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Requête contre l’Arrêté du 12 mai 2010 portant définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation pour l’exercice de leur métier. (JO, 18 juillet 2010)

dimanche 19 septembre 2010

Requête déposée par SUD-Education, FCPE, SUD-Etudiant, AGEPS, SLU

Vendredi 17 septembre 2010, Sauvons l’Université, SUD-Education, la FCPE, l’Association générale des étudiants de Paris-Sorbonne, SUD-Etudiant ont déposé au Conseil d’État une requête en annulation de l’arrêté du 12 mai 2010 du ministre de l’Éducation nationale portant définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation pour l’exercice de leur métier (publié au JO le 18 juillet 2010). Cette requête en annulation est assortie d’une demande de référé-suspension.

Cet arrêté du 12 mai 2010 abroge l’arrêté portant cahier des charges de la formation (arrêté du 19 décembre 2006). Il le remplace par la seule définition des compétences. Pour les requérants, cette disparition du cahier des charges de 2006 est d’une extrême gravité car elle permet la disparition pure et simple de tout cadre national de formation. Elle est un dispositif clé du système de disparition de la fonction publique dans l’éducation nationale. Cet arrêté est inacceptable politiquement et professionnellement et contestable sur le plan juridique.

Comme nous l’avons rappelé dans le texte du 2 septembre dernier (« L’arme du droit », Newsletter de SLU n° 28), l’expérience récente rend indispensable à nos yeux une diffusion aussi large que possible des arguments juridiques utilisés dans les requêtes déposées contre les textes organisant la « masterisation » et justifie que soit systématiquement rendues publiques les analyses soumises à la plus haute juridiction administrative.

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Dans leur requête du 17 septembre, les syndicats et associations requérantes, assistés de leur conseil, ont soumis les arguments suivants au Conseil d’État.

Rappelons que pour accueillir la demande de suspension, le juge administratif pose que deux conditions doivent être réunies : (1) l’urgence et (2) un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

Les requérants considèrent que les deux conditions sont réunies en l’espèce.

1/ Sur l’urgence

Pour être justifiée, la demande de suspension doit « porter atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». En l’espèce, les requérants considèrent :

a/ sur le caractère grave de l’atteinte , que l’application de l’arrêté aboutit à la déconcentration immédiate aux recteurs du pouvoir d’organisation de l’année de stage, qu’il est donc porté atteinte au caractère égalitaire de la formation. Il est impossible en effet de considérer que la délégation à une multiplicité d’autorités locales n’aboutit pas à une inégalité de traitement selon les académies, et ne porte pas ainsi une atteinte grave au principe d’égalité défendu par les requérants. En second lieu, l’application de la circulaire entraîne la suppression de la garantie que les stagiaires bénéficient d’un volume conséquent de formation théorique, prévu par les textes, au sein des IUFM.


b/ sur le caractère immédiat de l’atteinte
, les requérants soulignent que l’arrêté a connu un commencement d’exécution au 1er septembre 2010, ce qui a pour effet de priver immédiatement les stagiaires d’un cadre permettant d’assurer l’égalité des chances devant la titularisation et compromet chaque jour un peu plus la qualité du service rendu aux usagers du service public de l’éducation nationale, en l’espèce la qualité des cours délivrés aux élèves.

Au regard des intérêts méconnus, la suspension de l’arrêté attaqué ne compromettrait pas la continuité du service public dans la mesure où le dispositif traditionnel de formation des stagiaires demeurerait opérationnel dans le cadre des IUFM dont aucun texte législatif n’a prévu la suppression.

2/ Sur les moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué

Les requérants invoquent des moyens de 3 ordres : (a) Violation du code de l’éducation, (b) rupture de l’égalité dans l’admissibilité aux emplois publics et (c) erreur manifeste d’appréciation.


a/ sur la violation du code de l’éducation

Exposé liminaire

Les requérants rappellent que la formation des enseignants fait l’objet de dispositions dans la partie législative du Code de l’éducation. L’article 625-1 dudit code énonce :

« La formation des maîtres est assurée par les instituts universitaires de formation des maîtres. Ces instituts accueillent à cette fin des étudiants préparant les concours d’accès aux corps des personnels enseignants et les stagiaires admis à ces concours.

La formation dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres répond à un cahier des charges fixé par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale après avis du Haut Conseil de l’éducation. Elle fait alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique. »

Il découle clairement de cet article que :

- Les IUFM accueillent l’ensemble des stagiaires, qu’ils disposent donc d’un monopole de la formation desdits stagiaires que confirme d’ailleurs l’article L.721-1 du Code de l’éducation qui dispose (al. 4) que : « Dans le cadre des orientations définies par l’État, ces instituts universitaires de formation des maîtres conduisent les actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants. » Cette disposition confère là encore un monopole aux IUFM en lui conférant la charge d’assurer « les actions » (et non « des actions ») de formation desdits personnels.

