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Appel d’historiens pour la défense de l’histoire, 10 décembre 2009

mercredi 9 décembre 2009

« L’Histoire est la conscience de l’humanité » a écrit
il y a plus d’un siècle et demi le grand journaliste libéral Emile de
Girardin .

C’est à cette conscience de l’humanité que s’attaque
aujourd’hui le ministre de l’Education nationale Luc Chatel, diplômé
de marketing, ancien chef de produit, puis chef de groupe enfin
directeur des ressources humaines de l’Oréal leader mondial de
cosmétiques.

Une mise à mort programmée.

Il vient en effet d’annoncer sa volonté de rendre cet enseignement
optionnel en terminale S celle qui accueille plus de la moitié des
effectifs de l’enseignement général en terminale. En réalité cette
transformation en enseignement facultatif d’un enseignement jusqu’ici
obligatoire et figurant comme tel au baccalauréat préfigure sa
disparition définitive à moins que les enseignants s’appuyant sur une
mobilisation de tous les citoyens attachés à l’école républicaine ne
contraignent le ministre à renoncer à son projet. Luc Chatel croit
nous donner le change en annonçant le maintien voire le renforcement
de cet enseignement en première assorti d’une épreuve anticipée du
bac à la fin de cette année. Mais concentrer sur deux ans ce qui
s’étudiait en trois ans suppose inévitablement soit que l’on sacrifie
des pans entiers du programme d’histoire contemporaine soit leur « 
compactage » en « thèmes » vagues et larges, propices à tous les
endoctrinements, où l’idéologie préétablie submergera toute
connaissance de faits objectifs.

On massacre l’enseignement de l’histoire depuis plus de trente ans

L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie dénonce à
juste titre ce dispositif et ses conséquences corporatives. Nous
voudrions ici souligner la continuité entre cette contre réforme et
celles qui l’ ont précédée : dès les années 1970, fut imposée en
primaire la dissolution de nos disciplines dans le brouet clair de « 
l’éveil » et au collège apparurent les « thèmes » diachroniques ; si
bien qu’en 1979 Alain Decaux pour le grand public, Pierre Goubert
avec le prestige que lui conféraient ses travaux universitaires
sonnèrent l’alarme : on n’apprend plus l’histoire à vos enfants.

Le lycée épargné jusque là subit à son tour l’assaut des
démolisseurs : en 1995 le ministre Bayrou bouleverse les programmes
de seconde sous prétexte d’y introduire l’enseignement du « fait
religieux » et afin de souligner les hypothétiques racines communes
aux nations européennes et en particulier leurs prétendues racines
chrétiennes. Cela nous valut un programme à thèmes totalement
désarticulé sans aucun souci de cohérence chronologique et
interdisant par conséquent toute appréhension de la causalité en
histoire : le citoyen à Athènes au V° siècle, naissance et diffusion
du christianisme, la Méditerranée au XII° siècle, carrefour de trois
civilisations (souligner les fondements religieux et politiques),
Humanisme et Renaissance, la Révolution et l’Empire...
Pour faire face à l’indifférence croissante des familles et des
jeunes à l’égard des questions religieuses dans une Europe de plus en
plus sécularisée, on choisit de les aborder par le biais du culturel
ce qui nous valut de beaux chapitres magnifiquement illustrés sur la
Renaissance artistique des XV° et XVI° siècles mais au prix d’un
escamotage des questions suivantes : la découverte de l’Amérique, le
commerce transatlantique et la traite esclavagiste, l’effacement de
la Méditerranée au profit des Etats situés sur la façade atlantique !
Le chapitre traditionnel sur la société d’Ancien régime passait lui
aussi à la trappe, on étudierait désormais la Révolution en omettant
de rappeler précisément ce qu’était cette société du privilège
qu’elle abolit en proclamant l’égalité en droits !

Nouvelle offensive en 2003 : au nom de l’approche thématique, on
imposa aux élèves de première littéraire et économique et sociale
d’étudier l’histoire du premier XX° siècle avec la grille de lecture
suivante : « guerres, démocraties et totalitarismes » (1914 1945).,
inspirée directement par le révisionniste allemand Ernst Nolte.

Cette confusion délibérément entretenue entre nazisme, fascisme et
stalinisme au nom du fumeux concept de totalitarisme faisait fi des
circonstances historiques différentes qui avaient présidé à la
naissance de ces régimes, ignorait les forces sociales qui les
soutenaient, les objectifs poursuivis, l’un menant à la chambre à gaz
et l’autre au camp de travail suivant la formule de Raymond Aron. Cet
envahissement majeur du thème du totalitarisme permettait de gommer
le rôle des magnats de la sidérurgie allemande dans la venue au
pouvoir de Hitler, d’effacer le lien entre la grande crise de 1929 et
la marche à la seconde guerre mondiale ! Celle-ci disparaissait des
programmes de troisième et devenait une crise comme une autre, un
accident de la croissance en première ! D’une manière générale, les
faits économiques et les luttes sociales n’étaient plus mis en
rapport avec les évènements politiques, et la trame chronologique
était disloquée par ces fameux thèmes, interdisant de fait aux
lycéens de première de trouver une quelconque causalité dans
l’enchaînement des événements.

La fin de l’histoire ?

