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2012 : l’UMP exploite la défiance envers le corps enseignant - Lucie Delaporte, Médiapart, 9 novembre 2011

jeudi 10 novembre 2011, par Laurence

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La majorité au grand complet. Mardi soir, Luc Chatel, Laurent Wauquiez, Jean-François Copé, Nadine Morano se sont succédé au théâtre Bobino à Paris pour marteler les « succès » de la droite en matière d’éducation et présenter les trente propositions du projet 2012. L’UMP a voulu montrer qu’elle occupait le terrain monopolisé ces dernières semaines par les débats entre socialistes autour, notamment, de la proposition de François Hollande de rétablir en cinq ans les 60.000 postes supprimés dans l’Education nationale.

La thématique ne doit rien au hasard. Les think tank proches de la majorité, comme la Fondation pour l’innovation politique, ont prévenu : les classes moyennes ont une attente – et une angoisse – énorme vis-à-vis de l’école, première barrière contre le déclassement. Impossible donc de faire l’impasse sur ce dossier pour 2012. A six mois de l’élection présidentielle, après les grandes manifestations de la rentrée regroupant public et privé contre les suppressions de postes, il faut à tout prix que la photo soit bonne. « Venez jeune homme, on a besoin de visages jeunes devant ! » lance d’ailleurs un membre de l’organisation en tirant par la manche un jeune un peu rétif assis au fond de la salle du théâtre. Le journaliste-animateur Nicolas Rossignol, issu de l’écurie de Julien Courbet, assure le spectacle dans une ambiance talk-show un peu décalée.

Profil bas alors que l’école est exsangue ? Tout au contraire ! Luc Chatel, d’emblée, donne le ton de la soirée : « Je veux que vous soyez fiers du bilan de Nicolas Sarkozy dans ce domaine. Il faut être fiers du travail que nous avons fait. » Oubliés un instant les milliers de suppressions de postes, les enseignants-stagiaires lâchés sans aucune formation dans leurs classes, les ravages de la quasi-suppression de la carte scolaire, la crise sans précédent des vocations… Aucun de ces sujets ne sera abordé au cours de la soirée. D’où une impression d’un débat parfois « hors-sol », totalement irréel.

Le bilan sur l’école est formidable. Pour preuve, les résultats des dernières évaluations de CE1 et de CM2 qui révèlent « une meilleure maîtrise des fondamentaux ». Et qu’importe si ces évaluations ont été maintes fois contestées, si leurs résultats sont jugés « partiels, peu exigeants et donc trompeurs » par le Haut conseil à l’éducation (HCE) dans son dernier rapport… Les bonnes nouvelles sur le front éducatif sont si rares qu’il est difficile de faire la fine bouche.

Le statut de fonctionnaire

« Je suis fier qu’il y ait 300 collèges (ceux du dispositif ECLAIR — Ecoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, le dispositif qui remplace les ZEP, Zones d’éducation prioritaire) où il y a une autonomie de recrutement, où les chefs d’établissements ont choisi leur équipe pédagogique. Quelque part, c’est révolutionnaire. Il faudra aller plus loin », lance ainsi le ministre en introduction à la convention UMP intitulée « Du savoir pour tous à la réussite de chacun ». C’est d’ailleurs tout l’esprit du projet présenté mardi : amplifier, généraliser les expérimentations qui tendent à une plus grande libéralisation du système éducatif.

Ainsi l’UMP propose d’accélérer l’autonomie des établissements pour l’instant uniquement expérimentée dans les ECLAIR. La proposition 10 indique clairement que « le renforcement de l’autonomie des établissements doit signifier la possibilité pour le chef d’établissement (principal de collège, proviseur de lycée, mais aussi, à terme, directeur d’école) de recruter librement son équipe enseignante et d’administration, en fonction du projet de son établissement ». Une mise en concurrence assumée du système de recrutement qui risque de renforcer les écarts entre établissements. Mais le but est également que les chefs d’établissement (à la manière de ce qui s’est déjà fait pour les directeurs d’hôpitaux) soient de véritables patrons, formés au management et eux-mêmes évalués. Pression et concurrence à tous les étages, donc, pour que, bien entendu, chacun donne le meilleur de lui-même.

Sur ce point, la philosophie du projet UMP est sans complexe : « L’école du futur doit être complètement transparente vis-à-vis des parents. Il faut qu’ils puissent mesurer les performances des établissements éducatifs », a souligné Luc Chatel. Et faire leur choix dans un système où la concurrence est naturellement synonyme d’émulation. Jean-François Copé raconte ainsi le « cauchemar » qu’il a vécu pour faire partir un principal de collège à Meaux « pas adapté »… Et l’on comprend bien que c’est au statut des fonctionnaires qu’il faut s’attaquer. La salle applaudit.

Double évaluation

L’autre mesure phare présentée mardi, censée aider à « revaloriser la place et l’autorité des professeurs », propose d’ailleurs de revoir en profondeur le statut des enseignants. Ce dernier intégrerait, en plus des heures de cours, « le tutorat, l’orientation, la concertation ». Un temps de présence accru contre une revalorisation du traitement des enseignants. Contrairement au parti socialiste qui avance aussi sur le sujet et négocie en coulisse depuis des mois avec les syndicats, l’UMP propose habilement que ce nouveau statut soit proposé « sur la base du volontariat ».

Cette redéfinition des missions pourrait aboutir à la création d’un nouveau corps qui concernerait les candidats à l’actuel Capes (le concours d’entrée) et qui serait ouvert aux professeurs certifiés en exercice, sur la base du volontariat, stipule la proposition 15. Un nouvel avatar éducatif du travailler plus pour gagner plus en somme.

