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Lettre de la CPU n°65 - 11 mars 2011

vendredi 11 mars 2011, par Laurence

« My IDEX is rich… » Histoires de langue à l’université

Deux sujets, en apparence étrangers l’un à l’autre, viennent interpeller les pratiques linguistiques des universités françaises.

- Les porteurs de projets des initiatives d’excellence, dans le cadre des investissements d’avenir, sont invités à venir présenter la semaine prochaine l’originalité et l’ambition scientifique de leur projet devant un jury international … en anglais

- Les concours de recrutement des enseignants, des écoles, des collèges et des lycées exigent désormais, pour permettre le recrutement effectif des lauréats, une certification en langue vivante étrangère au niveau B2 des standards européens. Le décret du 28 mai 2010 qui prévoit cette exigence a dû voir son application différée devant le tollé provoqué au sein des universités et parmi les personnels concernés par l’absence de concertation et de préparation.

Les universités françaises sont évidemment favorables au rayonnement international de leur production scientifique, à leur insertion dans une société mondiale de la connaissance. Elles sont aussi, évidemment, favorables à l’élévation du niveau de maîtrise linguistique des maîtres et des étudiants. Mais le volontarisme précipité en la matière, les effets d’affichage, risquent de retarder l’atteinte des objectifs recherchés et de heurter, voire de braquer, une communauté universitaire qui est prête à s’engager et qui a déjà parcouru une grande partie du chemin.

Sans même parler des règles fixées par la loi Toubon, que les porteurs des initiatives d’excellence ne puissent pas exprimer dans leur langue toutes les nuances, les complexités et les ambitions des projets qui vont dessiner la carte de la France scientifique de demain ne peut être ressenti, par la communauté universitaire, que comme une mise en doute de la vocation de la langue française à exprimer une modernité scientifique intelligible au-delà de nos frontières. La France a été l’un des principaux promoteurs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, adoptée le 20 octobre 2005 par l’UNESCO. Il y aurait quelque paradoxe à ce que, dans le domaine même de la production et de la diffusion des savoirs, qui sont la mission éminente des universités, elle manifeste une sorte de volontarisme à rebours, qui serait celui du renoncement !

Qu’il faille des systèmes de traduction pour faciliter le dialogue et la compréhension entre un jury international et les équipes porteuses de projets, c’est une évidence, et la Conférence des présidents d’université a demandé et obtenu – merci au Président du jury ! - que les porteurs de projets puissent s’exprimer en français et qu’un dispositif de traduction soit prévu.

Grâce à l’ouverture européenne, notre système éducatif a su élever le niveau d’exigence en langues vivantes étrangères à la sortie du collège comme à la sortie du lycée. Mais l’honnêteté oblige à dire que ces progrès sont récents et sont loin d’avoir produit tous leurs effets de manière homogène. Des tests qui ont été faits récemment dans certaines universités montrent que seuls 20 % des candidats au concours de professeur des écoles atteignent le niveau requis pour leur recrutement, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir 80 % de « reçus-collés » dans les prochains concours ! Un obstacle supplémentaire susceptible d’achever de tarir le vivier des candidats aux concours d’enseignement, dont la baisse est déjà préoccupante…

C’est la raison pour laquelle la Conférence des présidents d’université avait proposé qu’il soit sursis à la mise en œuvre de cette exigence – et qu’un groupe de travail soit constitué avec le Ministère de l’Education Nationale employeur pour définir et programmer les conditions qui permettront d’y satisfaire. Raisonnablement, l’exigence de certification ne peut être immédiate et absolue ; elle doit prévoir, dans les parcours des masters d’enseignement, le temps nécessaire de formation, de mise à niveau ou d’entretien de compétences acquises, combiner les dispositifs de formation initiale et de formation continue pour toucher aussi bien les nouveaux recrutés que les enseignants en exercice et qui ont encore de nombreuses années devant eux. Avec de la volonté politique, des moyens, de la méthode et des délais réalistes, il n’y a aucune raison pour que les universités n’atteignent pas les résultats de l’Ecole des Mines de Paris, dont 30 % des étudiants ont le niveau de certification requis au moment de leur entrée– et qui sont 99,9 % au terme de leur scolarité.

