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"J’en suis à mon 26e CDD dans l’éducation nationale" - Article interactif, lemonde.fr, 9 mars 2010

mercredi 10 mars 2010, par Elie

Pour lire cet article sur le site du Monde.

Vacataires, contractuels, TZR (pour titulaire sur zone de remplacement)... Les appellations désignant les professeurs remplaçants renvoient à des statuts différents, mais à une réalité partagée : le sentiment d’être un enseignant "de seconde zone", toujours en "intérim". Alors que le ministre de l’éducation, Luc Chatel, souhaite s’attaquer au problème du non-remplacement dans l’éducation nationale, des professeurs remplaçants témoignent de leur quotidien.

TZR : les fonctionnaires bouche-trous, par Mohamed D.

Je suis professeur titulaire de sciences physiques depuis deux ans en étant titulaire sur zone de remplacement (TZR). Ce statut me paraît corrompu puisqu’il est né de la nécessité de remplacer les professeurs absents (congé de maternité, maladie ou autre). Or ce n’est pas son application, du moins dans mon cas. Je n’ai jamais remplacé personne mais je sers en fait de variable d’ajustement dans la dotation horaire des établissements : en somme, lorsqu’un chef d’établissement a besoin de six heures en physique par exemple, il le signale au rectorat, qui lui donnera un TZR pour six heures. Les TZR ne connaissent donc aucune stabilité dans les établissements (ce qui ne facilite jamais l’assise de l’autorité puisqu’on est perpétuellement "testé" par nos nouveaux élèves).

- Qui râle le plus fort obtient un remplacement, par G. S.

Je suis enseignant du premier degré affecté au remplacement d’enseignants partis en stage de formation continue (chaque enseignant du premier degré a droit à 36 semaines de formation au cours de sa carrière) en Seine-et-Marne. Mais dans les faits, la formation continue n’existe quasiment plus faute de crédits et j’effectue des remplacements de collègues malades. Le taux de remplacement est de plus en plus faible et nous sommes déplacés en fonction des réactions de mécontentement des parents : qui râle le plus fort obtient un enseignant au détriment d’autres secteurs moins mobilisés.

L’année dernière j’ai été affecté en urgence, fin février, hors de ma zone géographique, dans une classe qui n’avait pas d’enseignant depuis les congés de la Toussaint. Le nombre de remplaçants disponibles est tel qu’en Seine-et-Marne, la continuité de l’enseignement n’est plus garantie. Dans ma circonscription de référence, on compte chaque jour une moyenne de dix absences non remplacées chaque jour, avec un pic à dix-sept en février.

- Une situation écœurante, par Carine R.

Je suis TZR en lettres modernes depuis dix ans. Au début, la pénibilité du métier (essayez de prendre une classe de collégiens en ZEP en cours d’année…) était compensée par quelques "avantages" : des points pour les mutations, des indemnités correctes, parfois quelques jours de "vacances" entre deux remplacements épuisants. On a supprimé une bonne partie de ces avantages. En dix ans, j’ai eu en tout trois mois sans élèves, et la réalité, c’est qu’à peine un remplacement est fini, on nous appelle pour un autre. Avec des situations aberrantes : être appelée le lendemain de la rentrée de septembre pour un congé maternité prévu depuis avril ; être appelée un lundi (le remplacement précédent s’étant achevé le vendredi soir) pour remplacer une collègue absente depuis deux semaines. La situation actuelle est écœurante. Le rectorat supprime des postes de TZR à la pelle, et après, on se plaint que les profs ne sont pas remplacés. On fait appel à des vacataires sans expérience qui abandonnent devant la difficulté de la tâche : j’ai ainsi été le septième professeur de français d’une classe de quatrième difficile.

- Une aberration, par Thomas A.

Je suis professeur de lettres remplaçant TZR. Je suis rattaché à un collège dans lequel j’ai quelques classes, mais pas suffisamment pour couvrir mon service. On m’emploie donc à des tâches pour lesquelles je ne suis pas qualifié (tenir le CDI et former des élèves ne parlant pas français). En parallèle, depuis qu’une enseignante en lettres est partie en congé maternité dans ce collège, on a recruté une vacataire qui n’a jamais enseigné pour effectuer le service complet de la collègue arrêtée – alors même que j’ai des heures inemployées qui auraient pu servir à le pallier.

