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" Nous ne voulions pas être noyés dans un grand machin " - Nathalie Brafman, Le Monde, 7 mai 2014

mercredi 7 mai 2014, par Louise Michel

Parmi les critiques exprimées à l’encontre des projets de fusions ou de regroupements figurent en bonne place la crainte d’une gouvernance éloignée de la base et celle de briser des partenariats de recherche établis de longue date. La fusion de plusieurs établissements à Bordeaux, engagée dès 2011, et la création en juillet de la communauté Sorbonne-Paris-Cité illustrent ces inquiétudes.

Une gouvernance plus lointaine ? Lancé en 2011, le chantier de la fusion des universités de Bordeaux-I (sciences), II (santé) et IV (droit, économie et gestion) s’est achevé le 1er janvier avec la création de l’Université de Bordeaux. " Les structures sont globalement en place, l’administration marche. Mais évidemment, il y a des difficultés. Une fusion, cela demande un temps d’adaptation. La difficulté étant que fusionner trois universités, c’est aussi fusionner trois cultures différentes ", reconnaît Manuel Tunon de Lara, son président.

En interne, la fatigue est palpable. Une vaste réorganisation des services a entraîné un plan de mobilité concernant 400 personnes provoquant mal-être et inconfort. Et quelques situations de burn-out. " Même si l’université ne souhaite pas brutaliser les gens, elle a installé une situation qui pousse à cela ", relève un enseignant-chercheur. Médecin, Manuel Tunon de Lara se dit très sensible à cette question. " Certains personnels ont été sous la pression d’un gros travail, reconnaît-il. Une cellule a été mise en place. Une quarantaine de personnes ont été reçues. Mais je n’ai pas eu plus d’arrêts de travail et d’absentéisme. "

D’autres problèmes sont apparus. A l’ex-Bordeaux-IV, le sentiment d’être dominé par le couple ex-Bordeaux-I et II a surgi. Surtout, la fusion a créé un échelon supplémentaire de décision. " Nous sommes dans une structure de plus en plus centralisée avec des strates supplémentaires, qui alourdissent les processus de décision ", explique Eric Berr, professeur d’économie. En cause, la création d’une structure bicéphale avec la formation d’un côté, la recherche de l’autre.

Malgré ses 50 000 étudiants et ses 5 000 personnels, l’Université de Bordeaux a un goût d’inachevé. Car au départ, Manuel Turon de Lara avait imaginé une fusion de tous les établissements de la région Aquitaine. Mais Bordeaux-III a refusé de monter dans le navire. L’université de lettres et sciences humaines et sociales n’avait aucune envie de faire partie d’un tel paquebot, avec le risque de perdre son autonomie. " Dans les fusions, ces disciplines ont peut-être quelques raisons de craindre de ne pas être valorisé et préservé par rapport aux sciences qui tiennent le haut du pavé, surtout dans un contexte de moyens limités ", indique Jean-Paul Jourdan, son président. Selon lui, une telle structure est " difficilement gérable avec un conseil d’administration éloigné du terrain ".

De même, l’IEP de Bordeaux et l’Institut polytechnique ont décliné l’invitation. " Vu notre taille, l’opération s’apparentait à une fusion-absorption. Nous ne voulions pas être noyés dans un grand machin avec des strates organisationnelles très pyramidales ", indique la direction de l’IEP. Mais tous participeront à la future communauté d’universités et d’établissements (Comue).

Des coopérations contrariées ? Jusqu’en 2007, Paris-VI UPMC et Paris-VII Diderot cohabitaient sur le même campus de Jussieu. Les laboratoires de recherche étaient mixtes, composés de chercheurs des deux universités qui travaillaient aussi avec des chercheurs Paris Sud-XI. Ces relations ont perduré malgré le déménagement de Paris-VII Diderot.

Mais selon certains enseignants-chercheurs, la création de la Comue Sorbonne-Paris-Cité, qui regroupe Paris-VII et trois autres universités (Sorbonne Nouvelle-Paris-III, Paris-Descartes-V et Paris-XIII) ainsi que quatre établissements dont Sciences Po Paris, va rompre ces collaborations et perturber la recherche, voire l’affaiblir. " C’est bien simple, ces trois entités scientifiques qui, traditionnellement, travaillaient dans les mêmes laboratoires vont se retrouver dans trois Comue différentes et ne pourront plus travailler ensemble ", affirme Pascal David, maître de conférences en physique à Paris-VII-Diderot. Selon lui, dans son UFR, sur 140 personnes, 40 % sont dans des laboratoires qui ne sont pas à Paris-VII. " Cela signifie que ces 40 % seront dans les deux autres Comue car leurs laboratoires ont choisi d’être à Paris-VI ou Paris Sud. "

Situation identique, selon lui, entre Paris-VIII, Paris-X et l’Ehess où les deux premiers doivent former une Comue et le troisième en rejoindre une autre avec la même crainte : des enseignants-chercheurs qui ne pourront travailler ensemble.

" Faux, répond Jean-Yves Mérindol, les gens continueront évidemment à travailler ensemble ! " Pour le président de Sorbonne-Paris-Cité, qui dit observer une " certaine agitation sur le sujet qui ne se transforme pas en quelque chose de concret dans les débats et les délibérations dans les universités ", l’un des intérêts majeurs de ces regroupements est justement d’avoir des enseignements pluridisciplinaires. " Ce serait une grave erreur de faire des mastodontes universitaires centrés sur un seul champ disciplinaire. "

N. Bn