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COMUE, ESPE, bourses d’agreg : Timeo Danaos et dona ferentes - Pedro Cordoba, blog "Expertisons les experts", 30 mai 2014

samedi 31 mai 2014, par Mariannick

Théorie du cavalier législatif

Il faut toujours se méfier de ses ennemis, même (surtout ?) quand ils font semblant de vous avoir à la bonne. Les lecteurs d’Astérix légionnaire, sinon ceux du chant II de L’Eneide qui, eux, ne doivent plus être légion, se souviennent sans doute de la mise en garde de Laocoon, le Troyen : « Timeo Danaos et dona ferentes » (qui constitue, soit dit en passant, un bel exemple de la valeur adverbiale du «  et » en latin, source de nombreux contresens). Mais oublions la grammaire et restons-en au conseil pratique : lorsqu’on a le bonheur de trouver sur l’agora un gigantesque cheval de bois tombé du ciel, il y a tout lieu de croire à un cadeau empoisonné, sur le modèle du vase de Pandore. Il en va de même avec ces fâcheux virus informatiques qui vous vandalisent dare-dare tous vos fichiers et qu’on appelle justement « chevaux de Troie » en souvenir du vieil Ulysse aux mille ruses.

À lire ici.

Et c’est probablement aussi en souvenir de cette calamiteuse intrusion de l’artefact équin dans la citadelle assiégée, qu’il existe en droit constitutionnel français la figure dite du « cavalier législatif ». Il s’agit de modifier subrepticement une loi déjà votée par le biais d’un article, apparemment inoffensif, d’une deuxième loi n’ayant aucun rapport avec la première. C’est théoriquement interdit, bien sûr, puisqu’on bafoue ainsi la volonté du législateur. Mais les demi-habiles qui nous gouvernent adorent cette combine vicelarde : lorsqu’on prévoit que ça va barder si on présente un article de loi inacceptable en l’état, on choisit une version ultra-soft, puis dans un deuxième temps, à propos de tout autre chose et devant une autre commission qui ne comprend rien à la magouille, on glisse un petit intrus qui ne paye pas de mine mais qui vide de son sens le texte déjà voté et le remplace par celui qui avait été initialement prévu. C’est ça, un « cavalier législatif » : arnaque d’aigrefin mais ce sont des filous qui nous gouvernent…

L’article 27 bis

La loi Fioraso sur les regroupements dans l’enseignement supérieur et la recherche oblige les universités prétendument autonomes à se regrouper en mastodontes ingérables. Passons sur les raisons fort peu convaincantes de cette politique du gigantisme tous azimuts puisque dans le modèle anglo-saxon dont on prétend suivre l’exemple, des « colleges » minuscules font partie du gratin de la « course à l’excellence » : Vassar (2400 étudiants), Colby (1825), Bowdoin (1600), etc. Si insignifiants en apparence que la plupart des Français ignorent même leur nom… Passons aussi sur le caractère orwellien d’un langage où « autonomie » signifie « asservissement » comme pour Big Brother « la guerre, c’est la paix » et « la liberté, c’est l’esclavage ». Jamais, de toute leur histoire, même pas sous Vichy, les universités françaises n’ont été plus soumises au pouvoir politique ni malmenées de façon aussi outrageante que depuis le jour où Pandora Pécresse leur fit « cadeau » de l’autonomie. Timeo Danaos, etc. Voici donc que les universités sont tenues de s’euthanasier (en toute autonomie bien sûr) pour se fondre dans ces nouveaux colosses dont nul ne sait vraiment comment ils pourront fonctionner. Quelques sénateurs s’étaient émus du caractère démocratique de la « gouvernance », comme on dit aujourd’hui dans les milieux chic : tous les établissements auraient-ils voix au chapitre ? Mais bien sûr, bien sûr, plus démocrates que nous tu meurs. Au moins 75% d’entre eux auraient des représentants aux nouvelles instances dirigeantes, promis, juré, craché par terre, si je mens... Cela signifie que le quart allait compter pour du beurre mais faut ce qu’il faut. Eh bien, non. Même pas ça. Et les menteuses iront en enfer.

