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Education : certains chefs d’établissement pourront recruter leurs enseignants - par Louise Fessard, Mediapart, 6 mai 2010

jeudi 6 mai 2010, par Elie

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Devant quelque trois cents recteurs, inspecteurs d’académie, procureurs généraux et préfets réunis mercredi à l’Elysée, le chef de l’Etat a enfoncé le clou sur la violence et l’absentéisme scolaire. Des mesures pour « rétablir l’ordre et réhabiliter l’autorité » qui ne font que rabâcher les propos de son précédent discours du 20 avril à Bobigny : suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme, présence de policiers référents dans les établissements les plus durs et création d’internats « de réinsertion » rassemblant les élèves pertubateurs.

Mais l’intervention contient également un changement majeur, qualifié par un Nicolas Sarkozy à la mine réjouie de « petite révolution dans l’éducation nationale » : la possibilité pour certains chefs d’établissement de recruter eux-mêmes leurs enseignants.

Des établissements plus autonomes

Dès la rentrée 2010, « dans une centaine d’établissements particulièrement exposés à la violence », a annoncé le chef de l’Etat, « le chef d’établissement aura le droit de procéder lui-même au recrutement des professeurs sélectionnés sur profil, sur la base du volontariat ». Luc Chatel avait déjà préparé le terrain en annonçant, le 8 avril, la création d’une centaine de « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite », dits « Clair », dotés d’une plus grande autonomie pour mener leur projet pédagogique et choisir leur équipe. Mais il n’était à l’époque question que du choix par le chef d’établissement de son adjoint voire de son conseiller principal d’éducation. Objectif affiché : stabiliser les équipes éducatives pour éviter le taux de rotation très important des enseignants dans les établissements les plus difficiles où sont de surcroît souvent affectés les enseignants les plus jeunes et les moins expérimentés.

Derrière la lutte contre la violence, c’est surtout l’aboutissement logique de réformes qui redessinent le paysage éducatif depuis quelques années. De la création des projets d’établissements en 2005, à la récente réforme du lycée qui laisse à l’établissement le soin d’organiser un tiers du temps de classes des élèves (au lieu de le fixer au niveau national), en passant par le renforcement du conseil pédagogique, la logique est celle d’une autonomie des collèges et lycées, à travers un chef d’établissement plus puissant, et d’une diversification de l’offre éducative.

L’assouplissement de la carte scolaire instauré en 2007 par Nicolas Sarkozy pour donner le « libre choix » aux familles complète le tableau, au risque de placer les établissements en concurrence. « C’est une logique inégalitaire qui se met en place, un discours assimilant l’école à l’entreprise », a réagi mercredi sur le site du Monde, Frédérique Rollet, secrétaire national du SNES-FSU. Seuls une centaine d’établissements devraient échapper au « mouvement » – le processus d’affectation des enseignants –. Mais le président de la République envisage de l’étendre dès 2011 en cas de réussite.

Des internats pour les plus durs

Pour le reste, Nicolas Sarkozy a précisé le fonctionnement des nouvelles structures annoncées le 20 avril pour recadrer les élèves « qui rendent la vie impossible à leur établissement ». Ces internats « de réinsertion scolaire » accueilleront entre 20 et 30 jeunes de 13 à 16 ans pendant un an, avec « une pédagogie qui mettra l’accent sur l’apprentissage de la règle, le respect de l’autorité et le goût de la règle ». Condition de recrutement : avoir été exclu au moins une fois par un conseil de discipline. Une dizaine d’internats devraient ouvrir à la rentrée 2010 (dont deux en Seine-Saint-Denis).

Avec un petit problème d’échelle selon Mathieu Hanotin, vice-président du conseil général de Seine-Saint-Denis, en charge des questions d’éducation. « En Seine-Saint-Denis entre 800 et 1000 élèves sont exclus par an, dit-il. Suite à cette exclusion, 30 à 40% d’entre eux décrochent et rentrent dans une logique de polyexclusion. Alors vendre une réponse qui ne va concerner que 300 élèves au niveau national, ce n’est pas à la hauteur de la problématique du décrochage. »