Ainsi, la loi confère aux IUFM et à eux seuls le soin de conduire les actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants. Les dispositions réglementaires récentes adoptées dans le cadre de la réforme dite de la « masterisation » du recrutement n’ont en aucun cas abrogé ce monopole qui s’impose donc évidemment à l’autorité réglementaire lorsqu’il fixe les conditions de déroulement du stage des étudiants et les conditions de leur titularisation. Dans ces conditions, l’acquisition des « compétences professionnelles » ne peut pas échapper au monopole légal des IUFM auxquels la loi confère la « formation professionnelle initiale ». Le ministère ne peut en aucun se prévaloir de l’absence de référence aux IUFM dans l’arrêté attaqué pour arguer d’une formation des maîtres sur de nouvelles bases sans, ipso facto, admettre la violation par l’autorité réglementaire du Code de l’éducation

- La lecture de l’article L.625-1 permet d’affirmer que la formation délivrée aux professeurs stagiaires « répond à un cahier des charges » défini par arrêté.

- L’article 625-1 prévoit en outre que ce cahier des charges est arrêté par deux ministres : le ministre chargé de l’éducation nationale et le ministre chargé de l’enseignement supérieur.

- L’article 625-1 fait enfin obligation aux ministres de recueillir au préalable l’avis du Haut Conseil de l’éducation sur la teneur du cahier des charges qu’il leur revient d’arrêter. Cette obligation est rappelée par l’article D.230-4 du Code de l’éducation relatif au Haut Conseil de l’éducation qui dispose : « Outre les questions dont il est saisi au titre de l’article L.230-2, le haut Conseil de l’éducation donne un avis sur la définition du socle commun de connaissances et de compétences ainsi que sur le cahier des charges de la formation dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres. »

Cet exposé liminaire était nécessaire pour démontrer que l’arrêté attaqué est nécessairement contraire au code de l’éducation. En effet, les requérants considèrent que le ministre a entendu édicter un nouveau « cahier des charges » et que, ce faisant, il a méconnu les obligations susmentionnées. Si l’hypothèse contraire devait être reconnue, à savoir que l’arrêté attaqué ne porte pas cahier des charges de la formation des maîtres au sens de l’article L.625-1, les requérants n’en sont pas moins fondés à conclure à l’illégalité de l’acte attaqué. En effet :


Si l’arrêté attaqué édicte le « cahier des charges » imposé par l’article 625-1
, alors il en méconnaît deux obligations : (1) l’obligation de signature conjointe du ministre chargé de l’éducation nationale et du ministre chargé de l’enseignement supérieur ; (2) l’obligation d’être précédé de l’avis du Haut Conseil de l’éducation, absent des visas de l’arrêté. Cette obligation s’imposait d’autant plus que la liste des compétences a été modifiée par rapport à celle fixée en annexe 3 de l’arrêté du 19 décembre 2006.

À titre subsidiaire, l’arrêté attaqué ne respecte pas le contenu obligatoire d’un cahier des charges de la formation au sens de l’article L.625-1. En effet, cette notion de cahier des charges ne peut se confondre avec la simple énumération de compétences attendues des professeurs stagiaires à l’issue de leur stage. L’arrêté du 19 décembre 2006 abrogé par l’arrêté attaqué prévoyait différents éléments susceptibles de répondre à l’exigence légale : modalités de déroulement de stage – y compris formation théorique, stages en responsabilité et en pratique accompagné – ; volume horaire affecté aux stages en responsabilité ; modalités d’évaluation (via la Commission nationale d’évaluation de la formation des maîtres), des plans de formation élaborés par les universités au regard des exigences du cahier des charges ; missions de l’établissement d’accueil dans la formation du stagiaire.

Par conséquent, l’arrêté attaqué s’expose à des moyens propres à créer un doute sérieux quant à sa légalité en raison de deux vices de procédure et, à titre subsidiaire, pour violation de la loi. À titre infiniment subsidiaire, l’arrêté est manifestement entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il édicte une liste des compétences requises des stagiaires en abrogeant dans le même temps les dispositions régissant les modalités de la formation permettant l’acquisition desdites compétences.

