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Formation des enseignants : les mystères de la mastérisation (2) Un « métier qui s’apprend »… mais à quel moment ? Luc Cédelle, blog "Interro Ecrite", 5 mars 2010

samedi 6 mars 2010, par Mathieu

Le premier volet de ce billet est paru le 4 mars.

Le ressentiment des universitaires sur la « mastérisation » se nourrit aussi de leurs désaccords persistants avec le gouvernement sur la refonte des concours de recrutement des enseignants. Le changement apporté en amont des cursus étudiants par la réforme impliquait une adaptation des concours eux-mêmes. Dès l’été 2008, la querelle fut portée à ébullition entre les deux camps en présence : les tenants du « tout disciplinaire », que le gouvernement pensait combler en coupant la tête des IUFM, et ceux de la « professionnalisation », acculés à vendre chèrement leur peau.

Les premiers, en sonnant l’alarme contre la « dénaturation » des concours, en exploitant la thématique à la fois conservatrice et néo-gauchiste de la « destruction des savoirs », très populaire en milieu intellectuel, ont contribué au mouvement universitaire. Les seconds aussi… mais sur des bases différentes, voire inverses. Les enseignants et étudiants des IUFM ont créé leur propre Coordination nationale de la formation des enseignants (CNFDE), représentée au sein de la Coordination nationale universitaire (CNU).

C’est sans difficulté, en douceur, qu’ils ont imposé au printemps 2009 à l’ensemble du mouvement leur principal et imparable mot d’ordre : « Enseigner est un métier qui s’apprend ». Les membres des IUFM et leurs ennemis traditionnels se sont donc retrouvés au coude-à-coude dans un même élan contestataire, apprenant à faire connaissance et même - ô miracle - à se porter un début d’estime réciproque (phénomène que j’avais déjà évoqué au printemps dans un billet ). Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette réforme.

Vérifier la capacité à enseigner ?

Entre la priorité aux disciplines et la priorité au métier, le gouvernement a finalement, à la rentrée 2009, pris ses décisions sur les concours en coupant la poire en deux. Les « arbitrages » ainsi rendus, estimait fin novembre le recteur William Marois, s’exprimant en défense de la réforme, témoignent d’un « bon équilibre entre la composante disciplinaire, présente dans l’admissibilité, et la composante professionnelle, validée par l’admission ».

Aucun camp, bien sûr, n’est satisfait de ce résultat mitigé. Chacun trouve néanmoins que c’est « moins pire » qu’il le redoutait… mais suffisamment grave pour maintenir son opposition.

Les « sociétés savantes » qui regroupent les universitaires par disciplines (environ 10% d’entre eux y adhèrent), ne cessent de protester contre la « dénaturation » des concours et considèrent tout ce qui n’est pas strictement académique comme participant de cette dénaturation. Leurs membres ne sont pas choqués, par exemple, à l’idée que l’on puisse recruter un fonctionnaire pour quarante ans d’enseignement sans vérifier, au-delà de ses connaissances académiques, sa capacité à enseigner. Plus précisément, ils jugent que ce type de vérification doit se faire ultérieurement, de manière déconnectée du concours.

A l’extrême opposé, les syndicats d’enseignants SGEN-CFDT et SE-UNSA trouvent insensé que des concours de recrutement d’enseignants ne soient pas centrés sur la capacité à enseigner. Ces deux pôles se rejoignent pourtant dans une commune opposition à la réforme. Si l’ensemble du mouvement universitaire a aujourd’hui admis qu’enseigner est « un métier qui s’apprend », les uns pensent qu’il doit s’apprendre avant d’être recruté et les autres après.

Des positions de synthèse sont certes imaginables, comme un pré-recrutement suivi d’une entrée progressive et non automatique dans le métier, mais elles sont toutes coûteuses en temps de formation et en postes d’enseignants, donc parfaitement incompatibles avec la démarche gouvernementale actuelle.

Une armée de “reçus-collés” aux portes de l’éducation nationale ?

La contestation universitaire de la mastérisation a eu une autre conséquence : l’accusation portée à l’encontre du gouvernement de vouloir « supprimer à terme » les concours d’enseignement ou tout du moins les marginaliser comme voie d’accès privilégiée à l’enseignement. Cette accusation s’appuie sur l’idée que le nouveau système de formation devrait mécaniquement produire des dizaines de milliers de « reçus-collés », titulaires d’un master d’enseignement, ayant effectué des stages et suivi différents modules de pré-professionnalisation, mais recalés au concours.

Selon ce raisonnement, ces reçus-collés, plutôt que d’accepter de se réorienter, vont se presser aux portes de l’éducation nationale en faisant valoir leur qualification en matière d’enseignement, objectivement supérieure à celle des actuels vacataires et contractuels ou à celle des anciens maîtres-auxiliaires.

Le gouvernement, déjà engagé dans un projet de « précarisation » générale des emplois publics, saisirait alors cette opportunité pour faire embaucher massivement des enseignants sous-qualifiés, sous-payés et surtout non couverts par le statut de la fonction publique. Ce projet inavoué serait facilité par l’accroissement de l’autonomie des établissements scolaires, laquelle irait jusqu’à instaurer l’embauche directe des enseignants par les chefs d’établissements, sur « liste d’aptitude ».

Certains universitaires engagés dans le mouvement présentaient, au printemps 2009, ce scénario comme une certitude. D’autres restaient plus prudemment, et plus honnêtement, sur le terrain des hypothèses. La thèse de la « suppression à terme » des concours n’en a pas moins acquis le statut d’une évidence au sein du mouvement universitaire, dont les participants n’accordent strictement aucun crédit aux démentis apportés par le gouvernement sur ce sujet.

Le concours, une “religion” française

Cette thèse trouve un point d’appui dans une réalité : la remise en cause ou le bousculement par la droite au pouvoir de toutes les garanties statutaires, notamment à travers la RGPP (révision générale des politiques publiques). Mais, outre les démentis officiels (voir celui de Xavier Darcos en avril 2009), qui ne peuvent tout de même pas être considérés comme inexistants, elle se heurte à des objections de taille : la « religion » française des concours, aussi vivace à droite qu’à gauche ; l’opposition prévisible du monde intellectuel de droite à un tel projet ; l’équivalence entre son éventuelle application et une mise en extinction de la fonction publique, qui poserait aux syndicats de fonctionnaires une question de vie ou de mort.

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