- La réalité d’un TZR lambda, par Vincent S.

Je suis professeur d’histoire-géographie et j’ai toujours été TZR. Cela fait plusieurs années que j’exerce dans deux établissements en même temps et ces affectations varient d’une année sur l’autre : en cinq ans, j’ai travaillé dans deux lycées généraux, quatre lycées professionnels et quatre collèges. Pratique pour le suivi des élèves ! Bien que titulaire d’un Capes d’histoire-géographie, je travaille régulièrement en lycée professionnel (normalement ces postes sont réservés à des enseignants spécialisés titulaires du concours CAPLP) : donc, la polyvalence est bien de rigueur.

Comment s’investir véritablement dans la vie d’un établissement et améliorer ses pratiques ? Comment construire sa vie quand on sait que les TZR peuvent être envoyés dans des zones limitrophes de la leur (donc, dans un rayon de près de 100 kilomètres, dépassant souvent les contours départementaux) d’une année sur l’autre ? Quant à la fameuse "sécurité de l’emploi", quid des contreparties ? Nous ne choisissons pas nos lieux de travail, sommes sous-payés au regard de notre niveau d’études, déconsidérés par les parents et notre métier est rendu de plus en plus difficile par les exigences qu’on nous impose et le public que l’on accueille. Mais je reste zen : j’aime (encore) mon métier.

- Il faut démarcher les établissements, par Karim G.

J’ai été vacataire pendant quatre ans en histoire-géographie dans l’académie de Bordeaux, pour moins d’un an d’activité dans mon cas. La gestion des vacataires est très opaque et varie d’une académie à l’autre, d’un rectorat à l’autre, d’un établissement à l’autre. A Bordeaux, il fallait s’inscrire sur un site en précisant son curriculum vitae et ses "préférences" et attendre… La seule condition était d’être titulaire d’une licence. J’ai attendu deux ans pour obtenir mon premier poste. Je préparais pendant ce temps-là le Capes et travaillais à côté comme portier de nuit.

J’ai compris en me renseignant à droite à gauche qu’il fallait directement démarcher les établissements pour espérer avoir un poste de vacataire. J’ai envoyé des lettres de motivation et j’ai finalement eu droit à un remplacement d’une semaine. La machine s’est enfin enclenchée et les années suivantes, je recevais des propositions plus régulières mais pas plus de quatre par an. La plupart sont impossibles : on vous propose parfois de faire deux heures de cours par semaine à une centaine de kilomètres de votre domicile. Or, un vacataire doit cumuler plusieurs activités pour vivre.

- Professeur contractuel, remplacement technologie en collège, par Mathieu L.

J’ai 26 ans et suis ingénieur en mécanique et énergétique de formation. Après mes études, j’ai travaillé quelque temps au Commissariat à l’énergie atomique, puis ai décidé de partir voyager. Dix-sept mois après, je suis revenu en France et me suis mis en quête d’un emploi. Mon souhait de changer de carrière conjugué à celui d’expérimenter l’enseignement m’a fait, un peu par hasard, devenir professeur contractuel. La démarche fut d’une simplicité déconcertante : j’ai pris contact avec le rectorat de Rouen et ai décliné mes compétences, essentiellement scientifiques. La personne m’a alors demandé mon CV et une lettre de motivation. Le lendemain, elle me recontactait pour me donner un rendez-vous avec un inspecteur d’académie pour un poste de technologie à pourvoir en ZEP au Havre. Je n’ai pas eu besoin d’expliquer cette subite volonté d’enseigner ou même de vanter mes qualités de pédagogie. L’inspecteur, très sympathique, me parla tout simplement du programme et me demanda de faire au mieux ! Quelques jours plus tard, je prenais mes fonctions.

J’ai alors préparé des cours de technologie via des ressources sur le Net et d’anciens manuels. Cette expérience dans un collège sensible a duré un mois et demi et fut très enrichissante. Voyant que tout se passait pour le mieux dans ce collège à dure réputation, le rectorat m’a alors proposé un autre remplacement dû à un départ à la retraite. Je suis actuellement en poste depuis deux mois dans ce collège toujours classé ZEP et ce jusqu’à la fin de l’année scolaire.