Dans l’hypothèse où l’arrêté attaqué n’édicte pas le « cahier des charges » au sens de l’article L.625-1, le ministre a entaché son arrêté d’incompétence négative en ne respectant pas l’obligation légale qui lui est faite. Le ministre ne pouvait pas abroger le cahier des charges sans le remplacer par un nouveau. Selon la jurisprudence du CE, l’incompétence négative est un motif d’annulation de l’acte pris.

Il résulte de ce qui précède que, en toute hypothèse, le ministre a violé l’article 625-1 du Code de l’éducation.

b/ Sur la rupture d’égalité dans l’admissibilité aux emplois publics

En abrogeant l’arrêté du 19 décembre 2006 pour le remplacer par une simple liste de compétences professionnelles, l’arrêté attaqué supprime tout encadrement national des modalités de déroulement de l’année de stage.

Or, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que «  tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Le Conseil constitutionnel (Décision n°82-153 du 14 janvier 1983) a reconnu, au nombre des « principes proclamés par l’article 6 de la Déclaration de 1789 », le « principe constitutionnel de l’égalité dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires ». Dans cette même décision, ledit Conseil a expressément accepté d’examiner si les conditions de formation des fonctionnaires, avant leur titularisation respectait ou non l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et n’a admis cette différenciation de traitement dans la formation qu’au motif qu’elle était « justifiée par le fait que les besoins de formation des intéressés ne sont pas les mêmes dans ces divers cas ».

Il résulte de cette jurisprudence que le principe d’égale admissibilité aux emplois publics fait obstacle à ce que plusieurs stagiaires d’un même corps de la fonction publique se voient proposer une formation différente si ces différences de traitement ne sont pas justifiées par des besoins différents.

Or, en l’espèce, aucune différence de besoin de formation ne peut être identifiée entre les candidats admis au concours d’un même corps, du seul fait qu’ils sont affectés dans une académie différente.

Enfin, l’abrogation de l’arrêté de 2006 ne s’accompagne pas de l’édiction de règles nationales par un autre texte. En effet, la circulaire n° 2010-037 du 25 février 2010 du ministre de l’Education nationale (BOMEN, n°13 du 1er avril 2010), relative au dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premier et second degrés et des personnels d’éducation stagiaires (qui fait également l’objet d’un recours) ne constitue nullement un cadre équivalent à celui que prévoyait l’arrêté de 2006 – en particulier sur le volume global de formation et d’accompagnement dispensé aux stagiaires.

Une telle carence dans l’encadrement national des conditions de déroulement de stage aboutit, d’ores et déjà, dans les faits, à de fortes disparités selon les académies dans lesquelles sont nommés les stagiaires. Les requérants ont produit les pièces en attestant). Ces observations sont corroborées par le rapport de synthèse des notes des correspondants académiques de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAEN) relatives à la préparation de la rentrée scolaire 2010 que les requérants ont également produit (Rapport téléchargeable en base de la page suivante).

Il résulte de tout ce qui précède qu’en supprimant les dispositions de l’arrêté de 2006 qui encadraient, sur l’ensemble du territoire de la République, les conditions de déroulement du stage et qui permettaient de garantir l’égalité de tous les stagiaires dans l’acquisition des compétences nécessaires à la titularisation, l’arrêté attaqué a violé l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et s’expose à un grief tout à fait propre à créer un doute sérieux sur sa légalité.


c/ Sur l’erreur manifeste d’appréciation

Même si le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation par le juge administratif consiste seulement dans « le contrôle minimal de la logique administrative », il a vocation à être appliqué en l’espèce et à aboutir à la suspension de l’exécution de l’arrêté.

À la différence de l’arrêté qu’il abroge, l’arrêté attaqué prétend porter définition des connaissances à acquérir, non seulement par les professeurs, mais également par les documentalistes et conseillers principaux d’éducation.

L’article premier de l’arrêté confirme expressément que les dix compétences professionnelles précisées en annexe sont attendues de la part des documentalistes et des conseillers principaux d’éducation.

Or, à l’exception d’une seule phrase au point 5 de cette annexe (« il est essentiel que les futurs professeurs, documentalistes et conseillers principaux d’éducation disposent des connaissances de base en matière de gestion des groupes et des conflits »), aucune disposition ne concerne les documentalistes et les conseillers principaux d’éducation.

Dans ces conditions, l’arrêté attaqué est entaché d’erreur manifeste d’appréciation en ce que, prévoyant en son article premier qu’il s’applique aux documentalistes et conseillers principaux d’éducation, il ne comporte pas l’énumération des compétences professionnelles qui sont attendues des fonctionnaires stagiaires relevant de ces deux corps.

19 septembre 2010.

Sauvons l’Université !