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Les primes individuelles : la corruption du service public par le clientélisme - Réinventer l’université (Paris VI), 28 septembre 2009

mardi 29 septembre 2009, par Laurence

Passant outre l’opposition des syndicats lors du Comité technique paritaire, le président a fait adopter par le CA du 6 juillet (13 voix contre 7) le nouveau système de primes des enseignants-chercheurs. Comme le permettent les nouvelles "compétences élargies" de la loi LRU, l’université a également décidé de se passer de l’avis de l’instance d’évaluation nationale (i.e. le CNU) pour l’attribution des primes : le processus et les critères d’attribution seront donc entièrement locaux. Il va sans dire que les élus de Réinventer l’Université se sont vivement opposés à ces dispositions et ont voté contre. Un système voisin de primes individualisées est en cours d’adoption pour le personnel BIATOSS, promu pour l’occasion à la distinction de "personnel d’appui". Les EPST, CNRS, INSERM …, suivent le mouvement.

Ce dispositif, c’est la mise en musique du principe : “moins de fonctionnaires dont certains (pas tous) seront mieux payés par le biais des primes”. Pour faire passer plus facilement cette politique, le ministère et l’université ont mis la main à la poche : augmentation de 60% de l’enveloppe des primes pour les enseignants-chercheurs, de plus de 30 % pour les BIATOSS. On pourrait s’en réjouir si cet argent n’avait pas d’odeur. Mais l’origine de ces sommes est bien connue : après avoir prétendument gelé, mais en réalité diminué, le nombre de postes statutaires (20 postes d’enseignants-chercheurs perdus en 2009 à Paris 6), le ministère accorde comme pourboire une enveloppe de primes aux universités dociles qui ont demandé les « compétences élargies ». Quant à l’université, elle rajoute sa part en ne pourvoyant pas de postes BIATOSS et en externalisant à tout va pour récupérer la masse salariale. Cet argent, c’est le salaire des absents, ces collègues qui n’ont pas été recrutés faute de postes. Cet argent, c’est aussi celui qu’on a économisé en laissant nos salaires se dévaloriser.

Pourtant, il n’y en aura pas pour tout le monde, loin de là ! Pour cette année, il y aura en tout 100 primes pédagogiques (PIP) et seuls 30% des Maîtres de conférences auront une prime de recherche (PIR). Ce sont donc au moins les deux tiers qui n’auront rien.

Qui choisira les heureux bénéficiaires ? La haute Nomenklatura qui bénéficie de primes automatiques substantielles (de 7000 à 40000 euros), échappe à toute évaluation pour mieux peser sur la distribution des primes aux personnels. On a vu plus haut qu’il n’était pas même question de recueillir l’avis du CNU (nous sommes les meilleurs : à quoi bon demander leur avis à des gens qui sont moins bons que nous !). Les commissions d’attribution seront principalement composées de notables (directeurs d’UFR, de labo, d’EFU, membres de directoires etc.) et de nommés (ces deux conditions n’étant pas exclusives). Mais peu importe la composition de ces commissions puisque c’est le président qui aura le dernier mot, tout comme pour les promotions : on a vu qu’il n’a pas hésité à récuser le classement d’un de ses comités d’experts pour les promotions en classe exceptionnelle. Inutile donc de perdre trop de temps à remplir avec soin un dossier, allez plutôt revêtir votre habit de courtisan, et préparez de quoi médire en haut lieu sur vos collègues.

Alors, devons-nous nous prêter au jeu des primes ou refuser d’y participer ? Certains estimeront qu’il est vain de se sacrifier, d’autres refuseront de cautionner un système clientéliste.

