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L’Excellence contre la Démocratie - Olivier Dezellus, SLR, 7 juin 2011

lundi 27 juin 2011, par Laurence

Pour lire ce texte sur le site de SLR

La politique d’excellence est d’exclusion

L’usage récent du terme excellence remonte au rapport sur « L’immatériel » de Jean-Pierre Jouyet, rédigé en 2006. On trouve dans ce rapport des expressions comme « promotion de l’excellence », « doter la France d’un système d’enseignement supérieur d’excellence » mais surtout « Mais, pour autant, la France ne peut espérer conduire à un niveau d’excellence internationale plus de quatre-vingts universités et encore plus d’instituts de recherche. ». Cette signification de l’excellence revient tout au long de ce rapport précurseur dont les recommandations contenaient déjà, et entre autres, la LRU, le changement de statut des personnels ou encore la formation de 10 pôles d’excellence. Cette excellence, qui bien entendu n’est jamais clairement définie dans le rapport, est une terminologie habile et cynique.

Le procédé est habile car il emploie un terme qui a un sens pour la communauté, mais qui faute de réflexion récente, n’est pas bien affirmé ou conceptualisé. Je crois que pour notre communauté l’excellence est ressentie comme la démarche dans laquelle chacun se place pour essayer d’atteindre la perfection dans son travail. Dit autrement, l’excellence était pour nous la démarche permanente qui pousse à essayer de se rapprocher de la vérité. J’éviterai ici le terme de qualité ou démarche qualité qui est un autre dévoiement de cette recherche de vérité ou d’excellence. En utilisant donc de manière outrancière ce terme porteur de sens et de valeur pour notre communauté mais à contre-sens, comme un outil de comparaison des acteurs entre eux et non plus face à l’idéal de vérité, le terme d’excellence subit un « essorage sémantique » [1] : son utilisation actuelle profite de l’acceptation de son sens originel par la communauté mais en lui appliquant une toute autre signification et un objectif totalement contradictoire. Voilà pourquoi il est utilisé de manière outrancière en évitant de le définir de manière trop explicite.

Si cette utilisation première du terme excellence était bien associée par son auteur à un principe de renoncement à l’universalité des savoirs et à l’introduction d’un principe de sélection drastique des disciplines et établissements dignes d’intérêt, cette association a ensuite disparu lors de la mise en place des outils permettant de réaliser cet objectif que l’on peut bien qualifier avec Philippe Büttgen et Barbara Cassen de « plan social de la science ». Ce vaste démantèlement, l’abandon pur et simple de champs disciplinaires entiers ne peut se faire rapidement et de manière trop brutale sans engendrer une réaction négative de la communauté. C’est pour cela que le processus procède par étapes successives qui visent toutes à enfoncer des coins dans la communauté universitaire afin de provoquer sa dislocation progressive et affaiblir ainsi ses capacités de résistance.

Les outils du plan social de la science

Le modèle SYMPA est le premier de ces coins. Ce modèle constitue un changement de paradigme où affleure l’excellence. Sa mise en place en 2008-2009 a fait basculer notre système d’enseignement supérieur et de recherche d’un financement sur une logique de besoins à un financement sur une logique concurrentielle de résultats….où par définition les excellents, comprendre les meilleurs, ceux qui répondent le mieux aux critères définis pour quantifier cette excellence, obtiennent plus que les autres. Ce modèle est essentiel dans la perspective du plan social de la science puisqu’il constitue la clé de répartition des moyens. Le modèle SYMPA est aussi contre démocratique dans le sens où il change la ligne de partage entre intérêt individuel et intérêt collectif en donnant un poids nouveau à l’intérêt de chaque établissement qui n’est plus l’intérêt de son voisin.