L’UMP, dans le droit fil de la politique menée ces dernières années, propose aussi que les enseignants soient désormais évalués par leurs chefs d’établissement, mais aussi par « un chef de département », un responsable disciplinaire. Là encore, pour motiver un corps enseignant trop peu stimulé sans doute.

Pour restaurer l’autorité dans les classes, une enseignante de maternelle invitée à débattre avec le ministre propose que le vouvoiement soit obligatoire dès la maternelle, suscitant le silence poli du ministre. Le principal d’un internat d’excellence fait lui l’éloge d’une des mesures emblématiques du quinquennat qui permettent d’exfiltrer les élèves « qui ont des capacités » de leurs quartiers difficiles pour leur offrir une chance de réussite. Comment en serait-il autrement d’ailleurs puisque ceux-ci signent en début d’année « un contrat sur la base de la notion de progrès » ? La contractualisation de la réussite est l’un des axes majeurs du programme UMP. On comprend que ces internats – extrêmement coûteux pour très peu d’élèves – seront pérennisés. Pour l’UMP, il s’agit que chaque élève trouve dans le système éducatif la place qu’il mérite.

Pour « les perturbateurs », ceux qui ont des problèmes de comportements, l’UMP propose de développer les établissements de réinsertion scolaires, expérimentés depuis cette année. Là encore, il faudra veiller à la poursuite du dispositif. « La mixité sociale, c’est bien gentil, assure d’ailleurs Jean-François Copé, à condition que ce ne soit pas pour être tiré vers le bas. »

Dans le projet présenté, le collège unique, cible constante de la droite, serait également aménagé pour permettre une orientation dès 14 ans de l’élève « vers une voie de réussite qui lui correspond ». Une orientation ultra-précoce « à la découverte des métiers », donc, pour laquelle les entreprises ont maintes fois montré un intérêt très modéré. A moins qu’il ne s’agisse de trouver une nouvelle porte de sortie aux élèves les moins performants… Pour Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la famille et en charge des questions d’apprentissage pour l’UMP : « Il faut mieux orienter nos jeunes dès l’école. Toutes les voies sont des voies royales dès lors qu’elles amènent à un métier. » Enthousiaste, un participant à la convention UMP glisse même qu’il serait bon que la découverte des métiers se fasse dès la maternelle.

A l’adresse des classes moyennes

L’école dont rêve l’UMP pour 2012 laisserait une place plus importante aux outils numériques. Jean-Michel Fourgous, député-maire d’Elancourt, grand adepte de la pédagogie numérique sur laquelle il doit rendre prochainement un rapport, fit frissonner la salle en parlant des perspectives de e-learning dans l’Education nationale. « Le numérique est un formidable atout de changement… Imaginez un prof d’anglais qui parle en visio-conférence en direct des Etats-Unis, avec son accent ! » Un rêve pour Bercy, indiscutablement. « En plus, avec cette tablette, vous pouvez évaluer l’élève en temps réel », s’extasie-t-il.

Pour le reste, la trentaine de propositions présentées mardi n’avaient rien de très nouveau : revenir sur les rythmes scolaires (et la semaine de quatre jours mise en place par Xavier Darcos), le ministère en parle depuis longtemps ; enseigner l’anglais dès 3 ans, Luc Chatel le propose depuis des mois.

Pourquoi cette assurance à proposer de poursuivre une politique qui a mis le monde éducatif en ébullition ? Parce que, pense la majorité, c’est ce qu’attendent « les classes moyennes ». « Le sujet éducatif est mûr dans notre pays. Les Français l’attendent », a, de façon un peu énigmatique, conclu le ministre de l’Education. Une phrase bientôt éclairée par l’intervention de Laurent Wauquiez à propos des frais d’inscription à l’université que la fondation Terra Nova, proche du parti socialiste, propose de tripler. « Le vrai sujet tabou en France, ce sont les classes moyennes. Ce n’est pas politiquement correct d’en parler. Ces “cochons payeurs” comme on dit chez nous... », bons à payer des impôts, mais qui ne reçoivent aucune aide de l’Etat « dès lors qu’ils ont le malheur de toucher deux Smic ». C’est à eux que le projet UMP s’adresse.

Dans ce contexte, la défiance envers le corps enseignant a été jugée exploitable. Car ce qui ressort des propositions de l’UMP pour 2012, c’est qu’elles jouent clairement les classes moyennes contre le monde éducatif. Une grande partie des propositions pour 2012 tournent significativement autour de la mise au pas d’un corps de fonctionnaires, enfin mis en concurrence. Sur ce point, ce qui a été initié ces cinq dernières années, carte scolaire, amorce de rémunération au mérite, doit donc être poursuivi.

Recrutés par le chef d’établissement (donc beaucoup plus soumis à son autorité comme dans les établissements privés), toujours plus évalués, les enseignants travailleront plus et mieux, veut croire la majorité. Le tri des élèves tout au long de leur scolarité « pour ne pas être tiré vers le bas », comme le souligne le président de l’UMP, s’inscrit dans le droit fil des analyses sur la peur du déclassement des classes moyennes menées par le sociologue Eric Maurin. Parfois explosives, toutes les propositions de l’UMP ne seront sans doute pas reprises par Nicolas Sarkozy. Mais le ton et l’angle d’attaque de la campagne sur l’école sont bel et bien donnés.