Le Président de la République a souhaité que des améliorations soient apportées à la formation des maîtres : voilà un objectif ciblé, atteignable, et qui pourrait être un beau défi commun à relever pour aider notre pays à jouer le rôle qui lui revient dans une société mondialisée de la connaissance.

« Universités et territoires … un thème d’actualité »

Deux manifestations traitant du thème « universités et territoires » ont eu lieu au mois de février 2011 : un colloque organisé à Nantes par les Maisons des Sciences de l’Homme de Bretagne et Pays de Loire et un séminaire de la CPU à Paris sur les stratégies territoriales des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Près de 30 ans après les premières lois de décentralisation, ces réflexions qui avaient été initiées par plusieurs laboratoires universitaires (Toulouse, Strasbourg,…) avaient pu nourrir le colloque CPU 2009 de Brest. Leur récente acuité est révélatrice des profonds bouleversements du paysage universitaire depuis plusieurs années (CPER, PRES, LRU, Plan campus, grand emprunt,…) et riche d’enseignement pour les évolutions futures.

Désormais, universités et territoires ont leur sort indissociablement lié.

Universités et collectivités territoriales

Le colloque « Université et Territoires » a souligné l’engagement de longue date des collectivités locales et territoriales en matière de développement universitaire. De l’expansion territoriale des sites universitaires, on est passé à une situation de concurrence et de concentration des moyens avec comme objectif l’émergence de quelques pôles à forte visibilité internationale, configuration dont l’Etat reste le décisionnaire en dernier ressort. Une situation nouvelle qui modifie en profondeur les relations entre universités et territoires.

Le territoire est désormais un élément intégré du développement universitaire. Face aux différenciations et aux inégalités qui caractérisent le potentiel universitaire et scientifique national, l’organisation en réseau offre, en effet, le moyen de s’affranchir de la logique de hiérarchisation.

Ainsi, en réponse à l’appel d’offre lancé dans le cadre du Grand emprunt, les régions Bretagne et Pays de Loire, ainsi que les deux PRES concernés, ont élaboré un projet commun d’IDEX interrégional. Reposant sur des collaborations scientifiques antérieures, la mutualisation des forces a permis de réunir une masse critique que ni l’une ni l’autre des deux régions n’était susceptible d’offrir séparément. Perçue comme une nécessité tant par les politiques, les universitaires ou les décideurs économiques, cette union a été l’occasion d’une mobilisation de tous les acteurs au niveau régional laissant apparaitre un nouveau territoire universitaire qui transcende les frontières institutionnelles.

Des interventions d’experts allemands, anglais, suisses et québécois ont montré que cet enjeux d’insertion des universités dans leur territoire et d’internationalisation se retrouvait dans d’autres pays européens ou occidentaux.

La stratégie territoriale dans l’enseignement supérieur

Le séminaire CPU sur « les stratégies territoriales des établissements d’ enseignement supérieur et de recherche » qui s’est tenu à Paris le 17 février a permis de débattre autour de trois interventions : Claire Giry de la DGESIP sur l’outil STRATER, Ghislaine Filatreau de l’OST sur les indicateurs de sciences et technologies et Roger Fougères de l’ARF sur les schémas régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche avec l’exemple rhônalpin.

Véritable outil de diagnostic stratégique sur un territoire, STRATER regroupe les informations du MESR concernant la formation, la recherche, la valorisation et l’innovation. Ces données, qui détaillent laboratoire par laboratoire les productions scientifiques, techniques, d’innovation et les participations au PCRD, permettent aux établissements de déterminer des espaces de référence et de comparaison (régions, pôles de compétitivité, PRES, RTRA, clusters, Carnot…). L’exploitation conjointe de la dimension territoriale et de la dimension institutionnelle est de ce fait très utile pour l’élaboration des projets d’établissement.

