Accueil > Revue de presse > Quand le Medef pose son cartable à l’université - L’Humanité, lundi 23 décembre (...)

Quand le Medef pose son cartable à l’université - L’Humanité, lundi 23 décembre 2013

mercredi 25 décembre 2013, par Elisabeth Báthory

Sous couvert de favoriser l’insertion professionnelle des étudiants, le gouvernement se fait le chantre d’un rapprochement entre universités et entreprises. Le supérieur est aujourd’hui plus que jamais sous l’influence des milieux économiques.

Merci patron ! Depuis un an et demi, le gouvernement, sous couvert de favoriser l’insertion professionnelle des étudiants, n’en finit plus de confier les clés des facs aux entreprises. Pas un mois ne passe sans que Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur, ne célèbre ce «  rapprochement  » entre les universités et «  les acteurs économiques  ».

Ainsi, après avoir annoncé, en octobre, la généralisation prochaine de cours sur «  l’entrepreneuriat et l’innovation  » et la création d’un statut étudiant-entrepreneur, la voici fêtant, début décembre, la naissance d’un comité Sup’emploi, codirigé par l’ex-présidente de Manpower France et l’ex-PDG de Schneider Electric (lire ci-après). Une annonce qui s’est accompagnée d’un entretien croisé paru dans les Échos, où la ministre socialiste acquiesce à l’idée de faire du Medef le «  copilote  » des formations universitaires… En face d’elle, Pierre Gattaz, le patron des patrons, boit du petit-lait : «  Tout cela va dans le bon sens.  »

On le comprend. Le patronat, qui a toujours cherché à peser sur les destinées étudiantes, n’a pas à se plaindre. Sa vision de l’université – le fournisseur d’une main-d’œuvre collant au plus près des besoins du marché – est désormais aussi celle du gouvernement. Avec zèle, ce dernier défend la même vision «  adéquationniste  » de l’enseignement supérieur. Et assoit chaque jour un peu plus l’influence des milieux économiques. Pour Anne Mesliand, en charge de l’enseignement supérieur au PCF, ce jeu dangereux n’est pas une surprise. «  Pris dans sa logique de désengagement de l’État et de réduction de la dépense publique, le gouvernement encourage les établissements à se tourner vers le privé pour qu’il assure les financements.  »

« Vers une logique du “qui paie décide” »

Avec la loi LRU, les facs pouvaient déjà créer des fondations privées afin d’abonder leur budget. L’actuelle majorité n’a pas touché à cette mesure. Et y ajoute un vif encouragement à développer l’apprentissage avec sa fameuse taxe versée par les entreprises. Pour les universités en mal de liquidités, ce type de formation cofinancée représente une manne intéressante. Les étudiants, souvent précaires, y voient l’occasion d’être rémunérés jusqu’à 80 % du Smic. Pour les entreprises, c’est l’opportunité d’avancer leurs exigences et de se tailler des formations sur mesure.

Ces dernières années, les universités, en partenariat avec les milieux professionnels, ont mis sur pied une multitude de licences et masters «  pro  » à l’intitulé évocateur. Un exemple : on peut décrocher une licence manager de rayon, formation cogérée par 18 entreprises de la grande distribution et rebaptisée «  licence Carrefour  » par les étudiants… Pour Anne Mesliand, c’est clair : «  On s’éloigne de la logique de coopération qui a toujours existé entre le monde économique et l’université pour aller vers une logique du “qui paie décide”.  » Geneviève Fioraso a annoncé son souhait de voir, d’ici à 2020, le nombre d’étudiants en alternance passer de 7 à 17 %. Et si sa loi, votée à l’automne, ne prévoit pas d’augmenter le nombre de chefs d’entreprise dans les conseils d’administration des universités, la ministre entend conforter leur rôle au niveau local. Le décret sur le cadre national des formations, débattu la semaine dernière, prévoit de renforcer les prérogatives des conseils de perfectionnement, qui définissent, dans chaque université, les stages et objectifs des licences et master pro. Avec notamment l’idée d’augmenter de 20 % le nombre de représentants issus du bassin économique. Mais aussi de confier aux élus régionaux la responsabilité du fléchage de la taxe d’apprentissage en fonction des besoins qu’ils auront définis. En toute indépendance, bien sûr.

«  On donne de plus en plus les rênes au monde économique  », déplore Marc Neveu, cosecrétaire du Snesup-FSU. À ses yeux, l’université, qui a la préoccupation d’articuler savoirs, recherche et insertion professionnelle, perd peu à peu la maîtrise au profit d’acteurs économiques qui forment à des «  compétences  » limitées. «  Leur démarche vise plus l’employabilité immédiate qu’une vraie qualification, pérenne et émancipatrice, qui permet aux étudiants de se retourner.  »

Une visée dangereuse. Comme le soulignent plusieurs études, l’adéquation entre la spécialité de formation et les premiers emplois est peu élevée. «  Selon les cursus, seuls 30 à 60 % des jeunes sont dans un emploi en correspondance avec leur spécialité trois ans après la sortie du système éducatif », relève le Céreq. L’insertion après la fac n’en demeure pas moins correcte (lire notre encadré ci-dessous). «  Si c’est le cas, c’est justement parce que l’enseignement universitaire permet de s’adapter et d’évoluer dans les métiers, assure Anne Mesliand. Le réduire à une formation étriquée est une grave erreur.  »

Neuf diplômés sur dix ont un emploi Selon une étude du ministère de l’Enseignement supérieur, environ neuf diplômés sur dix ayant quitté la fac en 2010 après avoir décroché leur master, 
licence professionnelle ou diplôme universitaire de technologie (DUT) occupaient un emploi trente mois après. Malgré l’augmentation du chômage, le taux d’insertion s’élevait à 90 % pour les masters, 91 % pour les licences professionnelles et 88 % pour les DUT. Des taux proches des écoles d’ingénieur ou des écoles de commerce (96 % et 93 %). Mieux, dans plus de 90 % des cas, il s’agit d’emplois stables et à temps plein. 87 % des titulaires d’un master occupent ainsi un poste de cadre ou de profession intermédiaire. 
Le salaire mensuel net médian varie selon les filières : autour de 2 000 euros 
en droit-économie-gestion et technologies-sciences-santé, contre 1 700 euros 
en sciences humaines et sociales et 1 630 en lettres-langues-arts. 
Dans 45 % des cas, l’emploi de ces diplômés se trouve en dehors de la région 
de leur université.

Laurent Mouloud

A lire sur le site de l’Humanité

A lire dans le même numéro de l’Humanité :