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L’organisation de l’ESR et la précarité, deux questions liées. Alain Trautmann, le 4 mars 2013

lundi 4 mars 2013, par Hélène

L’objectif de ce texte est d’analyser certaines caractéristiques fondamentales de la précarité actuelle dans l’enseignement supérieur et recherche (ESR) en France. Pour qu’un mouvement énergique contre cet état de fait puisse se développer, il faut d’abord rendre visibles certaines de ses racines.

Une des conséquences les plus graves de la crise économique et financière actuelle est de mettre au chômage des centaines de milliers de personnes. Il devrait être de la responsabilité de l’Etat de ne pas aggraver cette situation en fermant dans le même temps l’accès aux postes de la fonction publique. Dans le cas de l’ESR, on peut trouver particulièrement absurde que des personnes ayant travaillé en CDD dans des laboratoires publics depuis de nombreuses années, qui fournissent un travail de qualité reconnue, soient menacées d’un chômage à très court terme. Tout le monde souligne l’importance de l’ESR pour notre pays, que ce soit pour développer des connaissances, pour contribuer au haut niveau de l’enseignement supérieur, pour former des experts scientifiques indépendants, ou pour l’intérêt des retombées économiques futures de certaines recherches. Si c’est le cas, il faut une politique de l’emploi à la hauteur de ces enjeux, qui ne saurait aboutir à se débarrasser d’une partie de ceux qui le font fonctionner. Parmi les personnes menacées, beaucoup travaillent comme ingénieurs, techniciens ou administratifs (ITA), et d’autres, après une thèse (qui, en sciences, est passée vers 27 ans en moyenne), ont effectué une série de post-doctorats.
Lois Le Pors (1983) et Sauvadet (2012)

Cette situation est la conséquence d’un ensemble de causes. Cela fait plusieurs dizaines d’années que les services publics sont la cible de l’idéologie libérale. Cette dernière a poussé avec un succès croissant au remplacement de postes statutaires par des postes en CDD, particulièrement dans l’ESR. C’est ainsi que des besoins permanents en personnels ITA ont été assurés par des personnes empilant des CDD pour assurer la même fonction. Cette anomalie aurait dû être prévenue par la loi Le Pors (1983), dont un des objectifs était de limiter le nombre de CDD successifs possibles pour le même emploi. Cette loi, mal appliquée, a été renforcée en 2012 par la loi Sauvadet, arrachée par les syndicats au gouvernement Fillon. Elle oblige un employeur à établir un CDI à toute personne ayant rempli la même fonction pendant 6 ans, sur des CDD successifs. Il n’y a guère à redire à une loi qui limite la précarité, lorsqu’elle s’impose à un employeur qui décide, localement, de l’embauche. C’est, sans ambiguïté, le cas pour les postes administratifs universitaires par exemple. Pour des postes d’ingénieur, les concours de recrutement sont ouverts au niveau national. En pratique, si quelqu’un donne toute satisfaction dans un laboratoire, cet ingénieur a toutes les chances d’obtenir un poste qui serait ouvert pour ce laboratoire. La titularisation d’ingénieurs empilant des CDD est donc raisonnable, même s’il est souhaitable de maintenir la règle de concours nationaux. Si la loi Sauvadet a des conséquences positives, on va voir que c’est également elle qui, indirectement, contribue à créer des situations absurdes pour certains post-docs.
Modèle anglo-saxon ou modèle français ?

Rappelons qu’il existe deux grands modèles de recrutement de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs dans l’ESR. Dans le modèle anglo-saxon, un laboratoire typique comporte un seul statutaire, le PI (principal investigator), entouré d’un nombre important de doctorants et de post-docs. Le PI est recruté vers 40 ans en moyenne, après une période d’essai de cinq ans (tenure track) conduisant éventuellement au recrutement sur poste pérenne (tenure). S’il franchit ce cap, il est bien payé, et sa reconnaissance internationale dépend de la quantité et de la qualité des articles qu’il signe en dernier, et donc du nombre de post-docs de qualité dont il s’entoure. Ce modèle fonctionne très bien aux USA, et aussi en Grande–Bretagne, Suisse, et pays nordiques. L’efficacité économique apparente de ce modèle est d’autant meilleure que les post-docs sont des étrangers dont la formation universitaire n’a rien coûté à ce pays.