Pour lire la suite sur le site de Réinventer l’université (Paris VI). Réinventer l’université : Enseignants Chercheurs de l’Université Pierre et Marie Curie - Paris 6

Le président de l’Université Paris 6 a répondu au refus des nouvelles primes mises en place sous la forme d’un article au modeste titre : "La vérité sur les primes" :

Les primes sont vieilles comme la fonction publique, elles correspondent le plus souvent à des fonctions : prime de mécanicien, de chaussure, de nuit, d’informatique, d’enseignement, de recherche, primes spécifiques de bibliothèque, etc. Plus d’un millier de primes de fonction existent. Elles sont souvent le résultat de luttes syndicales et sont défendues comme telles. Elles sont toujours réservées à une catégorie de personnel et en excluent d’autres, c’est fonction… de la fonction, enfin presque toujours ! Pourquoi les primes prolifèrent-elles dans la fonction publique ? Parce qu’à cause de la grille, les fonctionnaires sont recrutés par des procédures très générales à un niveau plutôt bas qui ne correspond que de très loin à la variété des métiers et des responsabilités que le monde moderne a engendré. Cela explique pourquoi, lorsque les personnes sont recrutées par contrat, le contrat explicitant clairement la fonction et/ou les responsabilités à exercer, la rémunération correspond à la fiche de poste et les primes de fonction n’ont pas de raison d’exister.

A côté de ces primes de fonction, il a toujours existé des distinctions entre ceux qui s’investissent le plus dans leur travail et ceux qui s’investissent plus à l’extérieur de leur cadre professionnel, aucune organisation ne peut survivre si elle rémunère de la même façon ceux qui travaillent très efficacement et font progresser toute une équipe, ceux qui effectue leur travail normalement et, a fortiori, ceux dont le travail est insuffisant. Cette distinction prend plusieurs formes, avancement au petit choix, grand choix, accéléré, prime de résultat, avantages en nature, etc.

Comme il est toujours désagréable de voir quelqu’un promu ou toucher une prime que l’on n’a pas, car cela implique une appréciation sur son propre travail que l’on ne souhaite pas forcément connaître, le langage populaire dévalue cette forme de gratification sous le nom de « prime de gueule » ou quand elle résulte de l’appréciation d’un supérieur hiérarchique, ce qui est assez souvent le cas, de « prime à la lèche ». Il ne faut pas se laisser abuser par ces appellations, mais il faut bien reconnaître que les primes d’investissement demandent la plus grande rigueur dans leur gestion et que, si leur rôle d’encouragement à l’investissement dans la qualité de l’exercice du métier est indispensable, elles ne doivent pas pour autant devenir la part la plus importante des primes.

Ce que nous proposons à l’ensemble du personnel de l’UPMC distingue donc soigneusement deux types de primes.

Les enseignants-chercheurs

Pour les enseignants-chercheurs, il existe une prime de fonction, dite prime de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), intégrée dans le salaire, elle est uniformément de 600€ par an. Par parenthèse, cette prime est aussi versée aux enseignants-chercheurs qui ne font pas de recherche, ce qui est une grande injustice car avec des salaires horaires nets de 150€ à 200€, ces enseignants non chercheurs sont sans erreur les personnels les mieux payés de l’UPMC. Cette PRES ne couvre pas les responsabilités d’encadrement et de gestion si bien que l’Etat a créé des primes d’administration, pour les directeurs d’UFR et le CNRS, pour les directeurs de laboratoire. Nous proposons de revoir et d’unifier ces primes de responsabilité en trois niveaux, en fonction des responsabilités (en recherche ou formation), soit annuellement 3500€ ou 7000€ pour les responsables de composantes, laboratoires, département de formation etc. et 10000€ pour les vice-présidents. La prime du président est, à l’heure actuelle, de 15000€, les présidents des universités françaises sont très clairement sous-payés par rapport à leurs homologues étrangers et leur salaire horaire de l’ordre de 30€ net en fait un salaire de cadre pas spécialement élevé.

A côté de ces primes de fonction, et parce qu’elles sont versées à ceux qui s’investissent très fortement en recherche, comme à ceux qui se contentent de regarder chercher les autres, l’état a créé dans les années 1990 une prime de résultat, la PEDR (prime d’encadrement doctoral et de recherche) de 3500€ annuel pour les maîtres de conférence et de 5000€ à 6630€ pour les professeurs. Cette prime est distribuée de façon extrêmement variable suivant les disciplines, de façon non transparente par des comités ad hoc du ministère. Nous proposons de mettre de l’ordre dans ces primes en stabilisant deux niveaux (3500€ et 7000€), non pas en fonction du grade (maître de conférence/professeur), mais en fonction de l’investissement réel. Des commissions d’établissement constituées en grande partie par des élus par leurs pairs, sont en train de se mettre en place pour attribuer cette prime d’investissement recherche dite PIR.

