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" Rapport Pochard : Le retour de la nomenklatura pédagogiste"

"Marianne 2", 5 février 2008

mercredi 2 avril 2008, par Laurence

Chapeau : " A peine remis, le rapport Pochard sur la condition enseignante a suscité la polémique par son approche essentiellement managériale de l’enseignement. Réactions virulentes de Jean-Paul Brighelli, auteur de « La fabrique du crétin ».

Rocard avait claqué la porte de la commission Pochard en raison d’une supposée référence à la rémunération au mérite des enseignants. Si le rapport en question est loin d’être très clair sur la question de la rémunération au mérite -qu’il ne fait qu’effleurer- il présente une approche essentiellement managériale de l’école. Rien sur l’enseignement, sur le savoir : « A l’époque de Philippe Meirieu, (NDLR : inspirateur de la pédagogie française de ces 20 dernières années) il fallait mettre l’élève au centre du système. On a vu ce que cela a donné, même Meirieu a fait un repentir tardif. La commission Pochard ne met rien au centre du système sinon le chef d’établissement, transformé en chef d’entreprise », lâche Jean-Paul Brighelli, auteur d’un essai remarqué « La fabrique du crétin », et qui tient un blog sur l’actualité de l’école.

En effet « le livre vert » sur la condition enseignante, ne dit rien sur l’état de cette condition, et encore moins sur les moyens de l’améliorer, hormis quelques portes ouvertes, depuis longtemps enfoncées sur le « malaise enseignant ». Deux chiffres quand même qui disent l’ampleur de ce malaise : si 87 % des enseignants affirment aimer leur métier, leur discipline, le contact avec les élèves, 80 % d’entre eux ne croient plus à la démocratisation de l’Éducation nationale, à l’égalité des chances. Et les deux tiers d’entre eux se plaignent de l’agressivité d’élèves, par ailleurs de moins en moins attentifs.

Une pensée libérale de l’enseignement

Sur le fond, Jean-Paul Brighelli estime que le rapport Pochard « est la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre la pensée pédagogique et la pensée libérale. C’est ce qu’on veut nous faire admettre. La commission prend exemple sur des méthodes abandonnées dans des pays, tels l’Allemagne ou l’Angleterre, qui viennent voir chez nous ce qui marche dans notre système… Et puis, il faut voir ce qu’il manque dans ce rapport sur « la condition enseignante » : rien sur les conditions effectives de l’enseignement, rien sur le contenu de l’enseignement, les disciplines, le savoir etc. Le rapport prône la bivalence (enseignement de deux matières). C’est l’assurance que les professeurs ne maîtriseront plus leurs disciplines. On fait des profs une pâte à modeler pour boucher des trous. Il faut sans doute de la flexibilité mais pas dans la matière que l’on enseigne. Des professeurs au rabais dans des facs IUFMisés pour enseigner ensuite dans des établissements dirigés par des chefs d’entreprise. Voilà ce qu’est le rapport Pochard ! ».

Le rapport s’attarde, en effet, longuement sur la demande d’autonomie des établissements –déjà mise en place dans les universités. « Les chefs d’établissement vont devenir des chefs d’entreprise, qui vont gérer leur établissement avec des méthodes telles que l’annualisation des horaires pédagogiques. Derrière l’autonomie se dessine également une forme de décentralisation de l’éducation, une façon d’enterrer les diplômes nationaux » ajoute Jean-Paul Brighelli qui dénonce le retour d’une nomenklatura pédagogiste, mise en place sous les années Mitterrand : « Rocard c’est aussi pertinent que Kouchner ou Allègre… ».

Vers des ghettos de l’enseignement ?

Plus grave encore, Brighelli, qui travaille à un prochain ouvrage intitulé « Fin de récré », prévu pour mars prochain, estime que certains passages confinent à l’odieux : « Sans doute conviendrait-il de mettre en place un dispositif spécial de pré-recrutement » écrit le rapport Pochard, « Ce pré-recrutement aux modalités exigeantes, mais adaptées, serait dirigé vers des jeunes issus de catégories sociales défavorisées, souvent originaires de quartiers difficiles. Ils constitueraient un vivier d’enseignants de diversité sociale accrue, et ils formeraient une population d’enseignants plus stables dans des académies fuies aujourd’hui par les néo-titulaires dès qu’ils en ont la possibilité ».

Comprenez : des banlieusards, pour enseigner aux jeunes de banlieues. « Je mets de côté la novlangue caractéristique. C’est une façon de promouvoir la discrimination dite positive, de fabriquer des ghettos. C’est tout simplement monstrueux ! » commente Jean-Paul Brighelli, qui n’omet pas de souligner certains des aspects positifs du rapport, notamment l’idée de faire le point tous les 10 ans avec les enseignants sur l’évolution de leur carrière.

A peine remis, déjà oublié…

Si Xavier Darcos a souhaité que ce rapport ne reste pas « lettre morte »,, n’ayant que très partiellement participé à la mise en place de cette commission, il a clairement pris ses distances avec son contenu.
C’est que les syndicats enseignants ont immédiatement fait savoir leur désapprobation. Le SNES-FSU, principal syndicat des collèges et lycées, a estimé que ce rapport constituait « une vraie provocation. Tous les éléments sont réunis pour un conflit majeur avec notre profession », a-t-il averti. « Un risque de casus belli », a prévenu, de son côté, le Snalc.
L’accueil du rapport ne s’annonçait pas des plus paisibles. Déjà certains syndicats avaient abandonné les auditions pendant le travail de la commission…

« Ni une machine de guerre, ni un programme de gouvernement », a d’emblée précisé le ministre de l’éducation nationale pour calmer les esprits. A présent, le rapport Pochard va contribuer à nourrir le « Livre blanc » qui rassemblera les propositions du gouvernement pour améliorer la condition des enseignants et augmenter leur pouvoir d’achat, a expliqué Xavier Darcos. Le ministre, qui ne « s’interdit rie », se donne trois mois pour rédiger ce document. Et en trois mois, de l’eau peut couler sous les ponts. Où sera, par exemple, Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur, dont on dit que ses relations avec Darcos ne sont pas des plus tranquilles ?

En tout état de cause, « il n’y aura pas de réforme sans les enseignants », a assuré Darcos. Beaucoup de précautions... pour un enterrement de première classe ?