Le fonctionnement de la recherche en France s’est construit autour d’un modèle différent basé sur l’existence de structures collectives formées de personnels permanents travaillant en équipe. Dans ce contexte, les recrutements étaient effectués peu d’années après la thèse, environ dix ans plus tôt que dans le modèle anglo-saxon. Les deux modèles ont prouvé leur efficacité, dans des contextes culturels différents. Alors que certains considèrent le modèle anglo-saxon comme plus efficace, il n’existe aucune étude sérieuse démontrant cette supériorité et prenant en compte l’ensemble des éléments nécessaires pour établir cette démonstration (production scientifique, coût économique, montant de l’effort national de formation et de soutien à la recherche). D’autres estiment que si la France a une production scientifique de grande qualité malgré un soutien à la recherche publique plus faible que dans plusieurs pays de l’OCDE, c’est précisément à cause de l’efficacité de son système de recherche. En tout état de cause, les deux types d’organisation de la recherche, anglo-saxon et français, reflètent deux cohérences différentes, incompatibles entre elles.
Le modèle incohérent actuel

Depuis des années, on assiste à une altération du modèle français, qui est devenu un système chimère incohérent. Quasiment personne en France n’ose défendre l’adoption franche du système anglo-saxon, qui impliquerait de diviser le nombre de postes statutaire par 3 ou 4, voire plus. Le PDG de l’INSERM, A. Syrota, est celui qui est allé le plus loin en la matière. Dans un rapport (non rendu public, mais porté à la connaissance du CS de l’INSERM) qu’il a rédigé en 2009 à l’occasion de l’évaluation de l’Inserm par le comité AERES présidé par E. Zerhouni, A. Syrota proposait de ne garder qu’un recrutement au niveau tenure, c’est-à-dire sur un profil DR2, vers 40 ans. Cette proposition présentée ensuite comme une proposition Zerhouni, venait bel et bien du PDG de l’INSERM qui, après avoir très efficacement appliqué la politique sarkozienne en matière d’ESR, vient d’être reconduit à son poste par le gouvernement actuel...

La plupart des positions officielles préfèrent maintenir le mythe d’un modèle français, avec des recrutements CR2 et CR1, destinés à travailler dans des UMR (Unités Mixtes de Recherche), donc dans des équipes, des laboratoires. La logique propre à ce système devrait impliquer un recrutement jeune, rapidement après la thèse alors que ces recrutements sont aujourd’hui très tardifs. Pour les recrutements au CNRS en 2011, les moyennes d’âge des CR2 et des CR1 étaient de 33 et 38 ans, soit 6 et 11 ans après la thèse. Dans la période qui a vu ce dérapage, on a en outre convaincu les CR1 (recrutés très tard) que, s’ils étaient « bons », ils devaient montrer très vite leur capacité de « group leader » performant, avoir leur propre équipe indépendante, avec un maximum de post-docs, et le maximum de contrats qu’ils garderaient pour eux, sans les partager avec le reste de l’équipe, bref, une logique de désintégration des UMR. Idéologiquement, on était passé au modèle anglo-saxon, mais sans le dire. Et aussi, sans les moyens correspondants, ce qui a contribué à envoyer au casse-pipe un certain nombre de ces CR1, écrasés par l’obligation de montrer immédiatement leur capacité de group leader, en ayant toutes les difficultés du monde à avoir assez de moyens et de temps pour le faire et répondre à l’injonction : publish or perish. Consacrer toute son énergie et son temps à beaucoup publier avant 40 ans a des conséquences particulièrement brutales pour les femmes, pour leurs choix de vie.