Ce serait une grande injustice que ceux qui s’investissent beaucoup dans la recherche aient une prime et que ceux qui innovent en enseignement, qui s’investissent beaucoup pour la pédagogie et le suivi des étudiants n’aient rien. C’est pourquoi nous avons créé la prime d’investissement pédagogique (PIP) avec les mêmes niveaux et les mêmes règles que la prime d’investissement recherche. C’est ainsi un dispositif innovant, transparent et juste que nous proposons à tous les enseignants-chercheurs. Les chercheurs sont pris en charge par leur organisme, cependant, ceux qui acceptent des fonctions exclusivement UPMC, de direction de département de formation ou d’UFR, directoires etc. pourront bénéficier des primes de responsabilité en formation (en recherche elle est en principe couverte par l’organisme de recherche).

Certains enseignants-chercheurs s’opposent à la politique des primes, invoquant le vieil argument de la division des travailleurs (voir photo). Ils oublient que le salaire égal pour tous est une utopie qui n’a jamais fonctionné, même dans les pays communistes et c’est aussi une grande injustice que de voir des enseignants-chercheurs faire leurs seules heures d’enseignement obligatoire et laisser le reste du travail aux collègues cependant qu’ils touchent le même salaire, voir qu’ils en gagnent un second à l’extérieur. Ce qui est détestable ce n’est pas le principe des primes, mais les trop grandes différences injustifiées. C’est pourquoi nous avons limité le montant des primes, nous les proposons quel que soit le grade et nous ferons en sorte que les propositions reposent sur des critères indiscutables. Nous avons aussi l’objectif de maintenir le nombre de prime d’investissement recherche au niveau pour les professeurs, mais d’augmenter sensiblement le nombre de maîtres de conférences qui en bénéficieront. La liste RU qui s’oppose fortement à la politique indemnitaire et qui n’a jamais protesté contre les injustices de la PEDR, qui n’est touchée que par 20% des maîtres de conférence, emploie l’argument démagogique que si nous fixons comme premier objectif de donner des primes à 30% des collègues, cela veut dire que l’UPMC juge que 70% sont mauvais. Sophisme ! Ce n’est pas parce que les enseignants du supérieur, contrairement à ceux du secondaire, n’ont pas de prime d’enseignement qu’ils sont mauvais enseignants !

Les Biatos et les contractuels

Passons aux primes des personnels non enseignants-chercheurs autrement dit les BIATOS et les contractuels d’appui à la recherche et/ou à l’enseignement. Les BIATOS disposent d’une prime statutaire mensuelle. Cette prime est fixée à un taux UPMC proche du taux moyen. Une différence cependant avec les autres établissements : pour des raisons de justice l’UPMC a entrepris depuis plusieurs années un alignement des primes ASU et RF, si bien qu’à grade équivalent, prime comparable. Cette prime mensualisée ne sera pas diminuée et le travail d’alignement se poursuivra ce qui entraînera une augmentation progressive pour certaines catégories RF puisque les ASU ont été revalorisés.

A côté de la prime statutaire existe une prime de fonction ou de responsabilité : la NBI. Cette prime est mensualisée et payée en points d’indice. Cependant, telle qu’elle est actuellement, limitée par les dispositifs nationaux, elle ne peut pas couvrir toutes les fonctions demandant des responsabilités et son montant est souvent trop faible. C’est pourquoi nous proposons que soit créée une prime d’exercice des responsabilités, incluant et complétant la NBI. Cette prime sera payée en fonction de la cotation des postes quel que soit le grade de l’agent. Cela nous permettra enfin de reconnaître le rôle des agents B et C quand ils exercent des fonctions à responsabilités importantes en attendant que la fonction publique se décide à débloquer les promotions. C’est une oeuvre de justice. Cette prime sera mensualisée comme la NBI. La cotation des postes sera faite dans les commissions, dans lesquelles les organisations syndicales qui le souhaitent seront représentées.

