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"Les facs font leur com’", mediapart.fr, Lucie Delaporte, 6 août 2012

mardi 14 août 2012, par Alain

Elle est loin l’image de la fac frondeuse, toujours en pointe des mobilisations étudiantes. Pour changer son image, Paris 8, l’université de Saint-Denis (93), invite désormais régulièrement des journalistes, via une agence de communication, à des rencontres autour de grands réalisateurs, comme récemment Michael Haneke ou Manoel de Oliveira. Plus glamour, sans doute, que des banderoles et des piquets de grève. Ailleurs, c’est une autre université, qui convie à déjeuner dans un grand restaurant parisien quelques représentants des medias pour converser de sa stratégie avec son président. C’est encore l’université de Créteil, qui placarde dans le métro son offensive campagne : «  J’ai fait l’UPEC », façon grande école. Campagne pour laquelle elle a reçu un prix – ça ne s’invente pas – de « communication corporate ».

Sous l’effet de l’autonomie, les universités françaises découvrent, avec un certain enthousiasme, la communication. La LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite aussi Loi Pécresse) a en effet instauré une concurrence à tous les niveaux entre établissements, que ce soit pour attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs enseignants-chercheurs, mais aussi pour obtenir les financements des régions ou, dans une moindre mesure, du privé. Les universités estiment désormais qu’il faut revoir leur image pour s’imposer dans un paysage en pleine recomposition.

Première manifestation de cette mue, opérée sous les conseils avisés d’agences de communication, beaucoup ont changé de nom, jugeant le leur trop tristement administratif. Ainsi Paris 12 s’est transformé en UPEC (Université Paris Est Créteil), et on ne dit plus université de Strasbourg mais « Unistra », alors que Nanterre dont le nom doit sans doute trop rappeler les étudiants d’un certain mois de Mai, tente de s’imposer comme « l’université Paris Ouest ».

Ces deux ou trois dernières années, la plupart des établissements ont refait leur site internet et adopté un nouveau logo. Surtout, tout semble devenu prétexte à faire parler de soi : «  l’IUT de Ville d’Avray, champion de France et d’Europe de robotique », « une étudiante en pharmacie de Lille 2, primée par la fondation Yves Rocher », annoncent-ils sur leur site. « Est-ce vous saviez que Zidane a fait l’Université de Limoges ? » nous glisse opportunément un communicant.

Financièrement aux abois (un quart des établissements sont aujourd’hui en déficit), les universités ne lésinent pas sur leur budget communication, qui ont littéralement explosé depuis 2009. Car changer d’image a un prix. Un bilan d’image comme celui réalisé à l’université de Limoges par l’agence Campus communication se chiffre en « plusieurs dizaines de milliers d’euros », reconnaît Manuel Canévet, co-fondateur de cette agence spécialisée dans l’enseignement supérieur. L’agence MCM propose, selon les bourses, des « packages » à 12 000 ou 40 000 euros, comprenant : «  Entretiens en face à face avec 3 journalistes (ou 1 déjeuner) », « Veille + Plannings rédactionnels + Alertes », mais aussi «  8 Communiqués (rédaction + diffusion + relances). » Pour les facs les plus démunies, quelques actions en one shot comme un dossier de presse (3 900 euros) ou un déjeuner avec un journaliste (900 euros) feront l’affaire.

« Unistra pour moi, c’est une poudre de lessive »

« Alors que tous les budgets des services centraux ont été touchés, celui de la communication – un peu plus de 400 000 euros sur 2011 et 2012, hors masse salariale – n’a, lui, pas baissé », s’étonne Pascal Maillard, membre du conseil d’administration de l’université de Strasbourg. D’embryonnaires, les services de com’ des facs se sont aussi considérablement étoffés. À l’université de Strasbourg, on y compte aujourd’hui pas moins de vingt personnes.

