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Lettre de Sauvons la Recherche et Sauvons l’Université aux Parlementaires sur les Investissements d’avenir. Quatre réponses et un compte-rendu de délégation

mardi 18 octobre 2011

L’objectif de cette lettre, rédigée par les associations Sauvons La Recherche et Sauvons l’Université, était d’attirer l’attention des élus de la Nation sur les inégalités régionales engendrées par les « investissements d’avenir ».

Cette lettre a été adressée au mois de juin 2011 aux présidents des groupes de l’Assemblée nationale, du Sénat, au président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et, plus récemment, à l’ensemble des députés et des sénateurs.

À ce jour, elle a reçu quatre réponses :

- le sénateur Ivan Renar nous aurait reçus s’il avait conservé son mandat ;

- le sénateur Philippe Adnot a reçu le 12 octobre 2011 une délégation composée d’Etienne Boisserie, Didier Chatenay, Anne Saada, Emmanuel Saint-James (nous publions ci-dessous le compte rendu de cette entrevue) ;

- le député Jean-Jacques Candelier, député du Nord, a adressé en septembre une question écrite au gouvernement (n° 579) : « L’enseignement supérieur et la recherche sont concernés par le Grand emprunt. Le problème est que les appels d’offre "investissements d’avenir" accroissent les inégalités tant entre les régions qu’à l’intérieur d’une même région. Il lui demande donc s’il entend garantir une répartition territoriale équitable du Grand emprunt, afin de garantir un aménagement du territoire équilibré au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche. » La réponse n’a pas été publiée à ce jour.

- mercredi 19 octobre, à l’invitation de Jean-Louis Touraine, une délégation composée d’Etienne Boisserie, Didier Chatenay, Annick Kieffer, Anne Saada, Emmanuel Saint-James sera auditionnée devant le Groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Nous en publierons le compte-rendu dans les jours qui suivent.


Lettre aux parlementaires

Paris, le 24 juin 2011,

Le gouvernement entend faire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche l’une de ses priorités. Alors qu’il proclame vouloir simplifier l’organisation de ce secteur pour redéfinir les missions de ses personnels et augmenter leur performance, les dispositions mises en œuvre ne font que rendre le système illisible, comme l’a signalé la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur. Ainsi, si 10 structures ont été mises en place entre 2002 et 2006, 40 sont apparues depuis 2007, en s’empilant les unes sur les autres au risque d’une incohérence globale.

Sur le plan du financement, point central, plutôt que d’augmenter le budget propre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le gouvernement a fait appel à une procédure exceptionnelle : le Grand emprunt. De cette façon, les universités sont dotées de capitaux propres et une partie de leur financement se retrouve liée aux intérêts de ce capital.

Ces aspects qui ont trait à l’organisation générale du système et à son financement ont fait l’objet de nombreuses critiques. Notre but aujourd’hui n’est pas de revenir sur cette discussion, mais bien plutôt d’attirer l’attention sur une conséquence beaucoup plus grave du Grand Emprunt qui, jusqu’à présent, a rarement été soulevée, bien qu’elle constitue le véritable objectif du dispositif : aboutir à un remaniement en profondeur de la carte universitaire, tout en faisant l’économie d’un débat politique sur le nombre et la répartition des universités sur le territoire.

Le Grand emprunt constitue le moyen utilisé par le gouvernement pour imposer sa vision politique de l’Université et de la Recherche, dans la lignée de la stratégie de Lisbonne. La conception qu’il défend passe par la concentration des ressources sur « 5 à 10 pôles d’excellence ». Telle est la logique dans laquelle il faut replacer les appels d’offre « investissements d’avenir » (Equipements d’excellence, Laboratoires d’excellences, Initiatives d’excellence, Instituts hospitalo-universitaires, etc.) pour comprendre leur fonction : faire émerger ces pôles d’excellence. Le résultat de cette politique est une transformation en profondeur de la carte universitaire, qui échappe à tout débat national.

