite

II. François Dubet, sociologue : "Les réformes de l’enseignement supérieur accompagnent une désacralisation de l’institution"

Enseignants-chercheurs et médecins hospitaliers manifestaient fin avril côte à côte. Une nouvelle manifestation les a réunis le 14 mai 2009. Pour le sociologue François Dubet, cette convergence n’est pas due au hasard. Dans son dernier ouvrage, il explique que les institutions qui cimentaient la société – l’école, la justice, l’hôpital... – ont perdu le « monopole des représentations ».

De l’université à l’hôpital, quel regard portez-vous sur la mobilisation dans ces deux institutions ?

Dans les deux cas, la fronde n’est au départ ni de droite, ni de gauche. Elle est conduite par les acteurs centraux de ces institutions : les professeurs d’université et les professeurs de médecine. Ils s’opposent à des réformes lancées sans aucun ménagement et, concernant les enseignants-chercheurs, avec une dose de mépris et d’humiliation de la part du président de la République. Mais, au-delà de la manière, ces réformes remettent en cause l’identité propre de ces acteurs en les obligeant à rendre des comptes. Car les règles ont changé.

C’est-à-dire ? Leurs métiers ont-ils changé ?

Les médecins comme les universitaires se sont longtemps définis par leur autonomie de fonctionnement : ils n’ont de comptes à rendre qu’à leurs pairs et à leur propre déontologie. Ils estiment qu’ils incarnent des valeurs fondamentales liées à leur discipline dont ils ont l’entière maîtrise. Nul autre qu’un médecin ou une infirmière n’est habilité à définir ce qu’est le soin. Nul autre qu’un professeur n’est habilité à dire ce qu’il est bon d’enseigner. Or, on touche au caractère quasi sacré de ces institutions.

Derrière cette crise, il y a la fin d’un modèle institutionnel : le professionnel, armé d’une vocation et appuyé sur des valeurs légitimes et universelles, mettant en oeuvre une discipline dont il incarnait l’intérêt général. En face, le discours du gouvernement est de dire que tout cela coûte cher et que chacun est responsable des résultats devant les usagers. Il leur est demandé que les étudiants trouvent un emploi, que les malades soient soignés aux meilleurs coûts. Cette obligation de rendre des comptes est comme une atteinte à la conception du métier.

Pour lire la suite

III. Ministère de l’Education nationale : au bon pouvoir des statistiques

Comment le pouvoir manipule les statistiques. Tel est le sous-titre de l’ouvrage Le grand trucage, à paraître le 14 mai 2009. Ecrit par un collectif de fonctionnaires de la statistique publique au bord de la crise de nerf, il dénonce les publications sur des thèmes sensibles annulées ou reportées, des changements d’indicateurs collant davantage aux objectifs politiques, le discrédit jeté sur des organismes produisant les statistiques… Exemples précis à l’appui, Lorraine Data - un pseudonyme - décrit des dérives gouvernementales pour contrôler l’information économique et sociale. Voici des extraits centrés sur la politique éducative de Xavier Darcos autour du lycée, analysée par les auteurs comme source d’économies budgétaires.

« La réduction du nombre d’enseignants demande un minimum de tact et diplomatie. Xavier Darcos a bien noté que ce qui coûte cher dans notre enseignement, c’est le secondaire et plus particulièrement le lycée. C’est bien là qu’il faut en priorité réaliser des économies et concentrer les attaques. Il reprend à de nombreuses reprises les mêmes constats : « Nous avons (dans le secondaire) un des meilleurs taux d’encadrement au monde : un professeur pour onze élèves » ; « un lycéen français coûte 22 % de plus que la moyenne des pays européens » ; « un lycéen français a jusqu’à trente-cinq heures de cours par semaine ».

Pour lire la suite