L’OST étant une source fiable et solide d’un grand nombre d’indicateurs, STRATER en est un utilisateur privilégié. En effet, l’OST est une plateforme d’observation dédiée aux sciences et aux technologies, basée sur un mode coopératif, donnant une vision exhaustive de la R & D en France. L’Observatoire utilise une base de données qui donne lieu à de multiples exploitations statistiques, thématiques, territoriales et institutionnelles, permettant d’élaborer des analyses régionales utilisables directement par les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Les schémas régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, thème principal de la convention CPU-ARF, sont le symbole de la collaboration entre l’université et les territoires actant ou préfigurant sur le plan opérationnel les pôles de compétitivité, la rénovation des campus ou les initiatives d’excellence. Il en existe une dizaine à ce jour. Cette journée a ainsi été l’occasion de présenter l’exemple de celui élaboré par la région Rhône-Alpes depuis 2004, notamment en tant qu’exemple de méthodologie d’élaboration d’un schéma régional. Une élaboration qui a permis de mobiliser les différents acteurs locaux autour d’un projet commun.

Un axe décisif pour la CPU

Pour la Conférence l’ancrage des universités dans les territoires est une force non seulement pour les territoires, mais aussi pour l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il en garantit la vitalité, la diversité, en renforçant les liens des établissements avec leur environnement économique et social.

La CPU sera un acteur majeur des réformes en cours et de celles qui sont envisagées, parce que ces responsabilités placent les présidents d’université au premier rang de la mise en œuvre des politiques décidées par la Nation.

Enfin, si les universités sont au cœur des réformes à conduire, elles ne peuvent ni ne doivent l’être seules. La CPU devra partager ses analyses, ses diagnostics, ses convictions, et surtout ses projets avec tous les acteurs dans les territoires et au niveau national, tous les acteurs qui prennent part au développement des établissements.

Rencontre avec les membres de la CP2U...

A la rencontre des présidents de la CPU : cette semaine entrevue avec Jean-Yves MERINDOL, président de l’ENS Cachan et Khaled BOUABDALLAH, président de l’université Jean Monnet à Saint Etienne.

1/ Pourquoi avez-vous choisi de vous présenter au CA de la CPU ?

Jean-Yves MERINDOL : La CPU regroupe des établissements de divers types. D’abord les universités, mais aussi des écoles ou d’autres "grands établissements". L’essentiel de ma vie professionnelle s’est déroulée au sein d’universités dans lesquelles j’ai exercé diverses responsabilités. Ce qui m’a d’ailleurs amené à présider une commission de la CPU entre 1998 et 2000 et à faire partie alors de la CP2U, ancêtre du CA. Je suis actuellement président d’une école normale supérieure, établissement qui relève du système des grandes écoles, notamment par le recrutement de ses élèves qui se fait en majorité par des concours, mais aussi du monde des universités, par l’importance de nos partenariats universitaires et par les débouchés auxquels nous préparons nos étudiants. C’est pourquoi j’ai cru utile de me présenter au CA de la CPU, pour renforcer la prise en compte de la sensibilité particulière des écoles, mais aussi pour faire bénéficier le CA de ma double expérience universités/écoles.

Khaled BOUABDALLAH : J’étais déjà membre du CA de la CPU depuis 2 ans. J’ai souhaité poursuivre cet engagement considérant que l’université que je préside : pluridisciplinaire avec santé, de taille moyenne, membre d’un PRES de très grande taille, etc... recèle des caractéristiques intéressantes me permettant de contribuer utilement à la réflexion collective au sein du CA de la CPU. Très impliqué sur les questions internationales en tant que VP de la CORIE, il était également important pour moi que les questions relevant de l’international soient présentes au CA de la CPU.

2/ Quels sont les grands dossiers dans lesquels vous allez plus particulièrement vous investir ?

