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Lettre ouverte à M. Laurent Carroué, président du Capes externe d’histoire et géographie, Inspecteur général de l’Éducation Nationale, par Jean-Baptiste Bonnard, Didier Lett, Sylvie Steinberg et Michelle Zancarini-Fournel. 18 mars 2010

vendredi 19 mars 2010, par Elie

Monsieur le président,

Cher collègue,

Nous avons pris connaissance de votre note intitulée « De la rénovation du Capes externe
d’histoire et géographie » ainsi que de votre lettre de cadrage du 15 mars 2010, l’une sur la
« philosophie » du concours, l’autre plus technique. Bien que vous y apportiez un certain
nombre de précisions attendues sur la réforme du concours, nous aimerions obtenir quelques
éclaircissements supplémentaires, tant nous sommes, en tant que préparateurs aux épreuves,
perplexes devant certains de ses dispositifs et peu satisfaits des interprétations que vous en
proposez.

Présentant les épreuves elles-mêmes, vous expliquez que leur logique est de « mieux
distinguer ce qui relève des universités, qui ont la responsabilité de la formation initiale de
tous les étudiants (…) de ce qui relève de l’Éducation nationale qui a la responsabilité du
recrutement, de l’adaptation au métier et de la formation continue des professeurs
 ». Cette
formulation, nous l’avions déjà relevée sous la plume de M. Xavier Darcos, initiateur de la
réforme dite de la masterisation, et sous celle d’un certain nombre de conseillers et hauts
fonctionnaires en charge de ce dossier. Depuis un an et demi, elle ne laisse pas de nous
surprendre. Dans la situation qui a prévalu jusqu’à présent, il semblait naturel, étant donné le
niveau élevé d’exigence du concours et la nécessité de garantir la circulation de connaissances
valides depuis l’université jusqu’aux plus petites classes, que des universitaires corrigent les
épreuves écrites et siègent dans le jury d’oral – c’était même le gage d’une bonne préparation
aux épreuves. Laissez-vous entendre ici que cette situation devrait cesser ? Sinon, pour quels
motifs insistez-vous sur cette nouvelle répartition des tâches ? S’agit-il pour vous de jeter le
doute sur les capacités des universitaires à comprendre les critères de recrutement du
Ministère de l’Éducation Nationale dont ils sont, quels que soient les découpages ministériels,
eux-mêmes membres ? Doit-on comprendre que vous vous êtes rallié à l’idée que les
universitaires, y compris ceux des IUFM désormais intégrés aux universités, sont des
prestataires de service destinés uniquement à emplir des cerveaux de belles connaissances et
que seuls des tiers « recruteurs » sauraient sélectionner ceux de ces cerveaux qui seraient
habiles à organiser et transmettre ces connaissances ? Sur quels fondements théoriques une
telle partition entre savoir, capacité de transmission et adaptation à des critères (non formulés)
d’employabilité serait-elle possible ? À moins que les universitaires ne soient jugés par le
Ministère de l’Éducation Nationale insuffisamment « éthiques et responsables » ?

S’agissant des programmes eux-mêmes, vous indiquez que le fait qu’ils se réfèrent aux
programmes scolaires est un gage que soient articulés «  plus étroitement démarches et
contenus scientifiques et maîtrise et mise en oeuvre professionnelles
 ». Nous sommes là
encore perplexes : sur certaines questions présentes dans les programmes scolaires, la
recherche est pratiquement inexistante tandis que d’autres questions sont renouvelées par les
chercheurs sans qu’il y en ait la moindre trace dans les programmes scolaires. Certaines
périodes ont disparu ou quasiment disparu des programmes des collèges et lycées (par
exemple la formation des royaumes barbares ou même l’Ancien Régime français) tout comme
certaines aires géographiques. Quel genre de connaissances devons-nous dès lors dispenser à
nos étudiants durant leur cursus ? De solides connaissances sur des sujets jugés par eux
« inutiles » car impossibles à réinvestir dans une dissertation ou une leçon de Capes ou des
connaissances approximatives, vieillies voire périmées, mais qui auront une immédiate utilité dans la mesure où elles figurent dans les programmes scolaires ? Ayant reçu une telle
formation, sur quelle curiosité intellectuelle et à partir de quelles nouveautés de la recherche
les futurs enseignants pourront-ils fonder le renouvellement de leurs enseignements ? Mais il
est vrai que le Ministère de l’Éducation Nationale sera désormais seul en charge de leur
formation continue.

À propos de l’épreuve sur dossier d’oral, vous indiquez qu’il s’agit d’une épreuve
d’épistémologie, d’histoire des disciplines et de leur enseignement. Les candidats y seront
aussi invités à réfléchir sur les « finalités de leur enseignement (dimension didactique et
civique)
 ». Contrairement aux préparateurs d’autres Capes dont l’épreuve sur dossier était très
différente de ces indications, nous croyons être ici en terrain familier, si ce n’est qu’est
réintroduite la dimension didactique que les jurys antérieurs avaient écartée. Néanmoins, une
question nous taraude : comment ce premier exercice sera-t-il enchaîné avec la question «  agir
en fonctionnaire de l’État
 » ? Les candidats passeront-ils – ce n’est qu’un exemple – d’une
question sur l’historiographie de la Résistance où ils pourraient, comme c’était le cas
autrefois, montrer la difficulté de faire dialoguer histoire et mémoire à une question sur
l’injonction présidentielle de lire la dernière lettre de Guy Môquet à une date fixe de l’année
scolaire dans toutes les classes ? À quel genre de réponse le jury peut-il bien s’attendre ?

