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La recherche pédagogique va-t-elle être « liquidée » ? - Louise Fessard, Mediapart, 5 novembre 2010

vendredi 5 novembre 2010, par Mathieu

Pour lire l’article sur le site de Mediapart.

Alors que l’UMP présentait mercredi son projet éducatif en vue des présidentielles, tout un pan de la recherche en éducation pourrait disparaître avec l’intégration de l’institut national de recherche pédagogique (INRP) à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon. Cette décision des ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, et de l’éducation nationale, Luc Chatel, annoncée le 17 septembre et qui prendra effet au 1er janvier 2011, s’apparente pour les personnels de l’INRP à une « liquidation pure et simple » de cet établissement public administratif, créé en 1976 et délocalisé à Lyon en 2003. L’institut produit des études allant de la comparaison des politiques d’éducation prioritaires en Europe à un projet de formation continue des enseignants alliant les nouvelles technologies et le travail entre pairs.

« Nous n’avons rien contre le rattachement à l’ENS, mais la piste choisie ne nous garantit aucune autonomie scientifique et financière, malgré une récente évaluation positive de l’AERES (agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et un rapport du directeur de l’INRP, proposant différentes modalités de développement de l’institut où celui-ci garderait sa personnalité juridique et scientifique », proteste Luc Trouche, chargé du programme numérique et un des initiateurs de la pétition « contre la dissolution de l’INRP ». En signe de protestation contre la méthode, dix des douze chercheurs du conseil scientifique, dont bon nombre de chercheurs étrangers, ont démissionné le 22 septembre.

Pour Antoine Prost, historien de l’éducation et auteur, en 2001, d’un rapport sur la recherche en éducation, cette évolution s’inscrit dans la doctrine du gouvernement actuel : « Moins on en sait sur l’éducation nationale, mieux elle se porte », résume-t-il. « Toute l’activité de recherche-diagnostic sur le système scolaire disparaît ; les productions du service statistique du ministère de l’éducation nationale ne sortent plus qu’au compte-gouttes ; tout est d’abord contrôlé par le cabinet du ministre, alors, aux yeux du gouvernement, l’idée d’avoir un institut indépendant qui fasse des recherches sur l’éducation est une folie ! », estime-t-il.

L’originalité de l’INRP, héritier du musée pédagogique fondé par Jules Ferry, consiste en son travail en lien avec 715 enseignants « sur le terrain », étroitement associés à la recherche. Derrière l’intitulé quelque peu barbare « Apprentissage, didactique, évaluation, formation » de son unité mixte de recherche marseillaise, Alain Mercier et son équipe viennent ainsi de conclure une recherche sur l’enseignement des mathématiques en maternelle, menée avec des écoles ZEP de Marseille, de Rennes, de Genève et du Tessin. « Nous essayons de comprendre les enjeux des activités proposées aux élèves pour voir si elles correspondent à des réponses qui existent déjà dans la société, explique ce professeur de sciences de l’éducation à l’INRP. Par exemple, même les illettrés font des listes quand ils ont besoin d’anticiper : on peut donc apprendre à des jeunes enfants à quoi sert une liste, avant même qu’ils ne sachent écrire. »

Liaison avec le terrain

Ce fonctionnement en réseau risque d’être remis en question en janvier 2011. « Les 28 universitaires pourront sans problème être intégrés dans l’ENS, mais quid des 38 collègues de collège et lycée et du réseau des quelque 700 enseignants en poste dans des établissements scolaires ?, demande Annette Bon, ancienne adjointe au directeur de l’INRP, aujourd’hui à la retraite. Tout ça fera des économies ! » Sans compter l’avenir incertain des autres composantes de l’INRP dispersées sur le territoire français : musée de l’éducation et son centre de ressources tout juste rénové à Rouen, équipe parisienne de La Main à la pâte, programme éducatif lancé par le prix nobel de physique Georges Charpak qui a profondément renouvelé l’enseignement des sciences, service parisien d’histoire de l’éducation dont le directeur a été brutalement destitué en juillet 2010...

