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Lettre du Collectif MARRE aux collègues de l’Université Stendhal, suite au vote par le CA de l’établissement des projets de maquettes de Masters d’enseignement le lundi 29 mars 2010 (18 avril 2010)

mardi 20 avril 2010, par Laurence

Pour lire cette lettre sur le site Coordination enseignement supérieur et recherche – Grenoble

Chèr-e-s collègues,

Nous étions des milliers, des dizaines de milliers. Nous avons hissé haut notre refus et nous avons tenu des mois, et des troupeaux de chaises sont parties en vacances, et des centaines d’heures se sont égrenées en ronde infinie des obstinés : nous ne défendions aucune corporation, aucun privilège, aucun conservatisme, mais une seule idée, une seule : l’éducation n’est pas un marché, la recherche n’est pas une marchandise !

Nous nous sommes battus, et nous avions raison.

Le rouleau compresseur est passé, et nous sommes passés dessous. Nous avons perdu cette bataille, et beaucoup d’entre nous ne s’en sont pas encore remis. Oui, mais qu’avons-nous perdu ? Avons-nous perdu nos convictions, nos idées, notre indépendance d’esprit ? Avons-nous perdu notre raison, notre critique, notre cohérence, notre logique ? Avons-nous perdu notre conscience, nos valeurs, l’idée même de notre mission de service public ?

Non mais… nous avons perdu, alors il faut se faire une raison.

On nous impose une réforme que nous nous accordons tous à juger nocive, incohérente, délétère. Durant le seul mois de décembre 2009, 27 conseils d’administration d’université, la conférence des présidents d’université (CPU), l’ensemble des syndicats et des associations, des jurys de Capes et d’agrégation (en langues et en histoire notamment), ainsi que le Cneser l’ont rejetée. Rarement une telle unanimité aura été atteinte. Aujourd’hui la principale fédération de parents d’élèves appelle à abandonner cette réforme. La résistance s’organise dans les lycées et les écoles, et de nombreux enseignants du premier et du second degré refusent d’être tuteurs, compte tenu des conditions de stage ahurissantes. Les formateurs du Collectif de l’IUFM de Grenoble s’adressent solennellement à nous, universitaires :

« L’Université va-t-elle enclencher ce processus destructeur de l’école publique en France ? Pouvons-nous accepter de mettre en place ce que nous jugeons professionnellement infaisable et éthiquement inacceptable ? »

Et nos départements et nos Conseils de voter à coeur perdu de belles motions : « vous avez raison ! »

Oui, certes, mais… entend-on :


Mais…, pour sauvegarder notre « coeur de métiers », il faut se contenter d’organiser le « moins pire » et de proposer des maquettes, les moins nocives possibles. Mais…, « pour le bien de nos étudiants », il faut proposer quelque chose, car de toutes façons, si on ne le fait pas, d’autres le feront à notre place. Mais…, de toutes façons il n’y pas le choix, car les lois sont les lois et les décrets sont les décrets. Mais…, bon, reconnaissons qu’il y a peut-être un peu de bon au milieu de tous ce mauvais…

Alors, envers et contre tout, ces satanées maquettes ont été votées (pas à l’unanimité… cf. infra), contre nos convictions, contre nos idées, contre nos valeurs, contre notre esprit critique, contre nos consciences professionnelles, contre tous ces enseignants du premier et second degré qui résistent encore, contre ces formateurs de l’IUFM dont le « coeur de métier » est foulé au pied et qui sont encore assez naïfs pour s’adresser à nous, contre ces dizaines de milliers de personnes qui ont perdu des heures et des heures à tourner obstinément, en ronde infinie, l’an dernier, car ils croyaient encore en l’esprit de résistance – et contre nos enfants qui n’ont pas eu la chance de naître dans un monde où l’éducation représente encore une valeur et pas encore un bien de consommation.

« Et tant pis si nos étudiants sont perdus, tant pis si nous avions raison ! »

Il paraît que nous sommes devenus autonomes, autonomes et responsables. Alors nous exécutons les ordres du Ministère, même incohérents, même contradictoires, même si nous pensons que c’est mal, même si nous n’y sommes pas obligés. C’est ça l’autonomie, l’esprit de responsabilité ? Et quand des voix s’élèvent pour dire simplement : « nous avons perdu, mais ce n’est pas une raison… nous sommes toujours debout, prêts à résister collectivement », on hurle au scandale, au mépris ! Les hérétiques sont toujours ceux qui clament des évidences…

Certes nous avons perdu cette bataille-là… mais avons-nous perdu – aussi – la raison ?

le 18 avril 2010,