Après avoir brisé les solidarités inter-établissements, la seconde étape a consisté à affaiblir la collégialité à l’intérieur des établissements en isolant les responsables de leur communauté. Ce fut l’objectif de la LRU et des RCE. L’autonomie financière permet de décentraliser la gestion de la pénurie et de laisser les établissements seuls face à des situations budgétaires dégradées. Dans cette situation, ils n’auront, à terme, pas d’autres choix que de réduire leur offre de formation ou de plaider pour gagner le droit de fixer eux-mêmes les droits d’inscription. Exemple local, à Lyon 1, du fait du sous-encadrement chronique et des effectifs pléthoriques, c’est la licence en 3 ans qui est actuellement en danger dans le département de biologie. Si on revient à la démocratie, la LRU comprend aussi une réforme du mode de scrutin pour l’élection du CA avec le bonus pour la liste arrivée en tête qui permet de retirer un qualificatif classique de la démocratie : représentative. La légitimité des nouveaux CA et donc des nouveaux présidents d’université, n’est plus celle de la représentation de la diversité d’une communauté, elle se restreint simplement à la légitimité d’un processus électoral. Pour apporter une illustration locale, à Lyon 1, Fabien De Marchi, est le seul représentant en catégorie B du groupe IDDE au CA sur 7 sièges, bien que la liste ait rassemblé 47% des suffrages ! Ces nouveaux administrateurs, affranchis de l’obligation morale de représenter une communauté, étaient nécessaires pour la suite du processus. C’est ainsi, toujours à Lyon 1, que le CA a voté la mise en place de chaires mixtes après que le CS ait voté contre… Après tout, ce n’était finalement que l’avis d’un conseil.

Mais le processus électoral pouvait encore amarrer les dirigeants à la communauté, rendant certaines évolutions difficiles à assumer. Il était donc nécessaire de trouver un espace de parfaite autonomie des dirigeants pour aller plus loin dans l’application du plan social de la science. Cet espace fut fourni par les PRES où le nombre d’élus est réduit à la portion congrue (cf. article 344-7 du code de la recherche). C’est donc par les PRES que la phase la plus dure du processus passera, à savoir l’Initiative d’Excellence ou IDEX.

IDEX : expérience Lyonnaise

C’est l’avant dernière étape du processus, celle qui permet de faire le tri dans les 80 établissements dont Jean-Pierre Jouyet disait qu’on ne peut les entretenir, mais au sein même des établissements élus, l’IDEX permet de tracer le pointillé sur lequel il suffira ensuite de tirer pour séparer définitivement le bon grain de l’ivraie, les disciplines et thématiques jugées dignes de monter dans l’arche de Noé de l’excellence et celles qui seront laissées à leur triste sort. L’IDEX crée une université de fait par délégation des établissements constituants de toutes les prérogatives requises (laboratoires, formations, personnels), mais pas une université de droit car non soumise aux codes de l’éducation et de la recherche. Il y aurait beaucoup à dire sur la définition du périmètre d’excellence. Je me contenterai ici de rappeler la pauvreté du mode de sélection qui a consisté à réduire toute la richesse du travail fait dans les laboratoires à une note permettant de mettre les laboratoires et même les équipes en compétition pour l’obtention du précieux sésame A+. Mais notre sujet n’est pas ici le périmètre, c’est la conduite antidémocratique du processus. Je prendrai à nouveau l’exemple de l’IDEX Lyonnais qui ne doit pas être bien différent des autres et qui montre maintenant crûment à ceux qui ne voulaient pas le croire le chemin dans lequel nous sommes engagés.

L’urgence décrétée, la délégation de la réponse à un PRES au fonctionnement opaque, la mise à distance des acteurs principaux concernés, sont des éléments indispensables pour faire passer des « réformes courageuses ». C’est le terme employé par le jury qui demandait à l’IDEX Lyonnais de faire preuve de courage pour mettre en place une gouvernance forte. On croirait lire un plan d’ajustement structurel du FMI ! Et effectivement, la gouvernance sera forte et non démocratique avec un comité exécutif de 9 membres tous nommés pour gérer tout le périmètre d’excellence : les LABEX, les EQUIPEX, les masters créés pour s’adosser aux LABEX et bien sûr les 10% de postes vacants mis à disposition par les établissements. On en viendrait à défendre la LRU !