Sans compter le risque, selon lui, de créer des « bombes dans les établissements » en rassemblant tous les jeunes « à problèmes » dans ces internats au lieu de rechercher des solutions individualisées dans le cadre des classes-relais déjà existantes. « On bascule dans une logique de responsabilité individuelle totale, relève Mathieu Hanotin. Il y a ceux qui veulent réussir et ceux qui ne veulent pas, et qu’on va sortir de l’établissement pour ne pas perturber les autres. Mais, face à un phénomène aussi massif que le décrochage scolaire, la vraie question serait de s’interroger aussi sur la responsabilité de la société. »

Des policiers référents dans 53 établissements

Reçus mardi par Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, et Luc Chatel, ministre de l’éducation, 53 chefs d’établissements parmi « les plus exposés aux phénomènes d’intrusions et de violences aux abords » se sont vu « proposer » la création d’un bureau destiné à un gendarme ou policier référent « qui tiendra des permanences plusieurs fois par semaine au sein même de l’établissement ». A charge pour eux de se justifier par écrit s’ils refusent cette « proposition », a prévenu Nicolas Sarkozy mercredi. Ce dispositif a été généralisé dans les collèges des Hauts-de-Seine où Nicolas Sarkozy, alors président du conseil général, l’avait testé dès 2006.

« Totalement à côté de la plaque », juge, quatre ans plus tard, Marianne Auxenfans, du syndicat enseignant Snes des Hauts-de-Seine, qui estime que « balancer un policier en uniforme dans une cour de récréation crée plus de problèmes que cela n’en règle ». D’ailleurs, selon elle, le dispositif a été « vidé de ses aspects les plus gesticulatoires » dans les Hauts-de-Seine, la plupart des policiers référents n’ayant pas de bureau dans les établissements.

Au final, il s’agit donc d’une simple amélioration des relations avec le policier référent. « Chaque collège sait à quel policier il faut téléphoner au commissariat s’il y a un souci, mais ça nous fait une belle jambe d’avoir des facilités pour porter plainte si on n’a pas su éviter les bousculades et les bagarres avant, regrette-t-elle. Dans certains établissements par exemple, on supprime des postes de conseiller principal d’éducation qui sont très importants dans la lutte contre l’absentéisme. Alors à force de priver les établissements d’une politique de déminage du conflit, de dépistage des gamins qui ne vont pas bien, on rend la politique d’éducation moins cohérente et, quand il y a un problème, il ne reste plus qu’à appeler les pompiers... »

Suspension des allocations familiales

Le chef de l’Etat a confirmé que la proposition du député UMP Eric Ciotti, qui prévoit l’automaticité de la suspension des allocations familiales en cas d’absence injustifiée d’un élève, sera votée « avant la fin de l’été ». Après avertissement à la famille, en cas de « récidive », l’inspecteur d’académie aura donc « l’obligation de saisir le directeur de la CAF, qui a lui-même compétence liée pour suspendre immédiatement le versement ».

Cette décision contredit les travaux des membres du conseil scientifique des états généraux de la sécurité à l’école. Dans un rapport de recherche sur le décrochage de 2003, Catherine Blaya, professeure à l’université de Dijon, concluait que la suspension des prestations familiales, outre qu’elle « ne fait que renforcer le sentiment d’exclusion sociale, de relégation » et s’accompagne souvent d’un « manque de communication avec les autorités à l’origine de la sanction », n’avait pas d’efficacité. La suspension « ne ramène guère les jeunes vers l’école », écrivait-elle.

Les annonces du chef de l’Etat sont d’ailleurs en complet décalage avec les conclusions des états généraux de la sécurité à l’école des 7 et 8 avril. « C’est assez hallucinant car tout le discours tolérance zéro, va-t-en-guerre, vidéosurveillance, a été disqualifié par nos collègues universitaires venant de l’étranger lors des états généraux de la sécurité à l’école, raconte Françoise Lorcerie, directrice de recherches au CNRS, elle aussi membre du conseil scientifique. Ces mots d’ordre ont déjà été mis en œuvre aux Etats-Unis par exemple et ont montré la preuve de leur insuffisance voire de leur nocivité. »

Seul crédit au discours scientifique, Nicolas Sarkozy a mentionné la généralisation de la « mallette des parents », une expérimentation visant à rapprocher les parents de l’école, qui avait fait ses preuves dans l’académie de Créteil sous la férule de Martin Hirsch, ancien haut-commissaire à la jeunesse.