Posons justement les bases de ce débat : la France compte plus de 80 universités réparties dans 27 régions. Est-il légitime, sans aucune consultation politique, de sélectionner une poignée de ces universités pour leur donner moyens et notoriété aux dépens des autres établissements de même nature ? Autrement dit, la refonte sous cette forme de la carte universitaire aurait-elle résisté à un débat parlementaire ? Telles sont les questions que la procédure du Grand Emprunt permettait soigneusement d’éviter. Des appels d’offre — à l’apparence objective et aux allures d’élitisme républicain — sont venus se substituer à une consultation nationale sur le rôle de l’Université ainsi que sur son implantation territoriale. De même, à l’intérieur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, des dispositions ont été prises pour que la discussion ne puisse avoir lieu : les appels d’offre ont été lancés dans une telle précipitation et avec des délais si courts qu’aucune consultation des personnels n’était envisageable au sein des universités, des grandes écoles et des organismes de recherche.

Les premiers résultats de cette politique sont là et les constats se font amers, notamment concernant la répartition territoriale : comme l’a relevé Louis Vogel, président de la conférence des présidents d’université, « les lauréats (des labex) se concentrent en région parisienne, en Alsace, en Rhône-Alpes et un peu dans le Sud. En revanche, le Grand Ouest, une partie de l’Est ou le nord de la France sont désertés » (Le Monde, 4 avril 2011). Le corollaire de la politique d’excellence, en effet, c’est la marginalisation symbolique et financière des autres établissements d’Enseignement Supérieur et de Recherche, pour lesquels aucune perspective n’a été envisagée et dont le seul horizon à terme pourrait être de se voir réduits à de simples pôles universitaires de proximité proposant des licences professionnelles.

Ces choix ont des retombées économiques et sociales immédiates. Deux questions se posent : comment peut-on engager un remaniement de la carte universitaire de cette ampleur sans l’accompagner d’une réflexion préalable sur les inégalités qu’engendrera immanquablement le Grand Emprunt tant entre les régions qu’à l’intérieur d’une même région ? Peut-on accepter qu’aucune mesure économique n’ait été prise en faveur de la mobilité des étudiants, quand la restriction de l’éventail des formations proposées et des recherches qui leur sont adossées contraindra les jeunes générations à davantage de déplacements ? Le Grand Emprunt, en effet, pose de manière aigue la question de l’accès à l’Enseignement Supérieur et de son coût, soit celle de la sélection sociale des étudiants. Loin de résorber les inégalités, le Grand Emprunt contribuera à les accroître : pour des raisons géographiques et financières, les grandes universités deviendront inaccessibles à une partie des étudiants.

Derrière des mesures d’apparence technocratiques, le Grand Emprunt est donc un dispositif éminemment politique destiné à mettre en œuvre une réforme universitaire profonde dont les conséquences sur le développement du territoire se feront sentir à long terme. Au-delà de cette dimension, d’autres transformations se profilent, qui touchent à la nature même des universités. Jusqu’à présent, les universités relevaient du service public. A ce titre, elles recevaient leurs moyens de fonctionnement dans le cadre du budget de l’Etat, en conformité avec les missions de production et de transmission des connaissances qui étaient les leurs, ainsi que celle d’égalité d’accès au savoir. Or les réformes actuelles mettent à mal le lien entre le mode de financement et la mission générale de service public.

Ce sont ces considérations qui nous incitent aujourd’hui à nous adresser aux élus de la Nation. Le système universitaire connaît actuellement une telle désorganisation de son financement, de son fonctionnement interne et de ses finalités qu’il devient urgent de redéfinir clairement ses objectifs ainsi que les moyens qui lui sont adaptés. Les effets déstructurants des réformes en cours peuvent-ils échapper au débat des élus de la Nation ? La nature des transformations n’est-elle pas telle que le législateur ait à s’en enquérir ?

