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« This is just the beginning », « Une réelle prise de conscience des étudiants anglais », Le Courrier, Quotidien indépendant, 2 janvier 2011

lundi 3 janvier 2011, par Laurence

Pour lire cet article sur le site du Courrier.

Un leader du mouvement estudiantin raconte son combat contre la hausse massive des taxes universitaires, qui a conduit à d’importantes manifestations, notamment à Londres.
Joseph Daher, étudiant genevois de 25 ans, effectue actuellement un doctorat à la School of Oriental and African Studies (SOAS), une institution londonienne réputée pour son approche critique et anti-impérialiste des sciences sociales. M. Daher a participé aux récentes manifestations organisées par des collectifs étudiants, pour protester contre le projet de la coalition des conservateur-libéraux du premier ministre David Cameron d’augmenter massivement les taxes universitaires, dont le plafonnement devrait tripler d’ici à 2012. Il raconte au Courrier le déroulement de l’occupation de son université ainsi que les manifestations nationales qui ont choqué le Royaume.

Maintenant que la loi est passée, que va devenir ce mouvement ?

Joseph Daher : Nous avons simplement changé de slogan. « This is just the beginning » [Ce n’est que le commencement] est le nouveau mot d’ordre. Les personnes concernées ont vraiment envie de continuer la lutte. Je pense que si on continue de mobiliser les étudiants et le personnel universitaire comme on l’a fait, par des actions directes, nous pourrons poursuivre le combat. Le mouvement doit d’ailleurs s’étendre au delà des étudiants et mobiliser les travailleurs qui sont restés très en retrait.

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la cause étudiante britannique ?

Pour moi, l’éducation est une cause internationale et humaniste. C’est aussi un droit fondamental, comme le droit au logement et à l’alimentation. Le gouvernement essaye de limiter ce droit à une petite partie de la population. C’est également une question d’idéologie. Les événements qui se déroulent en Angleterre constituent une attaque néolibérale généralisée contre l’Etat providence : la coalition va continuer sur sa lancée et veut désormais supprimer 500 000 postes dans le service public, sucrer les aides au logement et couper les bourses pour les étudiants.

Comment s’articule votre mouvement ?

Je fais partie d’un groupe de militants nommé « Counterfire ». Ce sont des dissidents du Parti socialiste des travailleurs (SWP). A l’université de SOAS, nous étions six dans les comité gérant le mouvement de protestation. Nous avons mené les débats et appelé à l’occupation d’une partie de l’université, et ce malgré l’opposition du syndicat des étudiants de SOAS. Ceci a été voté lors d’une assemblée générale (AG). Nous avons remporté ce scrutin par une dizaine de voix sur les deux cents présents ; une des plus grandes AG qu’ait connues SOAS depuis plusieurs années.

Comment s’est déroulée cette occupation ?

Nous avons choisi d’occuper une salle réservée aux galas et aux réceptions car nous ne voulions pas déranger le bon déroulement des cours. Tous les jours, nous y organisions de nombreuses activités : des conférences ou des meetings avec des professeurs et plusieurs syndicats. Des conférenciers comme Tariq Ali [historien et politologue reconnu outre-Manche] et Samir Amin [économiste franco-égyptien] sont venus dans les locaux occupés. Ils ont donné des cours, présenté leurs nouveaux livres et, surtout, ils ont montré leur soutien à notre cause. Nous avons également reçu les médias [la radio BBC 4 a fait plusieurs émissions en direct à SOAS] et des parlementaires, dont des conservateurs et des libéraux-démocrates. Le soir, nous essayions de mettre en place des activités plus festives. L’occupation a duré près de trois semaines. Nous avons tenté de la rendre la plus inclusive possible.

Les étudiants ont-il été nombreux à suivre les événements à SOAS ?

C’était très difficile au début. On nous traitait de lefties [gauchistes]. Mais les gens ont commencé à se mobiliser graduellement, même ceux qui étaient originellement opposés à l’occupation de nos locaux. On a mis en place une véritable école de la politique durant les trois semaines de l’occupation, provoquant une réelle prise de conscience de la part des étudiants de SOAS. Des professeurs, des facultés entières, nous ont également soutenus, même ceux qui n’étaient pas directement concernés par les plans du gouvernement.

Et au niveau national ?

La mobilisation était embryonnaire depuis le mois de septembre, quand la coalition a annoncé ses plans pour l’éducation supérieure. La première grande manifestation s’est produite le 10 novembre. Nous étions entre 50 000 et 70 000 personnes à défiler dans les rues de Londres, du jamais vu depuis très longtemps ! Des cortèges ont ensuite battu le pavé de façon quasi hebdomadaire. La journée nationale d’action du 24 novembre a rassemblé entre 130 000 et 150 000 manifestants partout en Grande-Bretagne. C’est à cette époque qu’ont débuté les occupations. SOAS figurait parmi les premières et ce sont une quarantaine d’universités qui ont suivi. Le syndicat des étudiants de Londres (ULU) a ensuite appelé à constituer une assemblée d’étudiants, afin de décider démocratiquement des suites à donner à ces actions. De nombreux étudiants ont participé à l’assemblée et c’est par ce mécanisme démocratique qu’a été décidée la dernière mobilisation, le 9 décembre, le jour du vote au parlement. La prochaine assemblée aura lieu le 9 janvier.

Quels sont les rapports du mouvement étudiant aux médias ?

Le 10 novembre [le jour où des casseurs ont attaqué les locaux du Parti conservateur, dans la tour de Milibank, au centre de Londres], il y avait près de 70 000 personnes dans la rue. Les médias n’ont fait allusion qu’aux quelque cent casseurs qui ont sévi à Milibank et en ville. Il faut savoir que c’était la police qui a dirigé les manifestants à cet endroit. A quoi s’attendaient-ils ?

Lors de la deuxième manifestation, le 24 novembre, alors que nous avons été encerclés comme du bétail à Parliament Square [situé face au parlement], sans eau, sans rien à manger, la presse s’est focalisée sur une ou deux personnes qui ont attaqué un vieux van de police, probablement laissé sciemment en plein milieu de la foule. Ailleurs, pas une vitrine n’a été cassée ce jour-là. La véritable violence vient de l’Etat et de la police, qui s’en prenait à des collégiens de 16 ans, à des handicapés comme Jody McIntyre [mis au sol par la police alors qu’il était en chaise roulante] et qui nous chargeait à cheval. C’étaient des scènes dignes d’un film hollywoodien. A ce sujet, pas un mot des médias, leur couverture a été totalement partiale.

PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCISCO PEREZ