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Scolarité des enfants d’immigrés : Guéant a tout faux - Lucie Delaporte, "Médiapart", 25 mai 2011

mercredi 25 mai 2011, par Laurence

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« Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés », la phrase de Claude Guéant lancée dimanche au micro d’Europe-1 a, sans surprise, provoqué l’indignation de la communauté éducative. « Ignoble », « fantaisiste »... Syndicats d’enseignants et associations de parents d’élèves ont immédiatement réagi aux propos du ministre en s’interrogeant sur l’origine d’une telle statistique. D’où le ministre de l’intérieur tient-il pareil chiffre ? Contacté le lendemain, un porte-parole du ministère assurait que Guéant reprenait simplement les données du rapport du Haut Conseil à l’intégration intitulé « Les défis de l’intégration à l’école ».

Pourtant, si le rapport pointe bien les difficultés scolaires des enfants issus de l’immigration, aucune trace d’une tel chiffre dans le rapport. «  Il a sans doute été lu dans la presse par le ministre », estime une représentante du HCI… Rue de Grenelle, la gêne était tout aussi palpable : « Nous n’avons pas eu connaissance de ce chiffre », nous précise un porte-parole. Interrogé mardi par l’AFP, Claude Guéant a cette fois dit qu’il s’agissait de données de l’Insee et de l’OCDE… Sans plus de précision. Et pour cause.

Contrairement à ce qu’ont pu affirmer les associations de parents d’élèves, qui ont rappelé que les statistiques ethniques étaient interdites en France, les chiffres sur la scolarité des enfants d’immigrés existent bien, et depuis longtemps. Mais aucun n’aboutit à un tel résultat. Le rapport du HCI auquel s’est d’abord référé le ministère de l’intérieur met effectivement en évidence les difficultés scolaires des enfants d’immigrés : « Les enfants de famille immigrée sortent aussi presque deux fois plus souvent du système éducatif sans qualification (11% contre 6% pour les non-immigrés). » Le redoublement les touche plus souvent que les autres élèves : plus d’un sur quatre a redoublé à l’école élémentaire contre un sur cinq quand aucun ou un seul parent est immigré. En 2002, sept ans après leur entrée au collège, seul un enfant d’immigré sur quatre prépare un baccalauréat général (27% contre 40% des non-immigrés). Ils sont plus souvent dans les voies professionnelles (35% contre 25% des non-immigrés), et technologiques (20% contre 18% des non-immigrés) et ont moins recours à l’apprentissage (6% contre 9%).

Mais pour les chercheurs spécialistes de la question, pour accablants qu’ils paraissent, ces chiffres n’ont en réalité que peu de sens s’ils ne sont pas mis en perspective. Réalisé à la demande du premier ministre, le rapport du Haut Conseil à l’intégration a semble-t-il eu à cœur de coller à la demande, très politique, qui lui était faite. Il a ainsi mis en valeur les médiocres performances des élèves issus de l’immigration en omettant les spécificités sociologiques de cette population qui rendent l’opposition entre performances scolaires des enfants d’origine française ou immigrée totalement absurde.

« Affirmer qu’il y a sur-représentation des “enfants d’immigrés” qui – pour prendre un indicateur d’“échec” – sortent du système scolaire sans diplôme relève d’une confusion et d’un mauvais usage des statistiques puisque on ne peut pas raisonner en chiffres bruts sans prendre en compte, au moins, la dimension sociale. Or, l’échec scolaire est d’abord l’échec des enfants des milieux populaires, plus que celui des enfants d’immigrés », affirme ainsi Séverine Chauvel, sociologue et co-auteur d’Orientation scolaire et discrimination, qui vient de paraître à la Documentation française. Pour elle, « cette affirmation relève de l’idéologie : attribuer la cause de l’échec aux familles qui ont migré en France permet surtout de ne pas remettre en cause les politiques éducatives actuelles ».

Inégalité de traitement

Tradition républicaine oblige, la recherche sur les performances scolaires en fonction de l’origine a longtemps été difficile. Pour obtenir des résultats sur le comportement scolaire des enfants d’immigrés, les chercheurs s’en sont souvent tenus à des pratiques de contournement : recherches à partir des patronymes, de la nationalité, etc. Or, le panel 1995, qui suit les parcours de tous les élèves entrés en sixième cette année-là, offre pour la première fois des statistiques sur la nationalité des parents. Il permet d’obtenir des données très précises sur la scolarité de cette population. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne vont pas du tout dans le sens du « chiffre » avancé par Claude Guéant.

« Leurs résultats sont globalement moins bons. Mais à classe sociale équivalente ce n’est plus vrai. A caractéristiques sociales comparables des parents, on observe au contraire un avantage des enfants d’immigrés essentiellement dû à l’investissement très forts des parents », explique Annick Kieffer, auteur avec Yaël Brinbaum de l’étude La scolarité des enfants d’immigrés de la sixième au baccalauréat (2009, liresous l’onglet Prolonger). « C’est vrai à l’entrée en sixième et c’est vrai également au niveau du BEPC. »

Selon cette étude, parmi les élèves dont les parents sont ouvriers et employés, 46% ont le bac chez les enfants d’immigrés, contre 40% chez les Français d’origine. Ce chiffre monte à 88% chez les enfants d’immigrés cadres. Ils sont aussi plus nombreux à aller vers une seconde générale. « Le problème, c’est qu’on ne s’intéresse plus à l’origine sociale, déplore Annick Kieffer. On compare deux populations (enfants issus de l’immigration et français d’origine) dont les caractéristiques socioprofessionnelles n’ont absolument rien à voir. » Et de rappeler que dans le cas des enfants d’immigrés, les ségrégations urbaines et scolaires se superposent. Les élèves d’origines maghrébines, par exemple, sont cinq fois plus inscrits en ZEP que les autres.

A l’opposé du Haut Conseil à l’intégration, qui fait mine de pouvoir isoler le critère de l’origine en faisant fi des autres paramètres, la recherche sur la scolarité des enfants d’immigrés tente plutôt aujourd’hui d’ouvrir un champ jusque-là laissé en friche : celui d’une inégalité de traitement selon l’origine. « L’idée d’une légère sur-réussite des enfants d’immigrés, à niveau social égal, ne doit pas faire oublier le sentiment d’injustice criant et la souffrance de beaucoup de ces élèves », souligne ainsi Fabrice Dhume qui a coordonné l’ouvrage Orientation scolaire et discrimination (La Documentation française, 2011, en partenariat avec la Halde). Les élèves de parents immigrés ont-ils les mêmes chances que les autres dans l’école de la République ? Sont-ils notés, orientés de la même façon ? Le panel 95 révèle que 39% des élèves d’origine maghrébine se sont vu refuser leur vœu d’orientation contre 23% pour les élèves français d’origine. Pour ce chercheur de l’ISCRA, il est temps que les pouvoirs publics « sortent du déni sur ces questions ». Pas sûr que, dans le climat actuel, il soit entendu.