Sauvons la Recherche et Sauvons l’Université


Compte rendu de l’entretien avec le Sénateur Adnot (Aube), 12 octobre 2011

Après quelques mots d’accueil courtois, le sénateur Adnot nous a invités à lui exposer les motifs de notre interpellation. Nous avons alors exprimé les inquiétudes suscitées au sein de la communauté par les conséquences à long terme de l’initiative IDEX et, en particulier, comme point d’entrée, la question des déséquilibres territoriaux.

Le sénateur a aussitôt répondu que ces inquiétudes concernant les IDEX étaient légitimes et partagées, si le scénario que nous décrivions venait à se réaliser. Selon lui, la mise en place des IDEX ne doit pas nécessairement s’accompagner de la discrimination d’autres sites universitaires car, affirme-t-il, tirer vers le haut quelques centres n’a pas pour effet mécanique de tirer d’autres sites vers le bas. Devant notre scepticisme face à cette vision des choses, le sénateur a convenu qu’un autre schéma était possible : une concentration des ressources sur quelques pôles sélectionnés. La question a alors été posée du « comment faire pour que cela ne se produise pas », mais aucune réponse n’a été envisagée. Le sénateur s’est réclamé à plusieurs reprises de l’optimisme, et a exposé ce qui devrait être : le milieu universitaire fonctionne dans cette logique de l’excellence et le principal est que l’excellence puisse être accessible à l’ensemble des acteurs de l’ES&R sur tout le territoire. La discussion sur ce point a été quelque peu difficile et nous avons tenté d’expliquer que la construction qui se mettait en place (et qui devrait avoir des effets à long terme) était fondée sur une définition éminemment contestable de l’excellence (à savoir les notations AERES). Il semblait difficile, en l’état, d’aller plus loin, tant le discours sur le sujet de l’« excellence » reposait sur des postulats divergents.

Au fil de la discussion, plusieurs sujets ont été abordés, ce qui nous a permis d’exposer au sénateur les conditions difficiles dans lesquelles nous effectuons nos métiers :

- La chute libre des dotations des organismes et ses conséquences sur la recherche. Liée à ce thème, la question des programmes blancs de l’ANR a été abordée : le sénateur a été surpris du faible taux d’acceptation par l’ANR de ces projets (15%) ;

- Les contraintes budgétaires des universités, conséquence des RCE, inscrites dans le cadre de la loi LRU et renforcées par le principe de fongibilité asymétrique. Plusieurs exemples des effets de cette contrainte budgétaire, que le sénateur semblait ignorer, ont été présentés ;

- Arbitraire et opacité des prises de décisions au sein des universités depuis la LRU ; élaboration, hors de tout contrôle ou de toute concertation avec les conseils, sans parler des personnels concernés, des projets IDEX et LABEX. Sur ce sujet également, le sénateur ne semblait pas connaître précisément les processus d’élaboration et a paru surpris, mais pas véritablement choqué.

- L’empilement des structures : le sénateur a été lui-même étonné du nombre de nouvelles structures apparues depuis quelques années (qu’il ne mesurait pas), mais voulait croire en leur cohérence. Nous lui avons fait part de nos vaines tentatives pour en trouver la logique. Le sénateur a affirmé qu’il chercherait à construire un organigramme de ces différentes structures pour voir si cette cohérence existait.

Cette audition de deux heures a démontré de nombreux points de désaccords sur les fondements de la politique actuelle. Contrairement à nos attentes, ce n’est pas la partie de la discussion qui portait sur les IDEX qui aura été la plus intéressante, ni même qui aura retenu l’attention du sénateur. En revanche, celui-ci a été visiblement surpris par le récit des conséquences des réformes sur le fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’avantage de cette discussion aura donc été d’attirer l’attention du sénateur sur plusieurs aspects et conséquences prévisibles ou avérées de la politique menée depuis 4 ans.