La France se tourne donc vers le modèle anglo-saxon de recrutement des chercheurs, sans le dire, et sans en assumer les conséquences en terme de nombre de personnes recrutées. Si, comme A. Syrota, on ne veut que des PI, on doit oser dire qu’il faut réduire fortement le nombre de recrutements. Si on recrute le nombre actuel de CR2 et CR1, il est incohérent de leur imposer, de fait, le modèle PI/groupe leader s’ils veulent être promus. Ministres, responsables d’organismes, directeurs de laboratoires, tous défendent en principe le système français, et laissent croire aux nombreux post-docs, que s’ils travaillent dur, ils vont finir par décrocher le Graal, un poste statutaire, alors même que tout indique que pour la grande majorité d’entre eux ce ne sera pas possible. Ce système est non seulement mensonger mais aussi chimérique car le contexte culturel français n’est pas anglo-saxon. Notre pays n’a pas la situation politiquement et économiquement dominante des USA ; elle ne peut donc pas recruter en masse des post-docs étrangers dont la formation serait gratuite pour notre pays ; ces post-docs français sont socialement mal considérés en France, ils n’ont en général pas fait une Grande Ecole, leur situation est considérée comme trop incertaine pour l’obtention de prêts bancaires ; lorsqu’ils sont éjectés du système public, la probabilité de trouver un emploi dans la recherche industrielle est très faible. Aux USA, ils peuvent obtenir sans problème des prêts bancaires, et dans les années récentes, leur reclassement dans le privé était beaucoup moins problématique qu’en France.

Ce glissement masqué d’un mode de recrutement théorique en « équipes de statutaires » vers un modèle chimère inspiré du modèle anglo-saxon, et chimérique car incapable de le reproduire, a été fortement accéléré, sciemment, par N. Sarkozy et V. Pécresse. Il a été facilité par l’explosion des dispositifs de financement sur appel d’offre (ANR, ATIP, ERC, etc…) dont l’obtention est subordonnée à la création d’équipe individuelle. Les chefs d’équipe, jeunes et moins jeunes, se sont engouffrés dans ces dispositifs pour recruter en grand nombre des post-docs dont ils ne pouvaient ignorer qu’ils allaient vers un avenir bouché ; mais ils préféraient ignorer cet aspect de la question. Leur propre carrière dépendait de l’importance de leur parc de post-docs. Et les post-docs espéraient qu’ils s’en sortiraient mieux que le post-doc voisin, qu’ils seraient un des rares élus. L’individualisme, la compétition impitoyable triomphait. Sarkozy l’a voulu. Les chercheurs l’ont fait.
Cas particulier de la biologie

Ce problème s’est posé avec une acuité particulière en recherche en biologie. Une cause possible peut résider dans la proximité avec la médecine, milieu connu pour son fonctionnement mandarinal. Mais il est une cause plus profonde, liée à l’évolution du métier de la recherche en biologie. Ces dernières années la recherche en biologie a de plus en plus dépendu de méthodes et d’appareils sophistiqués et onéreux, que ce soient les multiples types d’imagerie, le séquençage à haut débit, la mise au point, l’analyse et l’entretien de lignées d’animaux transgéniques. Pour faire fonctionner ces nouveaux outils, les besoins en personnels ont été très souvent assurés par des post-docs faisant fonction d’ingénieur et ayant ainsi acquis un profil d’ingénieur spécialisé. Pour autant, ce que visent ces post-docs est le plus souvent est un poste de chercheur ou d’enseignant chercheur, car le statut d’ingénieur est malheureusement mal valorisé dans notre pays (sauf pour la filière des Grandes Ecoles), malgré le besoin objectif, l’importance et l’intérêt de ce type d’emploi dans les laboratoires. Ce besoin ne se traduit absolument pas en offres de postes d’ingénieurs mis au concours dans l’ESR. Quant à la possibilité de trouver de l’embauche dans le secteur industriel pharmaceutique ou biotechnologique, l’état de ce secteur ouvre très peu de perspectives aujourd’hui en France.
La crise actuelle