Ce fut le pronostic émis par l’illuminé Fukuyama saluant la chute du
mur de Berlin et la désintégration de l’URSS - deux événements de
nature et de portée différentes -comme l’avènement d’une ère paisible
pour un capitalisme sans entraves et sans crises...Or depuis 1989 les
guerres n’ont pas manqué ni les crises économiques. Néanmoins nos
ministres de l’éducation nationale persistent. Luc Chatel veut
aujourd’hui parachever l’oeuvre entreprise depuis près de quarante
ans, de mettre à mort l’enseignement de l’histoire et de la
géographie. La contre réforme de Luc Chatel annonce le coup de grâce.

« Celui qui ignore son passé est condamné à le revivre. »

Veut-on condamner la jeune génération à revivre la grande crise de
1929 ? Veut-on rendre inévitable la marche à de nouveaux
affrontements guerriers, pour le pétrole, pour l’eau, pour les métaux
rares, le tout déguisé en conflits de civilisation ? Ou en « lutte
contre le terrorisme » ?

Le président de la république préfère les curés aux instituteurs.

Avec Condorcet nous pensons que la théologie n’a rien à faire dans
l’instruction publique et que celle-ci, gratuite, générale, laïque et
obligatoire est due par la république à tous les jeunes, les futurs
citoyens.

Nous rejetons les affirmations intéressées de ceux qui prétendent que
pour « rétablir le lien social » il faille développer le sens du « 
sacré » et souligner les « fortes valeurs fédératrices » des trois
monothéismes, (tu ne tueras point, tu ne voleras point, tu aimeras
ton prochain, vaste programme ironise Paul Veyne, et qui n’ a jamais
empêché les clergés de tous bords de bénir les guerres, les
guerriers et les financiers ...)

Avec les grands révolutionnaires de 1789-1793, nous pensons que les
hommes, les femmes et en particulier les jeunes générations ont
besoin d’être éclairés et non pas endoctrinés, comme avant-hier sous
Pétain sous la bannière du Sacré Coeur et du culte du chef,
aujourd’hui sous le drapeau de l’Education civique moralisatrice
façon patronage, où la tolérance, la solidarité et le développement
durable sont chantés sur tous les tons : pendant que de multiples
associations s’invitent dans les classes pour « construire un puits
au Burkina Faso », on néglige d’enseigner aux collégiens la
géographie de l’Afrique et aux lycéens le rôle du FMI, de la Banque
mondiale et des multinationales dans le pillage de ce continent.

Nous invitons tous ceux qui croient encore aux valeurs républicaines
et démocratiques, à dire « halte au massacre de l’enseignement de
l’histoire et de la géographie » et, comme première mesure d’urgence
à signer la pétition de l’Association des professeurs d’Histoire et
de Géographie
qui exige le maintien de l’enseignement obligatoire
de l’histoire géographie en terminale scientifique. La jeunesse a le
droit de connaître le passé afin de pouvoir comprendre le présent et
s’attacher ainsi à ne pas revivre les désastres qui ont toujours
accompagné et suivi le déferlement de la misère, l’ignorance et
l’enrôlement des hommes et des femmes au nom de la race ou de la
religion ou de la terre.

Nous invitons ceux qui veulent se joindre à cet appel à le faire
savoir auprès de Nicole Perron 71 A rue de Talant 21000 Dijon
lucienperron@wanadoo.fr

Premiers signataires

Arrighi Paul, docteur en histoire

Barbe Michel, agrégé de géographie

Bartholy Marie Claude, agrégée de philosophie

Bélissa Marc, maître de conférences en histoire moderne, Université
Paris Ouest Nanterre

Bihr Alain, professeur de sociologie, Université de Franche Comté.

Bourdin Gérard, historien, Institut de l’histoire du temps présent,
Orne.

Cassard Jean Pierre, professeur agrégé d’histoire géographie,lycée
Jules Ferry Saint Dié des Vosges

Collin Denis, agrégé de philosophie docteur en Lettres et Sciences
humaines

Dauphin Odile, coordinatrice du livre collectif L’enseignement de
l’histoire-géographie de l’école élémentaire au lycée, vecteur de
propagande ou fondement de l’esprit critique ? paru en 2009 à
l’Harmattan

Delmas Luc, professeur agrégé, docteur en histoire

Excoffier Christine, professeur d’histoire géographie, lycée Périer à
Marseille

Grumberg Pierre, journaliste à Science et Vie, après des études
d’histoire

Janneau Rémy, agrégé d’histoire, ancien professeur à l’IUFM de Basse
Normandie

Forey Elsa, professeur de droit public, Université de Franche Comté

Labrasca Franck, professeur de lettres à l’Université Rabelais Tours

Lescot Claudie, professeur au collège Sonia Delaunay, en ZEP, Paris,
XIX° arrondissement.

Maillard Nicole professeur d’histoire géographie en collège, retraitée

Marie Jean-Jacques, agrégé de lettres classiques, historien de la
révolution russe

Moatti-Gornet Danièle, agrégée d’histoire, docteur en philosophie,
professeur au lycée Simone Weil à Paris

Molénat Jean Pierre, agrégé d’histoire, docteur d’état, directeur de
recherches émérite au CNRS spécialiste de l’islam médiéval

Perron Nicole, agrégée, historienne de la révolution française

Quentin Bernadette retraitée PTT-FT

Rittersporn Gabor chercheur au CNRS, Centre d’études des mondes
russe, caucasien et centre européen, histoire socio-culturelle de la
civilisation russe

Rochedy Patric, conteur

Sebban Serge, professeur au lycée Bergson, Paris XIX° arrondissement.

Schiappa Jean Marc, historien des babouvistes, président de
l’Institut de recherches et d’études de la Libre pensée

Verlhac Martine, professeur honoraire de philosophie en première
supérieure.