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Geneviève Fioraso : « Nous voulons en finir avec les stages photocopies-café » - Véronique Soulé, Libération, 6 mai 2014

jeudi 8 mai 2014, par Elisabeth Báthory

INTERVIEW
La secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche défend la nouvelle loi sur les stages, qui sera débattue ce mardi soir au Sénat.

Va-t-on en finir avec tous les abus de stages, ces emplois déguisés et sous-payés, avec des jeunes corvéables à merci ? C’est le but affiché par la loi sur l’encadrement des stages débattue ce soir au Sénat et qui devrait être votée dans la nuit. Fier de son texte, le gouvernement espère recueillir l’unanimité des voix de gauche, comme à l’Assemblée nationale le 24 février. Chose rare en ces temps de dissensions internes…

Interrogée par Libération, la secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Geneviève Fioraso, défend ce projet de loi présenté à l’origine par la députée PS Chaynesse Khirouni, et répond aux critiques estimant qu’il ne va pas assez loin.

Il y a eu déjà beaucoup de lois. Pourquoi celle-ci serait-elle plus efficace que les autres ?

L’idée est d’abord de simplifier. Depuis 2006, il y a en effet eu quatre lois successives, dispersées dans deux codes de référence, de l’éducation et du travail, ainsi que six décrets, dont deux au moins contredisaient l’esprit de la loi. Il n’y aura plus désormais qu’une seule loi et qu’un seul code de référence − celui de l’éducation −, ainsi que des décrets cohérents avec loi.

L’objectif est d’en finir avec les « stages photocopies-cafés » sans intérêt pour les jeunes et plus ou moins bidon, et, a contrario, avec les stages de préembauche. Pour cela, nous redéfinissons ce qu’est un stage : ce n’est ni un contrat de travail ni une période de sas précédant une embauche, cela fait partie intégrante d’une formation.

Concrètement, vous voulez fixer des limites pour mettre fin aux abus dans les entreprises. Avez-vous des chiffres ?

Le texte prévoit un plafond de stagiaires par entreprise. Le chiffre précis sera fixé par décret. Je propose comme base de discussion une fourchette de 10% à 15%, 10% pour les entreprises ayant plus de vingt salariés. Nous nous sommes aperçus que certaines, notamment dans le secteur de la communication et des sondages, atteignaient 80% de stagiaires. Nous sommes mêmes tombés sur une entreprise, dont je tairai le nom, qui en employait 85%…

La loi crée par ailleurs une fonction de tuteur dans l’entreprise − l’équivalent du maître d’apprentissage. Nous proposons de fixer par décret un maximum de deux à trois stagiaires par tuteur.

Vous voulez renforcer la dimension pédagogique des stages. Comment ?

Nous allons fixer, toujours par décret, un volume pédagogique minimal pour chaque convention de stage. Après en avoir discuté avec tous les partenaires, nous proposons autour de 200 heures. Les universités et les écoles auront par ailleurs obligation d’avoir une personne référente pour les stagiaires. Un enseignant-chercheur ne pourra pas en encadrer plus de vingt.

Enfin nous voulons renforcer le rôle d’orientation des stages. Pour cela, ils devront être plus nombreux en début de formation, afin de permettre aux jeunes de confirmer ou non leur choix de formation. Actuellement, ils sont présents dans 3% des premières années de licence (les L1), dans 10% des L2, dans 31% des L3, ainsi que dans 42% des premières années de master (les M1) et dans 61% des M2.

Beaucoup critiquent le fait que les indemnités restent trop maigres. Que répondez-vous ?

On s’est aperçu que 53% des étudiants d’université faisant des stages ne touchaient rien. La gratification minimale de 436 euros est obligatoire à partir de deux mois, et nous avons créé un fonds d’indemnisation pour aider certains organismes, notamment dans le social, à s’en acquitter. Mais je le répète : le stage n’est ni un CDD déguisé ni une formation en alternance, qui ont des rétributions différentes. Il s’inscrit dans un cursus de formation.

La loi apporte aussi des améliorations au niveau du statut et des conditions de travail. Désormais, le temps de travail des stagiaires sera aligné sur celui des salariés. Des amendements ont été déposés au Sénat pour qu’il soit fixé à 35 heures hebdomadaires − y compris dans les secteurs ayant gardé les 39 heures. Les stagiaires bénéficieront aussi de congés maternité ou paternité, de tickets repas et d’indemnités de transport s’il y en a, etc.

Certains chefs d’entreprise, notamment la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), jugent cela trop contraignant et estiment que cela va tarir l’offre de stages.

Le nombre de stages a doublé ces dix dernières années − on compte aujourd’hui 1,2 million de stagiaires par an −, et ce malgré toutes les réglementations souvent contradictoires. Aujourd’hui, on propose des règles simples, ce qui est un mieux. Et nous y sommes parvenus après un dialogue avec tous les partenaires − représentants des salariés, du patronat, des établissements d’enseignement supérieur…

Il faut absolument que les jeunes aient une première expérience positive de l’entreprise, les stages étant souvent leur première prise de contact avec ce monde. La majorité des entreprises sont vertueuses, mais il existe une minorité, dans tous secteurs − privés, publics, dans l’économie sociale et solidaire − qui pratique des abus. Et cela jette une ombre sur l’ensemble.

Pierre Gattaz, le patron du Medef, regrette que l’on ait fait encore une loi et juge que cela stresse les patrons. Qu’en pensez-vous ?

Rien ne serait pire pour une entreprise que de stresser les jeunes et de leur renvoyer une mauvaise image. Il vaut mieux que les jeunes aient envie d’aller dans une entreprise. Il s’agit d’une coresponsabilité. Dans l’esprit du pacte de responsabilité, il faut en finir avec la défiance mutuelle. Si l’on ne rétablit pas la confiance, on n’arrivera à rien.

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