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La création de méga-universités suscite craintes et tensions - Nathalie Brafman, Benoît Floc’h et Isabelle Rey-Lefebvre - Le Monde - 7 mai 2014

mercredi 7 mai 2014, par Louise Michel

L’échéance approche et la tension est palpable. La loi du 22 juillet 2013 sur l’enseignement supérieur a donné un an aux universités et aux grandes écoles pour se regrouper. L’idée est de rassembler tous les acteurs de l’enseignement supérieur d’une même région, écoles privées et publiques incluses, pour définir une stratégie commune. L’objectif est clair : créer entre 25 et 30 méga-établissements pluridisciplinaires capables de faire jouer leur masse critique pour obtenir des financements et être plus visibles à l’international, avec l’espoir de grimper dans les classements. Mais la création de ces mastodontes devrait également conduire à une rationalisation de l’offre de formations et à un éloignement des centres de décision.

Assemblées générales, pétitions, échanges de courriers… Au fil des mois, des tensions sont apparues entre enseignants-chercheurs, direction des établissements et ministère. Surtout en Ile-de-France où huit pôles doivent être créés. " La situation de l’Ile-de-France est particulière mais l’université française ne se résume pas à Paris ", fait-on valoir dans l’entourage de Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur.

La volonté de créer des superstructures dans le supérieur n’est pas nouvelle. De François Mitterrand à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy, la ligne directrice n’a pas varié : coordonner les établissements pour rendre le système plus lisible et efficace (au plan national) et plus visible (au plan international). " Nous avons besoin de grandes universités ", a répété François Hollande, le 30 janvier, en annonçant une nouvelle vague d’initiatives d’excellence (IDEX) de 2 milliards d’euros en faveur des universités.

Après l’explosion universitaire des années 1970 à 1990, l’Etat a cherché à rationaliser le flamboyant paysage français. Dès 1991, Claude Allègre, alors conseiller du ministre Lionel Jospin, crée le concept de " pôle universitaire européen ". Viendront en 2006 les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les IDEX en 2008, avant les communautés d’universités et d’établissements (Comue) en 2013.

Théoriquement, une grande liberté est laissée aux acteurs. Ces rapprochements peuvent s’opérer selon trois modes, du plus intégré au plus souple : la fusion, la Comue (structure chapeau gérée en commun) ou l’association (chaque membre conserve ses prérogatives mais il faut désigner un chef de file). C’est la Comue qui semble privilégiée, à Paris notamment, et partout où rien ne justifie que l’un des établissements joue le rôle de chef de file.

La danse nuptiale est déjà bien entamée. Chaque jour, des projets de Comue arrivent sur le bureau de la direction générale de l’enseignement supérieur. Sept ont déjà été validés. Pour d’autres, les fiançailles sont plus compliquées, certains enseignants-chercheurs s’inquiétant d’un processus dont ils se sentent dépossédés et dont ils ne comprennent pas le sens.

En lle-de-France, le paysage est particulièrement complexe avec l’émergence de huit Comue sans véritable cohérence géographique. Une situation qui a conduit Paris-II Assas à claquer la porte ou certaines universités à se regrouper par défaut, comme Paris-VIII Saint-Denis et Paris-X Nanterre. " Tout le monde critique la complexité du système français, l’empilement des structures et des établissements, rappelle Khaled Bouabdallah, vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU). Les rapprochements doivent permettre de casser ces cloisonnements. En dépassant les barrières et en réunissant les compétences, nous aurons un modèle français plus efficace. "

Cet enthousiasme n’est pas partagé par tous. " Nous sommes entrés dans une vaste réforme bureaucratique dont on ne voit pas très bien le sens ", déplore Pascale Laborier. Professeure de science politique à Nanterre, elle est à l’origine de la pétition lancée le 2 avril contre la reconduction de Geneviève Fioraso au ministère. Le texte a recueilli 11 000 signatures. Pour l’enseignante, qui dénonce " le fantasme du classement de Shanghaï ", " la compétition internationale se joue sur la réputation des disciplines. Les publications ou les Prix Nobel valent bien plus que les regroupements ".

Les Comue choisiront les compétences mises en commun : des services (relations internationales, vie étudiante…) jusqu’aux écoles doctorales. Marc Neveu, secrétaire général du Snesup, critique une démarche " technocratique ". " En réalité, nous sommes placés sous le contrôle étroit du ministère et les délais sont si courts qu’ils ne permettent pas le dialogue. " Mme Fioraso a beau répéter que tout cela doit se faire " dans la souplesse et l’écoute ", le message a du mal à passer.

En cause, les courriers jugés très directifs envoyés par Simone Bonnafous, la directrice pour l’enseignement supérieur. Exemple à Paris-VIII et Paris-X où les deux présidents sont priés de fusionner les écoles doctorales et de rationaliser l’offre de formations au niveau master dans les domaines de la psychologie ou encore des arts du spectacle.

De même, l’idée que ces regroupements doivent se faire " dans un esprit de coopération et non de compétition ", selon les mots de Mme Fioraso, laisse la communauté universitaire dubitative. Les huit présidents des futures Comue d’Ile-de-France se sont d’ailleurs sentis obligés de signer en avril un " pacte de non-agression ". Pour inciter les universités à aller dans son sens, le gouvernement dispose d’un puissant levier : le contrat de cinq ans signé entre l’Etat et les Comue qui comportera un volet décrivant les actions communes et les moyens redéployés, et un autre définissant les objectifs de chaque établissement.

Ces futurs ensembles seront-ils efficaces et fructueux ? A Aix-Marseille, où les trois universités ont d’ores et déjà donné naissance à un mastodonte de 120 000 étudiants, la fusion a permis, selon Pierre-Yves Gilles, directeur de l’UFR arts, lettres, langues, " de muscler les services centraux, mais surtout de fédérer les équipes de recherche ". A entendre les étudiants, en revanche, la fusion, ce n’est ni mieux, ni moins bien.