Ce n’est pas un hasard si c’est parmi les nombreux post-docs biologistes récemment recrutés que la crise est ressentie le plus violemment aujourd’hui : que vont-ils devenir demain ? En 2013, ils ont théoriquement la possibilité d’être recrutés sur poste statutaire de deux façons différentes. Soit, comme auparavant, sur concours, mais pour un nombre de postes qui va en diminuant chaque année, et à un âge de plus en plus avancé, les deux faits étant liés. Soit par CDIsation, grâce à la loi Sauvadet, s’ils ont occupé pendant 6 ans la même fonction. Dans les deux cas, les postes sont pris sur « l’enveloppe emploi » des différents employeurs que sont les organismes de recherche et les universités.

Le statut de ces employeurs n’est pas le même puisque les dirigeants d’organismes sont nommés par le pouvoir politique ; ce sont des « fonctionnaires d’autorité » rapidement révoqués s’ils déplaisent au pouvoir, ce qui assure le plus souvent leur docilité. Les présidents d’université, eux, sont élus, mais les conditions de leur élection et la très faible autonomie réelle dont ils disposent par rapport au gouvernement (qui leur attribue les moyens et décide des principales orientations), font qu’en pratique, ils se gardent bien de déplaire au pouvoir politique. Les uns et les autres sont « tenus » par ce pouvoir, et actuellement, financièrement étranglés. Ils savent tous que, au sein de leur enveloppe consacrée à l’emploi, s’ils recrutent plus de monde via la CDIsation Sauvadet, ils en recruteront moins sur concours. Ils font donc tout pour limiter la CDIsation, y compris refuser de gérer des contrats de post-docs qui n’ont fait que 3 ans de post-doc.

Les dirigeants d’organismes et présidents d’université ont donc décidé de ne pas gérer des contrats 3 ans avant la limite « fatidique » des 6 ans par crainte des conséquences de la loi Sauvadet, mais sans que cette loi ne les y oblige. Le ministère les a ainsi amenés à contourner la loi, sans avoir à assumer cette violation de l’esprit de la loi. Grâce au transfert de responsabilité du gouvernement aux universités, dans le cadre de leur prétendue autonomie (mais sans moyens appropriés), la loi Sauvadet, censée diminuer la précarité, aboutit indirectement à l’accroître. C’est ainsi que des post-docs, proches de pouvoir se présenter à un concours de recrutement, sont soudain contraints de tout arrêter, de tirer un trait sur des années de formation supérieure. C’est un gâchis absurde.
Que faire ?

Pour espérer sortir de cette situation inacceptable, il faudra commencer par une clarification indispensable, qui concerne tous les protagonistes, depuis les post-docs jusqu’au ministre en passant par l’ensemble des personnels de l’ESR, les chefs d’équipe, les directeurs de laboratoire, d’organismes de recherche et les présidents d’université. 1) Chacun doit se prononcer clairement pour le modèle d’ESR qu’il souhaite, le modèle anglo-saxon (nombreux post-docs autour d’un nombre limité de PI recrutés vers 40 ans), ou pour le modèle à la française (fonctionnement en laboratoire, en équipe, basé sur des chercheurs et ingénieurs statutaires recrutés jeunes). Le modèle actuel, incohérent, n’est pas une option soutenable. 2) Les solutions à proposer doivent prendre en compte à la fois le long terme (aller vers l’un ou l’autre modèle), et le court terme, répondre à l’urgence de la situation. Il est impossible d’ignorer l’urgence, mais des propositions qui ne concernent que l’urgence sans vouloir prendre en compte également le long terme sont vouées à l’échec.