Signe de leur montée en puissance, les facs ont aussi développé, à l’instar des grandes entreprises, leur communication de crise. Début juillet, à peine l’Unef, le principal syndicat étudiant, avait-il publié son palmarès des facs qui dérogent aux règles sur les droits d’inscription (voir notre article), que les établissements incriminés dégainaient, en moins d’une heure, d’impeccables communiqués dénonçant point par point «  les erreurs » du syndicat étudiant.

Cette priorité donnée à la communication n’est évidemment pas du goût de tous dans le milieu universitaire. Comme l’écrit lucidement Brigitte Fournier, directrice de l’agence Noir sur Blanc, dans un livre blanc consacré à la communication dans le supérieur, ce développement se heurte à «  un milieu académique qui demeure encore très sceptique à l’égard des méthodes et des enjeux de la communication… Certains décideurs de l’enseignement supérieur ne sont pas loin d’y voir un gaspillage pur et simple ».

Les coûts mobilisés, dans un contexte budgétaire très difficile, font bondir les personnels. Dépenser autant dans l’image au moment où les facs ferment des filières, faute de moyens, apparaît à certains totalement décalé. « Bien sûr que ça râle en interne, surtout quand on ne peut pas donner une prime de 100 euros pour les personnels Iatos (administratifs, techniciens, ouvriers – ndlr) qui sont au Smic », s’agace Catherine Deville Cavellin, enseignante à l’Université Paris Est Créteil et également membre du conseil d’administration.

L’arrivée de communicants issus du privé, qui méconnaissent souvent les codes de l’université, ne se fait pas non plus sans heurts. « Unistra, pour moi, c’est une poudre de lessive », se désole Pascal Maillard, qui refuse de voir disparaître le nom de son université. « Il y a un enjeu très important à changer de nom. On ne peut pas transformer un nom qui symbolise un lieu de savoir en une marque. L’université de Strasbourg a une histoire. Là, on travaille contre l’histoire », s’insurge ce spécialiste de Baudelaire. Pour lui, « une culture d’établissement n’est pas le résultat d’une campagne publicitaire ».

« Les colloques scientifiques ne les intéressent pas »

Issu de la publicité, le directeur de la communication de Strasbourg, constatant manifestement que la greffe ne prenait pas, vient d’ailleurs de jeter l’éponge et de démissionner.

À ceux qui s’interrogent sur le bienfondé de la communication à tout crin, la directrice de l’agence Noir sur Blanc réplique que les universités mises en concurrence n’ont tout simplement plus le choix. «  C’est le serpent qui se mord la queue. Si vous êtes le meilleur mais que personne ne le sait…Vous n’aurez pas raison contre le reste du monde », affirme-t-elle. « Les universités doivent expliquer qui elles sont. Elles ont des différences à faire valoir », renchérit Manuel Canévet. Pour eux, la tendance ne pourra donc que s’accentuer même si, regrette Manuel Canévet : « Les budgets ne sont pas encore là. Une entreprise de taille comparable aurait par exemple quatre fois plus de budget ».

Pour ces professionnels de la com’, le marché manque encore de maturité. Fragilisées par la crise économique de 2008, bon nombre d’agences de communication généralistes se sont engouffrées sur ce marché jugé porteur, mais dont elles ignorent à peu près tout. Pas grave, de leur côté, les universités ne savent souvent pas grand-chose de la com’ et achètent donc en toute candeur du «  logo » et de « l’animation de réseau social », sans trop se poser de questions.

« A contrario, quand on organise des colloques scientifiques, cela n’intéresse absolument pas les gens de la communication. Alors que ce serait le moment où jamais de communiquer », déplore enfin Catherine Deville Cavellin. Étonnament, la promotion des publications scientifiques ne fait pratiquement jamais partie du périmètre des services de communication des universités.

Faire de la communication en ignorant les personnels de l’université peut pourtant s’avérer périlleux. La campagne autour de l’université de Strasbourg intitulée «  Elle est unique » a tellement exaspéré les enseignants-chercheurs en plein mouvement anti-LRU qu’ils l’ont aussitôt rebaptisé « Elle est inique ». Avec un sens indéniable de la com’.

Lire l’article sur le site de mediapart.