Inquiétude supplémentaire pour l’avenir de l’établissement public, le Journal officiel du 26 août 2010 évoque la création d’un institut national des hautes études de l’éducation (INHEE) rattaché à l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale. Ce futur institut devra « faire partager aux décideurs des milieux sociaux et économiques et aux leaders d’opinion (élus, décideurs politiques, cadres dirigeants des administrations, des entreprises et des médias, membres d’association...) les grands enjeux économiques, sociétaux et politiques du système éducatif ». « C’est-à-dire une agence interne qui pourra contracter avec qui elle veut, y compris le privé », craint Luc Trouche.

En France, en dehors de l’INRP, les questions d’éducation sont inexistantes au CNRS et ne sont abordées que de façon ponctuelle par des universitaires. Une recherche dispersée, peu évaluée et utilisée, déplorait déjà en 2001 Antoine Prost, qui propose aujourd’hui de faire de l’INRP « un centre d’impulsion et de pilotage de la recherche en éducation ». L’INRP, qui a été dirigé de 1998 à 2001 par Philippe Meirieu, chercheur spécialiste en sciences de l’éducation, a-t-il été victime de son image de fief du pédagogisme, ce mouvement aujourd’hui si décrié visant à remettre l’« apprenant » au centre du système ? « On a pu considérer que les recherches de l’INRP, dans la lignée des recherches actions, étaient suspectes du fait de l’implication forte des acteurs, mais l’INRP a amené bien des choses sur l’illettrisme, sur l’évolution de l’enseignement des mathématiques, la linguistique, la vie et l’organisation des établissements avec la pédagogie de projet, les travaux personnels encadrés, l’organisation de l’enseignement primaire en cycle pour casser l’idée des redoublements par exemple », liste en vrac Annette Bon.

D’après Alain Mercier, le problème vient plutôt « d’un retard de la société française qui ne sait pas utiliser les travaux de la recherche en éducation ». L’INRP est, depuis de nombreuses années, sous-exploité par ses ministères de tutelle, qui lui commandent peu d’études, et malaisées. La dernière commande de Luc Chatel à l’INRP portait ainsi en février 2010 sur l’organisation d’un séminaire sur... l’école et la Nation, alors que le gouvernement cherchait à clore un débat sur l’identité nationale en pleine déconfiture. « Quand on organise un débat sur l’utilité de l’aide individualisée au lycée, par exemple, on ne va pas regarder si un sociologue a travaillé là-dessus, on va chercher quelqu’un qui est pour et quelqu’un contre, regrette Alain Mercier. En France, les questions d’éducation sont des questions politiquement plus sensibles qu’ailleurs parce que l’école est chargée de former les citoyens de la République. » Comme si, pour aller sur la Lune, « on faisait fabriquer une fusée par l’administration et non par les chercheurs eux-mêmes », soupire-t-il.

« Un trimaran sans météorologistes »

Cela ne date pas d’hier : en 1969, le ministre de l’éducation nationale, Christian Fouchet, avait déjà préféré appliquer la réforme de mathématiques modernes, avant même les résultats de l’expérimentation en classe des programmes. « On ne voit les résultats des investissements dans les études et recherches qu’à dix ans, c’est la grande différence avec le temps du politique », remarque Annette Bon.

Antoine Prost file lui la comparaison marine. « L’éducation nationale avance comme un trimaran qui voudrait traverser l’Atlantique, en prétendant ne pas avoir besoin de météorologistes qui lui indiquent les vents », dit-il. Dernier exemple en date : la proposition de Jean-François Copé d’encourager les redoublements en primaire, alors que toutes les recherches en éducation, françaises comme internationales, ont démontré l’inefficacité des redoublements précoces. « La chronobiologie, à travers notamment les travaux d’Hubert Montagner, a montré qu’entre huit heures et demi et neuf heures, il n’était pas question d’apprentissage sérieux pour les élèves, témoigne encore Antoine Prost. Qui enseigne cela aux jeunes profs ? » Certainement pas les IUFM, intégrés par la réforme de la formation des enseignants dans les universités, et bientôt plus l’INRP, à en croire son personnel.

En 1999, Philippe Meirieu, alors à la tête de l’INRP, déclarait : « Qu’il faille une recherche pédagogique devrait aller de soi : le temps n’est plus où l’on pensait que les élèves doués réussissent et les non-doués échouent, objectivement, qu’il y a de même de bons profs et de mauvais profs, qu’on n’y peut rien. » Un brin optimiste ?

Lire ici le billet de blog de Claude Lelièvre, historien de l’éducation, sur les propositions de l’UMP .