La confusion entre les solutions de court et de long terme peut amener à des aberrations, comme les CDI sur projet. Cette proposition a été faite initialement par le Medef, pour augmenter la flexibilité du marché de l’emploi. Mais le Medef, s’étant rendu compte que cette solution serait rejetée, l’a retirée de ses propositions, en janvier 2013. Pour l’ESR, un CDI sur projet, limité dans la durée par l’existence d’un financement pour ce projet représenterait une sorte de « super-CDD », solution qui a séduit des scientifiques (naïfs pour les uns, cyniques pour d’autres) dans la mesure où cela offrirait une solution immédiate aux post-docs en détresse. En réalité, cette solution aboutit à aménager la précarité, donc finalement à la conforter, et non pas à la combattre.

On a vu plus haut les contradictions qui peuvent exister entre les demandes des précaires. Ceux qui font le même travail depuis 10 ans au même endroit souhaitent évidemment être titularisés. Mais ceux qui ont fait un ou plusieurs post-docs à l’étranger et visent un recrutement par concours trouvent injuste que le nombre de postes mis au concours soit réduit par les titularisations obtenues à l’ancienneté. Dans ces conditions, la titularisation immédiate de dizaines de milliers de précaires demandée par certains apparaît aussi irréaliste qu’irresponsable. Pour un certain nombre d’ITA en CDD depuis longtemps, la titularisation peut être appropriée. Pour d’autres ITA et certainement pour les post-docs, le mode approprié de recrutement doit être le passage par des concours. La résorption à moyen terme de la précarité exige alors un ambitieux plan pluriannuel pour l’emploi, avec la création de nouveaux emplois chaque année, au moins 2000.

Sur ces questions liées de l’emploi scientifique et du mode de fonctionnement des laboratoires, comment se partagent aujourd’hui les responsabilités dans l’ESR français ?

L’ensemble des personnels a le devoir de prendre position clairement. Il faut en finir avec des ambiguïtés permanentes. Par exemple, dans une lettre ouverte cosignée l’automne dernier par des post-docs et des chefs d’équipe de Montpellier, les signataires dénonçaient le scandale de nombreux post-docs qui risquaient de se voir rapidement mis à la rue malgré l’existence de financements dans les labos. Ce texte était censé prendre la défense de ces post-docs, et lutter contre la précarité. Mais dans cette lettre ouverte, le mot précarité apparaissait une seule fois, tandis que la notion de compétitivité des laboratoires revenait une dizaine de fois. On voit bien que le problème principal préoccupant les chefs d’équipe signataires, c’était la question de la compétitivité de leurs équipes. Entre les lignes, cela signifiait : nous n’allons pas avoir les moyens de nous conformer au modèle anglo-saxon. Mais ils se gardaient bien de le dire explicitement.

Les chefs d’équipe réellement préoccupés par la question de la précarité agissent autrement. 1) Ils limitent le nombre de post-docs qu’ils emploient aujourd’hui, et qu’ils devront demain accompagner dans leur avenir professionnel (problème qui se pose moins s’il s’agit de post-docs étrangers envisageant ensuite de quitter la France). 2) Ils encouragent les thésards français à partir en post-doc à l’étranger plutôt que de rester en France : c’est bon pour la diversité dans la formation, la pratique d’une autre langue, la constitution d’un réseau avec d’autres post-docs rencontrés à l’étranger, et cela n’enferme pas rapidement dans la « nasse à post-doc » qui existe aujourd’hui pour ceux qui ont choisi de rester en France. 3) Ils défendent publiquement non seulement des solutions à court terme pour les post-docs concernés, mais soutiennent également un plan pluriannuel pour l’emploi, et le retour à un financement principalement destiné au laboratoire plutôt qu’aux équipes individuelles.

