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Un dernier décret pour la route ?

jeudi 10 mai 2012, par Bouvard et Flaubert

Dernières heures de décrets dans l’éducation ; Véronique Soulé, Libération, 9 mai 2012.

Analyse à lire dans Libé ici.
Le gouvernement sortant a fait passer in extremis des textes très contestés, dont certains devraient être rapidement abrogés.

A peine publié et déjà pratiquement abrogé : le décret réformant l’évaluation des enseignants restera comme l’un des plus fulgurants de l’histoire. Le texte, unanimement dénoncé par les syndicats, a été signé lundi, au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy. Et hier, quelques heures à peine après sa publication, Vincent Peillon, le conseiller éducation de François Hollande, a annoncé qu’il serait abrogé dès la mise en place du nouveau gouvernement. Motif : il s’agit d’« un passage en force inacceptable » juste après le second tour de la présidentielle et « d’une nouvelle illustration du mépris du dialogue social » affiché par le gouvernement sortant. Retour sur ces textes passés in extremis dans l’éducation et le supérieur, à la veille d’un scrutin clé.

Au lendemain de la victoire de François Hollande : l’évaluation

Le décret publié hier au Journal officiel porte sur l’« appréciation et la reconnaissance de la valeur professionnelle » des personnels enseignants. Il s’agit d’une pièce maîtresse d’une réforme que le gouvernement sortant avait promis de mener durant le quinquennat : celle de l’évaluation des enseignants.

Pour le ministre Luc Chatel, un ancien de L’Oréal, et pour la directrice des ressources humaines du ministère, Josette Théophile, venue de la RATP, l’Éducation nationale, avec ses 800 000 professeurs, était gérée avec des méthodes archaïques. Pour la moderniser, il fallait, selon eux, introduire un management inspiré du privé. Et cela passait par une évaluation des performances individuelles, avec fixation d’objectifs et progression de carrière en fonction des résultats.

La réforme concoctée par le ministère prévoit ainsi de faire évaluer les enseignants du secondaire par les chefs d’établissement lors d’un entretien tous les trois ans. S’il est concluant, le prof peut se voir gratifié d’une « réduction d’ancienneté » - il lui faut alors moins de temps pour passer à l’échelon supérieur. Si cela se passe mal, il peut à l’inverse écoper d’une majoration. Jusqu’ici, les enseignants étaient essentiellement évalués par des inspecteurs spécialistes de leurs disciplines. Les chefs d’établissement leur donnaient aussi une note administrative, mais elle comptait peu. Dans le primaire, la réforme ne change pas grand-chose.

Seul le Sgen-CFDT avait tenté de négocier le projet initial. Mais devant le peu d’écoute, il avait fini par renoncer. Et les syndicats, consultés le 16 mars, avaient rejeté unanimement le texte, estimant qu’un proviseur ne pouvait juger de la qualité d’un cours et décider, par là, de la carrière d’un prof. Luc Chatel avait alors annoncé qu’il passerait outre, apparemment persuadé de faire un grand œuvre en modernisant ainsi son ministère.

Avant le second tour : la criminologie et l’orthographe

Faire de la criminologie une discipline universitaire à part entière était devenu ces derniers temps une urgence au ministère de l’Enseignement supérieur. Malgré le tollé suscité chez les universitaires, qui dénonçaient un projet taillé sur mesure pour Alain Bauer, conseiller de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité, le ministre Laurent Wauquiez a donné son feu vert le 15 mars, à la création d’une section de criminologie au Conseil national des universités - consacrant sa reconnaissance comme discipline. Et le 3 mai, trois jours avant le second tour, un décret est paru au Bulletin officiel nommant 18 titulaires - dont Alain Bauer - et 18 suppléants à la nouvelle section. Mais l’affaire n’est sans doute pas close. Et le futur ministre risque de devoir se prononcer sur des demandes de fermeture de la section.

Le 3 mai également, le ministère de l’Education a diffusé une circulaire sur « le renforcement de l’enseignement de l’orthographe à l’école ». Sur le fond, les syndicats n’ont pas trouvé grand-chose à redire : le niveau baisse en orthographe, toutes les études en attestent depuis des années. Mais certains se sont interrogés sur une circulaire si tardive, comme s’il fallait encore et toujours dénigrer les profs - signe de l’exaspération ambiante après cinq de sarkozysme.

Juste après le premier tour : l’apprentissage à 15 ans

En arrivant au pouvoir, Nicolas Sarkozy avait abrogé l’« apprentissage junior » ouvert aux jeunes de 15 ans. En partant, il l’a rétabli. Le 26 avril, conformément à la loi Cherpion (du nom du rapporteur UMP) sur le développement de l’alternance, un décret est paru au Journal officiel autorisant un élève âgé de 15 ans au cours de l’année et ayant terminé le collège à entrer en apprentissage. Les syndicats ont protesté, estimant que l’on s’attaquait ainsi à la scolarité obligatoire fixée jusqu’à 16 ans, et aussi indirectement au collège unique, la loi introduisant également des possibilités d’alternance dès la 4e. Mais les « corps intermédiaires », jugés conservateurs, corporatistes et hostiles à toute réforme, n’avaient pas l’oreille du ministre.