Jean-Yves MERINDOL : Au delà du thème des rapports entre écoles et universités, j’ai un intérêt particulier pour les sujets relatifs à l’insertion territoriale des universités et des autres établissements de l’enseignement supérieur. Les deux sujets mettent en jeu de nouveaux systèmes de collaboration (PRES 1, PRES 2, FCS, réseaux, fusions, systèmes fédéraux et confédéraux). On sent que le paysage actuel, déjà très compliqué, a engagé une mue importante dont l’issue est loin d’être encore très claire. Le jeu des acteurs a toute son importance et la CPU a ici un rôle déterminant à jouer.

Khaled BOUABDALLAH : Déjà en charge du dossier sur les partenariats de la CPU avec les organisations et les entreprises, je vais poursuivre cet engagement avec notamment l’objectif de finaliser la charte de partenariat et de formaliser le "club" des partenaires de la CPU.
Au sein de la CORIE, je vais plus particulièrement continuer à suivre de très près le dossier Campus France qui évolue fortement du fait de son changement de statut en EPIC. Cela bouleverse en effet très nettement la donne pour les universités alors même qu’il s’agit d’un instrument essentiel de l’attractivité internationale des étudiants. Il est donc essentiel que les universités soient associées et consultées sur ces évolutions.
Enfin, je vais apporter un soutien à Sophie Bejean, présidente de la commission des moyens, sur des questions relatives au modèle d’allocation des moyens et à la masse salariale.

3/ Quel est pour vous l’un des enjeux les plus importants pour l’enseignement supérieur dans les années à venir ?

Jean-Yves MERINDOL : L’autonomie, inscrite dans les grands principes législatifs depuis plus de 40 ans, est devenue, depuis le vote de la loi LRU, un principe opérationnel pour les universités : leurs stratégies peuvent maintenant se décliner via les politiques d’emploi et de ressources humaines, et bientôt à travers les politiques immobilières. Mais les universités doivent, pour utiliser efficacement ces nouveaux outils, avoir des moyens et des compétences qui ne sont pas encore tous rassemblés et disponibles. Cette question de l’encadrement stratégique et organisationnel des universités, en lien avec la mise en place d’instruments permettant un pilotage efficace est particulièrement importante.
L’internationalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, sujet central pour l’avenir de nos étudiants, met en évidence nos grands besoins en ce domaine : les comparaisons internationales sont souvent à notre désavantage.
Je crois que ce couplage entre meilleure organisation et internationalisation, sujet déjà largement abordé - mais pas encore résolu- pour la recherche, est un enjeu encore plus crucial pour les formations et pour l’accueil des étudiants. Ce qui implique de faire fortement évoluer, sur ces sujets, les objectifs d’évaluation de l’AERES. Il est nécessaire d’inventer des systèmes exigeants certifiant la qualité des départements d’enseignement et des conditions de vie faites aux étudiants.

Khaled BOUABDALLAH : Aujourd’hui, la quasi totalité des universités est passée aux RCE. S’il reste encore de nombreuses questions à résoudre pour mener à bien cette grande transformation des universités, la question des moyens pour la réussite de cette entreprise est primordiale. Il ne s’agit évidemment pas de réclamer des moyens pour le principe de réclamer mais d’une question de fond : on ne peut pas réussir une telle réforme sans moyens substantiels supplémentaires. En particulier, le transfert de la masse salariale doit être correctement traité.
Les Investissements d’Avenir ont suscité un engagement très fort des établissements qui s’est traduit par une mobilisation exceptionnelle des équipes, il conviendra donc de trouver les meilleurs moyens pour bien gérer "l’après", les déçus qui ne manqueront pas, seront en effet plus nombreux que les lauréats. De plus, le caractère diffusant ou non à l’ensemble de l’enseignement supérieur est aussi un enjeu important de ces investissements. La compétitivité de notre système sera globale et non pas le fruit de quelques champions, il est donc essentiel de traiter la question des effets d’entraînement.