Vous vous félicitez ensuite de ce que le Capes sera désormais réellement bivalent. Certes, le
nombre des épreuves sera, comme pour tous les Capes, réduit à quatre quand l’ancienne
formule en présentait cinq qui, comme chacun en conviendra, est un chiffre impair. Mais ce
que nous observons quotidiennement dans les universités n’a rien à voir avec ce problème
d’arithmétique élémentaire : si les étudiants sont moins bien formés à la géographie qu’à
l’histoire, c’est que le choix des étudiants de géographie s’oriente davantage vers des
débouchés autres que l’enseignement et que les programmes de recherche des laboratoires de
géographie n’ont qu’un très lointain rapport avec la géographie scolaire. Pour remédier à ce
problème, il faudrait soit recruter dans les universités des enseignants qui s’intéressent à la
géographie scolaire, soit renoncer à interroger les candidats au concours sur cette géographie
scolaire. À supposer que les moyens et la politique de recrutement dans l’université
permettent de tels aménagements, il faudrait des années pour en voir les réels effets. En
attendant, dans la nouvelle architecture du Capes, on se contentera de pénaliser les étudiants
qui auront la malchance d’être évalués sur ce qu’ils ne maîtrisent pas et, au bout du compte,
plutôt que d’avoir à disposition des critères d’évaluation fiables, on écartera les bons étudiants
au profit des chanceux. Mais nous ne saurions évidemment, dans ce Capes « rénové », nous
mêler des critères d’évaluation.

Vous évoquez le nouveau calendrier des épreuves, dont, précisez-vous, le Ministère est seul
responsable (mais qui est le Ministère ?) À ce sujet, nous n’avons qu’une seule question à
vous poser : quand comptez-vous que nous fassions cours ? Si, comme vous l’écrivez, les
programmes seront connus au 15 avril de l’année même du concours, compte tenu des
impératifs des étudiants eux-mêmes qui doivent passer leur Master 1 en juin voire pour
nombre d’entre eux en septembre, de leur nécessité à gagner de l’argent pour financer une
année d’étude supplémentaire, du délai nécessaire aux préparateurs pour préparer des cours
avec un minimum d’avance, compte tenu du fait que les universités sont fermées en juillet et
août, que les enseignants-chercheurs ont pour mission de faire de la recherche, ce qu’ils font
également durant l’été, que les sessions de septembre les occupent dès le début de l’année
universitaire, il ne reste qu’un mois environ entre la mi-septembre et la mi-octobre pour
dispenser quelques cours, avant que les candidats ne se consacrent à leurs révisions pour
passer le concours en novembre. À moins que le Ministère de l’Éducation Nationale n’ait dans l’idée de laisser se développer des officines privées d’été pour régler une partie des
revendications salariales des universitaires, nous ne voyons pas bien comment des cours de
préparation à l’écrit pourront avoir lieu. Sans doute l’absence de préparation participe-t-elle
de l’élévation du niveau de recrutement ?

Sur la vitesse de rotation des questions, vous laissez le champ ouvert à diverses possibilités,
l’arrêté ministériel du 28 décembre 2009 n’ayant précisé qu’une chose : que leur
renouvellement doit être périodique. Cette incertitude pourrait révéler le degré
d’improvisation de cette politique de «  rénovation » des concours. Elle pourrait
éventuellement viser à montrer à quel point le Ministère est à l’écoute des critiques qui se font
jour. À nos yeux, cette incertitude est surtout un bon moyen de générer de l’angoisse chez les
étudiants et les préparateurs, qui se trouvent soumis à l’obligation de s’adapter trimestre après
trimestre aux errements du Ministère. Quand les universitaires se seront épuisés dans une
course à l’adaptation de leurs formations, quand les départements et les UFR se seront divisés
sur la réponse à apporter aux directives du Ministère, quand aura joué à plein la
culpabilisation des préparateurs sommés de « sauver » leurs formations et leurs étudiants face
à la concurrence de l’université voisine ou à la menace de fermeture (IUFM), de quelle
réserve d’enthousiasme et de dévouement disposerez-vous pour enseigner leur métier aux
plus jeunes ?

Vous concluez en vous disant «  conscient des difficultés qui peuvent se faire jour ». En fait de
difficultés, nous ne voyons que des impasses insurmontables, dénoncées par l’ensemble des
acteurs de la formation depuis plus d’un an. En fait de « novations », des nouveautés absurdes
qui mettent en péril le niveau de formation théorique et pratique des futurs enseignants,
l’entrée sereine dans leur métier de nos étudiants, l’avenir des Masters recherche, les
préparations à l’Agrégation dans les centres universitaires autres que parisiens et lyonnais,
pour nous en tenir à leurs effets les plus évidents et immédiats.

Dans l’attente de vos éclaircissements, nous vous prions de recevoir, Monsieur le président et
cher collègue, nos sincères salutations,

Paris, le 18 mars 2010

Jean-Baptiste Bonnard, MCF d’Histoire antique, Université de Caen, ex-membre du jury du
Capes

Didier Lett, professeur d’Histoire médiévale, Université Paris 7-Diderot, coordinateur des
concours

Sylvie Steinberg, MCF d’Histoire moderne, Université de Rouen, coordinatrice des concours

Michelle Zancarini-Fournel, professeur d’Histoire contemporaine, Université Lyon I-IUFM,
préparatrice de l’épreuve professionnelle puis sur dossier depuis 19 ans.