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Pour Luc Chatel, enseigner, c’est vraiment un jeu d’enfant - par Julien Cholin, L’Humanité, 5 octobre 2010

Suivi de l’entretien avec Bernard Rey paru dans le journal du même jour

mercredi 6 octobre 2010, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Le ministère a mis en ligne des clips vidéo censés apprendre aux jeunes enseignants à « tenir leur classe ». Le degré zéro de la formation, fustige le Snes.

Pour lire cet article sur le site de L’Humanité.

« Les nouveaux enseignants stagiaires ne sont pas laissés seuls, sans recours, face à leurs élèves : ils disposent de vidéos leur apprenant le métier. » C’est en substance ce qu’a plaidé le ministre Luc Chatel lors de la présentation de la plate-forme Internet Tenue de classe, il y a une semaine.

Réalisée par le Centre national de documentation pédagogique, cette série de vidéos vise à compenser la suppression de la formation des maîtres, en délivrant aux jeunes professeurs les ficelles du métier. De courtes séquences de trois à dix minutes sont censées montrer aux stagiaires la meilleure manière d’entrer en classe, de se comporter face aux élèves ou à l’équipe éducative.

« Les vidéos ne poussent à aucune réflexion », réagit Emmanuel Mercier, responsable de la formation professionnelle au Snes. Le syndicaliste met en avant le « contenu assez affligeant », qui ne correspond pas aux véritables besoins des jeunes enseignants. « Les stagiaires se rendront vite compte de la supercherie, et encore, je ne sais même pas s’ils auront le temps de les visionner », prévient-il.

La classe apparaît dans ces mises en situation comme un milieu hostile, face auquel le professeur se doit de toujours rester vigilant. Pour cela, le stagiaire se voit délivrer une série de conseils, du plus fondamental au plus anodin. « Ces vidéos prétendent donner des recettes magiques », regrette aussi Emmanuel Mercier. Enseigner peut paraître alors facile. Or ce n’est pas toujours le cas. Et, poursuit le syndicaliste, « si positionner la trousse à gauche du bureau ou se présenter bien habillé face aux élèves ne fonctionne pas, le risque est de renvoyer la responsabilité de ces problèmes vers les élèves ». Ce qui ne résoudra rien.

J. C.

Entretien. Bernard Rey « On n’assimile pas un savoir-faire en visionnant une vidéo »

Directeur du service des sciences de l’éducation à l’Université libre de Bruxelles, Bernard Rey explique en quoi il est indispensable aux futurs enseignants d’apprendre à transmettre leurs savoirs. Ce que ne règle pas, selon lui, une simple vidéo sur la « tenue de classe ».

Bernard Rey est responsable de l’unité de recherche en sciences de l’éducation de l’université libre de Bruxelles. Longtemps enseignant en école normale et en IUFM, il a publié Faire la classe à l’école élémentaire » [1]. Il revient sur les conséquences pédagogiques de la suppression de la formation des maîtres.

Luc Chatel a présenté la semaine dernière la série de vidéos destinée aux enseignants stagiaires. Comment jugez-vous ce dispositif ?

Bernard Rey. Le ministre veut essayer 
de combler la disparition de la formation des enseignants. Il cherche donc des moyens rapides pour aider les jeunes enseignants. Face à cela, je plaide évidemment pour une vraie formation, notamment sur les questions 
de « conduite de classes », et non 
de « tenue de classe ». Un enseignant 
doit arriver à mettre ses élèves au travail, à les faire écouter, participer au cours, répondre aux questions des enseignants. C’est très difficile. Notamment avec un certain type de public qu’on rencontre 
de plus en plus au collège.

Quel sera l’impact de la suppression 
de la formation face à ce type 
de comportement ?

Bernard Rey. Cette suppression sera très dommageable. Devant ces publics difficiles, des enseignants sans formation vont avoir les pires difficultés. Ils en avaient 
déjà avec une formation, alors maintenant... Une classe d’adolescents, 
il faut les intéresser. Et pour cela, il ne suffit pas de leur raconter de petites histoires 
qui leur plaisent. Il faut les intéresser 
aux matières scolaires. Il faut les intéresser à la notion de fonction en mathématiques, aux causes de la Seconde Guerre mondiale, aux problèmes de chimie... Autant de domaines qui n’intéressent
 pas spontanément des adolescents. 
Pour Philippe Meirieu (professeur en sciences de l’éducation – NDLR), il faut créer l’énigme. Or, pour cela, il faut une véritable formation, avoir appris la didactique. Sinon, on ne sait pas faire, tout simplement.

Que pourrait apporter cette série de vidéos ?

Bernard Rey. Pas grand-chose. 
Car on n’assimile pas un savoir-
faire en visionnant une vidéo. 
Apprendre le métier d’enseignant, c’est aussi réfléchir sur les aspects éducatifs. Ce n’est pas tout d’enseigner les mathématiques, il faut encore 
se demander à quoi sert cet enseignement. C’est une véritable question. 
Il faut y avoir réfléchi spécifiquement. C’est pour cela que des cours de philosophie de l’éducation sont indispensables pour comprendre pourquoi on enseigne l’histoire aux jeunes, les mathématiques ou la physique. 
Pourquoi enseigne-t-on la physique alors que la plupart d’entre eux ne feront plus de physique pendant le reste de leur vie ? Il y a des raisons.

Comment vont réagir les enseignants stagiaires, comment vont-ils s’organiser ?

Bernard Rey. Je pense qu’ils vont souffrir. En Belgique, nous avons énormément d’enseignants qui quittent le métier dans les cinq premières années. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été envoyés sur le terrain avec une formation insuffisante. Du coup, ils n’arrivent pas à capter l’attention des élèves, ils n’arrivent pas à les mettre au travail, et évidemment, ils sont malheureux. Ils rentrent chez eux chaque soir en se sentant incapables, sans autorité, et ils baissent les bras.

Peut-on y voir une transformation du métier de l’enseignant ?

Bernard Rey. En partie. Il y a un risque de transformer les enseignants en une sorte de gardien qui ne s’occuperait plus que du maintien de l’ordre. Maintien de l’ordre oui, mais au service des apprentissages scolaires. C’est pour cela que je parle de philosophie de l’éducation. Ne proposons pas aux jeunes enseignants des « techniques » de manipulation des élèves. Le maintien de l’ordre pour une activité intellectuelle nécessite un savoir-faire plus compliqué. Sinon, l’élève apparaît comme un danger…

Entretien réalisé par Julien Cholin


[1Éditions ESF, 2010, 128 pages, 14 euros.