Concernant la démocratie, la mise en place des initiatives d’excellence est une occasion de lever le voile sur une conception que certains ont du mandat démocratique qui s’apparente bien souvent à un chèque en blanc. Ainsi, sur le site du PRES Lyon-St Etienne on trouve un pdf intitulé "Soutien des collectivités locales" dans lequel on ne trouve finalement qu’une déclaration de Gérard Collomb président de la Communauté Urbaine du Grand Lyon et de Jean-Jack Queyranne, le président de la région Rhône-Alpes. Positions toutes personnelles puisqu’à ce jour, les conseils de ces collectivités n’ont pas explicitement apporté leur soutien par une délibération, mais peu importe, si leur président le pense, ce ne doit être qu’une formalité ! Lors d’une discussion informelle un élu du conseil municipal de Villeurbanne nous disait « la mairie soutient l’IDEX », après l’avoir questionné plus avant il corrige « le groupe majoritaire au conseil municipal soutient ». Du coup, nous avons commencé à aller rencontrer ces élus municipaux pour nous rendre compte que bien souvent ils soutiennent quelque chose qu’ils ne connaissent pas.

Il en va de même de nos chefs d’établissements qui, le 16 mai ont voté le projet IDEX Lyonnais sans même avoir consulté leur CA ! Michel Fodimbi, élu SNESUP au CA du PRES nous a raconté le pesant silence qui a suivi son intervention demandant qui allait consulter la communauté pour s’assurer qu’elle soutient bien le projet…

La seule réponse fut celle du nouveau président de Lyon 1 qui, en partie par conviction mais également par nécessité avait fait cette promesse lors de sa campagne électorale. La consultation a donc été organisée mais sans grande conviction, annoncée par mail le 25 mai pour une consultation électronique ouverte les 26 et 27 mai. Aucune information officielle autre que la fiche b du document final en anglais… Les résultats n’ont ensuite été diffusés que le mardi 31 mai, au moment où s’ouvrait le CA qui devait se prononcer sur le projet. Avec une participation moyenne de 18%, les personnels ont rejeté le projet à 48% avec près de 20% de vote blanc confirmant le manque critique d’informations. Malgré ce résultat clair, les administrateurs ont adopté le projet par 13 voix contre 8, à bulletin secret bien sûr. Quel plus bel exemple pour montrer que l’excellence, pour s’imposer, ne peut que s’opposer à la démocratie. Mais la situation n’est pas meilleure ailleurs. Ainsi le président de Lyon 3 a affirmé devant son CS que le projet déposé ne comportait plus de mise à disposition par les établissements de 10% de leurs postes vacants à l’IDEX : soit il ne connaît pas le projet qu’il a voté, soit il ment, dans les deux cas, c’est le fonctionnement démocratique qui est bafoué puisque les conseils, et a fortiori les personnels, sont maintenus dans l’ignorance !

Et maintenant ?

Alors maintenant quelles perspectives, comment lutter ? Il y a deux niveaux à travailler en parallèle. Dans les établissements, il faut informer et promouvoir la démocratie autant que faire se peut dans tous les conseils. Il faut se saisir de toutes les occasions pour montrer que la collégialité peut encore fonctionner et faire circuler les retours d’expérience positifs.

Il ne faut pas non plus négliger nos concitoyens. L’actualité est riche en évènement comme le Mediator, la sureté nucléaire, les risques des téléphones portables, qui montrent l’indispensable nécessité de maintenir une recherche indépendante des pouvoirs politique et financier, faite par des acteurs tout aussi indépendants. Un fonctionnement démocratique et collégial des institutions est l’une des garanties de cette indépendance.

Mais cela ne suffit pas, il faut aussi interpeller les politiques et leur expliquer le processus en cours que bien souvent ils ne connaissent pas ou sur lesquels ils ne reçoivent que les échos des notables qui y sont favorables. Sur Lyon, nous avons établi des liens avec les organisations syndicales du CESER qui sont parvenues à faire auditionner dans cette instance un représentant syndical du supérieur pour une parole différente de celle des seuls chefs d’établissements. Nous avons aussi établi un pont avec les groupes Front de Gauche et Europe Ecologie Les Verts à la région qui s’opposent clairement aux Initiatives d’Excellence. Cette lutte épuisante mais nécessaire doit trouver un relais dans les autres régions afin qu’un signal fort remonte aux oreilles des politiques et que 2012 ne nous offre pas une simple alternative mais une vraie rupture.


[1Voir Eric Hazan dans "LQR : la propagande du quotidien"