La loi Fioraso fut votée en juillet 2013. Six mois plus tard, le gouvernement Ayrault dépose un « Projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ». L’article 27 porte sur la création d’un Institut agronomique et vétérinaire de France. Au cours de la discussion parlementaire, le gouvernement introduit de son propre chef un article 27 bis, qui fait sauter la règle des 75% dans les COMUE. L’intrusion d’un « cavalier législatif » est manifeste puisque l’Institut agronomique en question… n’est pas une COMUE. Mais peu leur chaut : Fioraso a réussi par cette chiquenaude à se débarrasser d’un élément de loi qui avait été voté à l’initiative des sénateurs mais qui ne convenait pas à sa conception orwellienne de la démocratie. Il est vrai que la règle des 75% donnerait lieu dans certains cas à des CA pléthoriques et difficilement gouvernables. Mais à qui la faute ? Qui a imposé la mise en place de méga-monstres comme Paris-Saclay avec plus de 20 établissements dont deux universités, plus Polytechnique, plus HEC, plus les Ponts, plus l’INRA, plus le CNRS, plus, plus, plus ? Est-il vraiment nécessaire de mettre tout ce monde ensemble, si loin de Paris qui plus est, pour atteindre les chiffre magiques de 30 000 étudiants et 12 000 chercheurs ? Suffit-il d’être deux fois plus gros que Cambridge pour être deux fois meilleurs ? Laissez venir à moi les petits Chinois…

L’équité selon Pandora Fioraso ou comment empêcher les étudiants pauvres de s’inscrire en master-recherche

Un deuxième « cavalier législatif » a pris un chemin encore plus escarpé et bizarre. Ce n’est pas cette fois les parlementaires qu’on a entubés mais les étudiants, les plus pauvres et les plus méritants d’entre eux, of course, pour que nul ne puisse ignorer que nous avons un gouvernement de gauche – elle est belle la gauche ! Le nouveau Cheval de Troie ne figure même pas dans un texte de loi mais dans une simple circulaire du CROUS. Et il met subrepticement en cause le Règlement de la fonction publique. Rien que ça. De la haute voltige.

Ledit règlement de la fonction publique indique le niveau minimum de diplômes requis pour chaque concours de recrutement. Mais on n’est jamais trop diplômé pour passer un concours, comme on le voit tous les jours dans les concours administratifs où la plupart des candidats sont sur-titrés. Il est donc impossible d’interdire aux titulaires d’un master disciplinaire de passer (et de réussir) le concours de professeur des écoles ou le CAPES. Il est encore « plus » impossible, si j’ose dire, de les empêcher de présenter l’agrégation. « Impossible » en l’occurrence est bien un mot français : celui qui s’aviserait de le faire serait immédiatement débouté en Conseil d’état. Mais ladite impossibilité ne fait pas du tout l’affaire des ESPE, cette merveilleuse création d’une CDIUFM à bout de souffle pour récupérer et accroître son pouvoir sur la formation des maîtres. Extension du domaine de la nuisance. Or si cette impossible mesure d’interdiction n’est pas prise, ils peuvent dire adieu à leur « master professionnel d’enseignement » et, du coup, à ces « écoles » dont ils sont si fiers. J’en fis démonstration ici même l’an dernier dans une chronique qui fut très lue et commentée, à ce que m’en dirent mes propres espions, par les Danéens des ESPE.

Ce salaud de Cordoba a raison : si on laisse les licenciés s’inscrire en master-recherche avant de passer les concours, on est cuits. Il y eut conciliabules et grattages d’occiput, circulation en tous sens des bâtons de parole, puis on amena des Peaux rouges criards et les haleurs furent cloués nus aux poteaux de couleurs. La cérémonie prit fin quand une idée fusa et s’éleva au-dessus des flammes, plus claire et plus efficace. Toute interdiction globale étant impossible, il suffisait de s’en prendre au groupe des plus faibles. Les comploteurs étant tous de gauche, l’idée suscita un enthousiasme indescriptible : « Sus aux pauvres ! », « Haro sur les baudets ! », « Ecrasons les minus ! », « Les fauchés seront les payeurs ! », « Soyons durs aux miséreux ! », le social-libéralisme dans toute sa splendeur.

Il est bien connu que l’un des points de clivage entre néo-libéraux de droite et néo-libéraux de gauche (parfois appelés socio-libéraux) porte sur la notion de mérite. Peu le savent mais le conflit est d’ordre théologique et renvoie aux temps sombres des guerres de religion : partisans de la « sola fides », les protestants ne croient pas qu’on puisse faire son salut par les « œuvres ». Il s’en déduit qu’il n’y a aucun mérite à être méritant puisque celui qui a reçu en partage l’intelligence, la ténacité, le sens de l’effort et autres vertus, ne doit rien à lui-même et tout à la grâce de Dieu. Ne rigolez pas, mes amis, en voyant ici pointer l’oreille de Dieu : la nouvelle gauche sera divine ou ne sera pas. Toutes les politiques centrées sur « l’équité » (à distinguer de l’égalité), caractéristiques du social-libéralisme, sont fondées sur la « théorie de la justice » de Rawls dont l’axiome central est que nul ne mérite son mérite. Exit donc le mérite et les bourses qui vont avec.