N’étant pas d’un naturel inquiet et aimant l’improvisation, cela ne m’a pas posé de problèmes. Mais je trouve tout de même inapproprié que l’on puisse enseigner à des élèves sans être un tant soit peu formé, ni même évalué sur ses qualités pédagogiques, indispensables à un bon enseignement.

- Un rôle dévalorisé et intérimaire, par Benoît-Jean C.

Professeur vacataire en collège et en centre de formation d’apprentis, les remplacements se font au pied levé, sans avoir le choix de sa zone. Les difficultés sont d’abord de reprendre un programme en cours, évaluer le retard des élèves, les habituer à de nouvelles méthodes. Cela demande une réelle adaptation que l’on acquiert lentement. Ensuite, le statut de vacataire décrédibilise face aux élèves et à la direction. Les élèves savent votre poste temporaire et en profitent pour bâcler leur travail et ne pas prêter attention aux cours. La direction vous traite comme un intérimaire de l’enseignement, jetable et facilement remplaçable, à qui on peut facilement reprocher les fautes, puisque sans défense. Enfin, le statut est précaire. Une fois la mission effectuée, il n’y a pas de possibilité de reconduite, malgré les efforts et la meilleure volonté du monde. Vous êtes envoyé ailleurs, ne pouvant pas progresser dans vos relations et votre travail, devant tout recommencer, avec de nouvelles méthodes et de nouveaux collègues. C’est un statut difficile, et sans avenir.

- No future, par Sébastien D.

Je suis enseignant vacataire en lettres-histoire dans un lycée professionnel, en poste depuis octobre pour six heures de cours (deux classes) dans l’académie de Créteil. J’ai la "chance" d’avoir presque un poste à l’année (enfin, j’en suis à mon cinquième CDD pour ce même poste). D’ordinaire, c’est quinze jours par-ci, trois semaines par-là. Dans ces conditions, il est impossible de s’intégrer à une équipe pédagogique ou de développer sereinement une relation avec ses classes. Donc, on bricole. Je cumule deux emplois précaires (je suis aussi assistant pédagogique) dans l’éducation Nationale et je ne gagne même pas le smic. Heureusement, comme je travaille depuis quelques années en lycée, j’ai d’excellentes relations avec mes classes, mais je n’ai aucune reconnaissance et aucun avenir (et ne suis pas payé pendant les vacances).

Aujourd’hui, le rectorat de Créteil envoie n’importe qui (avec une licence) pour enseigner. Dans de trop nombreux cas, c’est une catastrophe pour le prof et pour les élèves, mais ce n’est pas nouveau. Maintenant que les suppressions de postes ont atteint un seuil inacceptable, la situation ne va faire qu’empirer.

- Précarité et ingratitude, par Hélène A.

Je suis contractuelle dans l’éducation nationale depuis 2002 et je dois en être à mon vingt-sixième CDD. Je commence à avoir de l’expérience mais je n’ai pas la possibilité de faire évoluer mon statut sauf si je décroche enfin le Capes (mais en s’investissant pour les élèves, c’est difficile) et si je "rachète" mes années. Autant dire que lorsque notre président, lors du débat télévisé sur TF1, a promis de titulariser les contractuels, j’ai fondu en larmes et j’ai voulu y croire un peu car j’en ai ras le bol.

Chaque année c’est la même chose : au mois de septembre, on attend à côté du téléphone, espérant l’appel d’un établissement en détresse. Mais cela peut durer deux mois (pendant lesquels, bien sûr, les élèves n’ont pas de professeur). Et enfin ! On est appelé, à cinquante ou quatre-vingts kilomètres, mais c’est du boulot et on doit répondre positivement, sinon on n’est pas rappelé de sitôt. Souvent, on doit commencer dès le lendemain sans savoir ce que les élèves ont fait juste avant, sans connaître le code pour rentrer dans l’établissement, ni savoir faire marcher la photocopieuse.

Et les élèves dans tout ça ? Ils essayent de s’adapter comme nous, ils nous testent. Quand on est contractuel, on peut faire plusieurs rentrées dans l’année ! Et on a peu de soutien et aucune reconnaissance, même si on fait son boulot à fond, avec passion et dévouement pour les élèves. On a beau avoir des appréciations favorables, chaque année c’est la même chose, on repointe à Pôle emploi et on attend à nouveau, inlassablement.


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