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Les moyens des universités et laboratoires, de la propagande à la réalité - Bertrand Monthubert, mathématicien, secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur et à la recherche, "Le Monde" (tribune), 25 janvier 2011
mardi 25 janvier 2011, par
Pour lire cette tribune sur le site du Monde.
Bien que constituant un enjeu fondamental pour l’avenir du pays, la recherche et l’enseignement supérieur étaient des thèmes quasi-absents des campagnes électorales jusqu’en 2004. Le mouvement des chercheurs (et son impact sur le résultat des élections régionales qui ont suivi) a légitimé le retour de ce thème à une place de choix dans le discours politique. Nicolas Sarkozy a compris que pour gagner du terrain dans l’opinion publique, il importait de convaincre les Français qu’il investirait massivement dans l’avenir. Ce fut un axe important de sa campagne présidentielle : il promit alors une croissance de 1,8 milliard d’euros chaque année soit une augmentation de 9 milliards en 2012 par rapport à 2007. Dont acte ; qui pourrait contester l’immense rattrapage que notre système d’enseignement supérieur et de recherche doit réaliser très vite sur le plan des moyens ?
Depuis, il a multiplié les discours et effets d’annonce qui ne s’adressent pas tant à la communauté scientifique – une communauté qu’il n’a pas craint d’injurier en janvier 2009 – qu’à l’opinion publique. Lors de ses vœux, il s’est vanté de son action en la matière dès le début de son intervention. L’obsession de son gouvernement est de tenter de faire croire que les engagements ont été tenus, comme l’a fait Valérie Pécresse dans sa récente interview au Monde. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et force est de constater que le compte n’y est pas et n’y sera pas en 2012 : en 2011, les crédits budgétaires de l’enseignement supérieur, une fois toilettés des tours de passe-passe gouvernementaux, seront équivalents en euros constants à ceux de 2007. Les organismes de recherche verront leur budget baisser. Au CNRS, les dotations des laboratoires seront amputées de 11% en moyenne.
Pour comprendre comment un tel écart est possible entre la propagande officielle et la réalité budgétaire, il faut se représenter le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche comme celui d’une famille, que nous nommerons la famille Lambert. Il est composé de recettes, et de dépenses. Et comme chacun sait, le niveau de vie, lui, dépend de beaucoup de paramètres, comme l’inflation, le prix de l’immobilier, les charges dont ils doivent s’acquitter... Pour avoir une idée juste des moyens dont disposent les Lambert, on ne peut donc pas se contenter de regarder l’évolution des salaires : il faut entrer dans le détail. Il en est de même pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Les moyens dévolus à ce secteur sont essentiellement concentrés dans les crédits budgétaires de la Mission Interministérielle de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (MIRES). Ces crédits ont fortement augmenté en apparence entre 2007 et 2011 : ils sont passés de 21,3 milliards d’euros à 25,2 milliards d’euros. Vu ainsi, c’est donc une belle croissance. Pourtant, la réalité dans les laboratoires et universités n’est pas celle-ci. Cette augmentation est purement artificielle : elle repose sur une double manipulation.
Première manipulation, ce que les spécialistes budgétaires nomment "les changements de périmètre" du budget. Le principe est simple : il s’agit de comptabiliser au sein de la MIRES des sommes qui auparavant étaient déjà distribuées, mais sous une autre étiquette. Ainsi en 2008, l’ensemble des crédits de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), soit près d’un milliard d’euros, a été intégré au sein de la MIRES. Poursuivons la comparaison avec notre famille Lambert : imaginons que les allocations familiales qu’elle perçoit soient intégrées au salaire de l’un des parents. La fiche de paye de celui-ci afficherait une augmentation sensible. Mais les revenus familiaux réels, en revanche, n’y auraient rien gagné.
Seconde manipulation : les retraites des fonctionnaires de l’enseignement supérieur et de la recherche sont progressivement intégrées aux crédits de la MIRES qui augmente donc artificiellement. C’est comme si les époux Lambert recevaient de quoi verser eux-mêmes les pensions de retraite de leurs parents. Une fois payées les retraites, le niveau de vie des Lambert serait exactement le même qu’auparavant. De la même façon, les moyens réels des universités ou laboratoires ne croissent évidemment pas quand on comptabilise des moyens pour payer les retraites de leurs anciens employés.
Enfin, il faut prendre en compte l’augmentation du coût de la vie. Chacun sait que si le salaire des Lambert augmente moins que l’inflation, c’est leur pouvoir d’achat qui trinque. En définitive, une fois qu’on a enlevé les crédits qui relèvent des changements de périmètre, et ceux qui relèvent de l’augmentation des retraites, ce n’est pas une forte croissance comme Valérie Pécresse ne cesse de le marteler : c’est une stagnation en euros constants, une stagnation du pouvoir d’achat en d’autres termes.
Evidemment, le gouvernement a prévu une riposte à cette argumentation, par le biais du soi-disant "Grand emprunt" et du plan Campus. Le principe est simple : contourner les crédits budgétaires, contrôlés par le Parlement et affectés aux universités et organismes de recherche, pour attribuer des fonds virtuels dont les laboratoires ou universités ne toucheront, pour l’essentiel, que les intérêts. Les Lambert croient avoir gagné un million au Loto ? Que dirait-on si la Française des Jeux conservait le pactole, le plaçait et leur versait uniquement les intérêts ? Une fois ramenés à une dotation annuelle, les fonds du Grand emprunt se réduisent en fait à moins d’un milliard : l’équivalent de l’augmentation, une seule fois, de 4% de la MIRES. Encore faudrait-il en voir réellement la couleur. Alors que Valérie Pécresse rabâche depuis trois ans les "5 milliards d’euros du Plan Campus", la somme réellement utilisée cette année dans ce cadre n’est que de 71 millions d’euros, et aucune construction n’a encore démarré. En résumé, la politique budgétaire de ce gouvernement, ce sont des promesses pour demain, et un présent en berne.
La Recherche et les Universités publiques sont donc condamnées aux restrictions, à l’arrêt des créations d’emplois dont elles ont besoin pour développer la science et mieux former nos étudiants. La recherche privée, de son côté est largement arrosée par l’Etat, grâce au Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Le CIR a été multiplié par 10 depuis 2003, et atteindra une créance annuelle de 5 à 6 milliards d’euros en 2013. Ce n’est pas rien : l’équivalent de 100 000 emplois de chercheurs ! Pour quel résultat ? D’après l’Inspection Générale des Finances (rapport de septembre 2010), quand l’Etat donne un euro de CIR à une entreprise, celle-ci l’utilise pour faire de la recherche... mais sans aucun effet démultiplicateur : elle n’ajoute pas de moyens supplémentaires au delà de cet euro. En bref, le soutien à la recherche privée par le biais du CIR se traduit très souvent par un effet d’aubaine. Pour qu’il soit tout à la fois plus efficace et moins dispendieux, il conviendrait de le limiter aux entreprises qui en ont réellement besoin et augmentent fortement leurs dépenses de recherche : PME innovantes, programmes stratégiques...
Des chiffres du chômage à la valeur réelle de l’hippodrome de Compiègne, en passant par les moyens de la recherche et les chiffres de la délinquance, le gouvernement fabrique sa propre réalité. Cette pratique générale du travestissement de la vérité interdit le débat démocratique en empêchant toute discussion rationnelle et contradictoire. Elle porte un nom : la propagande. Mais la famille Lambert ne s’y trompe pas : elle a été trahie.
Bertrand Monthubert, mathématicien, secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur et à la recherche