Enfin, comme pour les enseignants-chercheurs, et comme c’était le cas auparavant, une prime correspondant à la « façon de servir » pour reprendre le vocabulaire de la fonction publique ou à l’investissement dans les fonctions et responsabilités est maintenue. Elle sera rendue plus transparente et équitable que maintenant. Cette prime d’investissement dans la fonction (PIF) est proposée, suivant une cotation identique pour toute l’université, par le supérieur hiérarchique. Elle sera validée et homogénéisée par les commissions du personnel de composantes, puis par la DRH. Elle sera versée en une seule fois en décembre. Cette prime est aussi distribuée aux contractuels qui ont plus de neuf mois de présence à l’UPMC. En revanche, la prime d’exercice de responsabilités n’est pas versée aux contractuels puisque la fonction et les responsabilités sont prises en compte dans le contrat.

Voilà le dispositif que nous mettons en place, seuls les agents des bibliothèques qui ont des primes spécifiques restent en dehors pour l’instant. Pour la première fois le dispositif est identique pour les enseignants-chercheurs et les BIATOS, pour la première fois il est transparent et toutes les primes passent par des commissions (une ou plusieurs commissions du personnel seront élues dans les services centraux, elles existent déjà dans la plupart des UFR). Ce dispositif a été présenté au CTP le 1er juillet 2009 pour les enseignants-chercheurs et un avis a été donné par 10 voix pour, une abstention et 9 contre, et pour le CTP du personnel BIATOS le 24 septembre 2009 septembre, par 9 pour, 5 refus de vote, 5 contre et une abstention. Le CA s’est prononcé favorablement pour les enseignants-chercheurs le 06 juillet 2009 et délibèrera le 19 octobre 2009 pour les BIATOS.

Les commissions se mettent en place avec les représentants syndicaux qui le souhaitent (SUD, SLU, CGT et certains SNESUP militent pour la suppression des primes et la répartition égalitaire des fonds, ils ont en conséquence refusé de participer aux commissions). Nonobstant les manoeuvres dilatoires, les primes pourront être payées comme d’habitude en décembre.

Un effort budgétaire

Parlons budget, du côté des enseignants-chercheurs si l’on prend comme référence ce qui existait en 2008, les mesures supplémentaires sont la création des primes de responsabilité pédagogique ou de recherche, soit 600K€, l’augmentation du nombre de PEDR pour les maîtres de conférences qui devient « prime d’investissement recherche » (PIR) 617€, la généralisation de la prime d’investissement pédagogique (PIP) 370K€ et la revalorisation de certaines primes administratives 72K€, soit au total un effort supplémentaire de 1660K€ et un total indemnitaire de 6217K€. Du côté des personnels d’appui en prenant la même situation de référence de 2008, les mesures supplémentaires concernent l’alignement ASU-RF de la prime statutaire soit 860K€, l’extension de la NBI sous forme de prime d’exercice des responsabilités (PER) soit 800K€, l’augmentation de la prime d’investissement de fin d’année 40K€ et 400K€ pour les contractuels, soit au total un effort de 2100K€ pour un total indemnitaire de 7260K€ (les tableaux définitifs seront en ligne après discussion au CA et au CTP).

Comme chacun peut le constater, l’ensemble du dispositif est transparent, il repartit également l’effort entre les enseignants-chercheurs et le personnel d’appui, il vise à augmenter les bénéficiaires Maîtres de conférences et BIATOS de catégorie B et C, il représente un effort, une lisibilité et une volonté de justice sans précédent dans les établissements d’enseignement supérieur. On peut, comme « Réinventer l’université », demander à répartir également entre tous les agents le budget prévu, mais cela ne sert ni la justice, ni la transparence puisque l’expérience et l’histoire prouvent qu’on passe vite de l’utopie égalitaire aux arrangements entre amis de la nomenklatura.

Jean-Charles Pomerol,
président de l’UPMC