La ministre de la recherche et le gouvernement doivent choisir. Ils ne peuvent plus dire qu’ils veulent absolument lutter contre la précarité et refuser la principale mesure permettant d’agir sur ce point : ce plan pluriannuel pour l’emploi. Qu’on ne nous objecte pas qu’il n’y a pas, en 2013, de moyens financiers pour cela. Voici plusieurs exemples de ressources qu’il serait possible de réaffecter sans tarder à l’emploi scientifique.

1) La prime d’excellence scientifique (PES), mise en place en avril 2009, carotte sensée faire galoper plus vite les meilleurs chercheurs. D’excellents chercheurs l’ont refusée, par principe, mais ils demeurent beaucoup trop rares. Pour le seul CNRS, sa suppression et sa réaffectation permettraient de recruter chaque année une centaine de scientifiques supplémentaires.

2) L’AERES, agence d’évaluation largement redondante avec d’autres instances, et fort coûteuse, n’a été supprimée que pour être aussitôt remplacée par une nouvelle agence ayant des attributions très proches. Aucune indication n’a été donnée sur les économies attendues de ce changement, et il est à craindre qu’elles ne soient très faibles.

3) Les Investissements d’Avenir constituent une dépense importante (de l’ordre de 1 milliard par an), mais décidée de façon extrêmement opaque, parfois absurde (avec de nombreux déménagements d’Instituts), bien souvent contre l’avis des personnels concernés. La réaffectation des moyens correspondants serait très réaliste, et raisonnable. Encore faudrait-il en avoir le courage politique.

4) Dernier exemple : le très onéreux Crédit Impôt Recherche (CIR, plus de 5 milliards par an). Si son utilité est réelle pour certaines PME, et pour quelques entreprises plus importantes ayant une forte activité de recherche, une partie importante du CIR correspond à un gaspillage évident. Ainsi en est-il du CIR versé à des banques pour la recherche de nouveaux produits financiers. Ou des 130 millions d’euros versé à Sanofi en 2011, alors même que cette entreprise réduisait, et continue à réduire son effort de recherche. Cette simple somme (versée annuellement), aurait permis de recruter 2000 scientifiques dans la recherche publique, avec un rendement, une efficacité autrement garanties !

Le refus du plan pluriannuel pour l’emploi signifie d’abord que ce gouvernement ne veut pas choisir entre les modèles anglo-saxon et français pour l’organisation de l’ESR, qu’il préfère l’incohérence d’un modèle français chimère. Ce refus signifie aussi que la question de la précarité est secondaire, puisque ce gouvernement considère comme plus important de défendre l’héritage de N. Sarkozy (PES, AERES, Investissements d’Avenir, accroissement très important du CIR). Les faits sont clairs, les conclusions s’imposent.

Quant aux responsables d’organismes et présidents d’université, on a vu que si leurs marges de manœuvre étaient très réduites, c’est néanmoins à eux qu’incombe la décision d’accepter ou de refuser de gérer les contrats de personnes pour des durées de 3 à 5 ans dans la même fonction. Cette décision peut être modifiée du jour au lendemain. Il serait irresponsable qu’ils persistent dans un refus de gestion dicté par la peur (de situations difficiles à gérer dans deux ans), et non pas par l’intérêt des personnes concernées et de la recherche.

La probabilité de trouver une solution rapidement est faible, mais elle n’est pas nulle. Il faudrait d’abord qu’une fraction importante des personnels de l’ESR se mette d’accord sur l’importance qu’il y a à défendre concrètement, dans leur propre pratique, le modèle français d’organisation de recrutement dans l’ESR (UMR, équipes de chercheurs et ingénieurs statutaires, recrutés jeunes), face au système actuel, chimérique et incohérent. Cela pourrait donner lieu à un mouvement qui fera pression sur les directions d’organismes et présidences d’université pour qu’ils ne bloquent pas les gestions de contrats dès 3 ans au même endroit. Et qui fera pression sur le gouvernement pour qu’il préfère la mise en place d’un ambitieux plan pluri-annuel pour l’emploi à sa défense actuelle du système mis en place par N. Sarkozy.

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