Néo-libérale de droite, Pandora Pécresse avait (re)donné des bourses au mérite pour les bacheliers ayant décroché une mention TB ainsi que pour les meilleurs étudiants préparant les concours d’enseignement : 1800 euros par an, pas de quoi faire la nouba tous les soirs mais une aide appréciable qui, jointe à l’apport des parents et à quelques petites économies, permettaient de survivre tout en continuant des études. D’autant plus que cette bourse au mérite était elle-même soumise à condition de ressources : pour y être éligible, il fallait d’abord avoir droit à une bourse sur critères sociaux. Les étudiants les plus pauvres avaient donc droit à deux bourses, l’une sur critères sociaux et l’autre, venant en complément, pour récompenser les plus méritants d’entre eux. Mais le mérite est de droite, on le sait depuis que Rawls a vu clair dans la cervelle de Dieu. En conséquence de quoi, Pandora Fioraso a commencé sa carrière en supprimant la bourse au mérite. Ne reste plus que la bourse sur critères sociaux. Si elle s’en était tenu là, Pandora Fioraso aurait simplement mené une politique de gauche – la nouvelle gauche divine, soucieuse d’équité et abhorrant le mérite. Mais on n’avait toujours pas sauvé les ESPE de leur fatal destin.

Il faut ici entrer dans la cuisine du CROUS. Les étudiants d’origine modeste ont 7 droits de bourse sur critères sociaux. Ils se répartissent de la façon suivante : 4 pour la licence et 3 pour le master. Autrement dit, ils peuvent échouer une fois maximum par cycle. Rien à redire à cela : il ne s’agit pas non plus de nourrir aux frais du contribuable des étudiants en échec. A ces 7 droits, qui concernent les cursus universitaires, s’ajoutaient dans le cas des candidats aux concours d’enseignement (CAPES et agrégation), 3 droits supplémentaires. C’est que nous sommes ici dans une tout autre logique, qui est celle des concours et non pas des examens. Ces concours sont difficiles, il est très rare qu’un étudiant normal y réussisse du premier coup. Hormis quelques normaliens – qui n’ont évidemment pas accès aux bourses – un très bon étudiant de fac est admissible la première fois et admis à la deuxième (ou troisième) tentative. Limiter une bourse de ce type à un an revient pratiquement à condamner le candidat à l’échec, avec en plus l’amertume (qui peut durer toute une vie) de savoir qu’il eût suffi d’une deuxième chance pour réussir. Mais là encore il faut savoir raison garder : le troisième droit n’était accordé que si l’année précédente, le candidat avait été admissible. Voilà le système tel qu’il fonctionnait (plutôt bien) jusqu’à l’arrivée aux affaires de Pandora Fioraso qui y a introduit sa pouliche de Troie.

Il ne lui a pas suffi de supprimer les bourses au mérite, elle a aussi supprimé les 3 droits spécifiques pour la préparation des concours. Un candidat au CAPES hors cursus (c’est-à-dire non inscrit dans un master MEEF) ou un candidat à l’agrégation (qui est forcément hors cursus) ne peuvent avoir droit à une bourse qu’à une condition : ne pas avoir épuisé leurs 3 droits de master. Autrement dit, s’ils ne réussissent pas du premier coup, ils perdent tout. Et comme la très grande majorité des très bons étudiants ne réussit pas du premier coup, l’affaire est réglée : le seul choix rationnel possible pour un licencié voulant passer un concours de l’enseignement est de s’inscrire en ESPE, de passer le concours en première année de MEFF et de bénéficier, en cas d’échec, de deux « droits supplémentaires ». Il en résulte que seuls les étudiants inscrits en ESPE continuent de bénéficier des 3 droits pour la préparation des concours, mais seulement à condition qu’il s’agisse de concours « professionnalisés », le concours de professeurs des écoles et le nouveau CAPES vidé de ses anciennes exigences disciplinaires. Dans ces conditions, l’agrégation est réservée aux étudiants disposant de ressources personnelles et/ou familiales suffisantes pour assumer en totalité les frais de la préparation. Et même les étudiants qui se contenteraient du CAPES mais souhaiteraient faire d’abord un master-recherche, prendraient un risque suicidaire : en cas d’échec à la première tentative, ils auraient fait trois ans d’étude pour rien. Or tout étudiant qui aime sa discipline souhaite faire un master-recherche. C’était déjà le cas du temps de la maîtrise que beaucoup d’étudiants soutenaient avant de passer un CAPES. Et c’est a fortiori le cas aujourd’hui, puisque le niveau disciplinaire des nouvelles licences est pratiquement inexistant. Les choses sont donc très claires. Les étudiants pauvres doivent limiter leurs ambitions, et se contenter d’une licence au rabais et d’un master professionnel. Les études longues ne sont pas pour eux. Quant aux futurs professeurs formés dans les ESPE, il ne suffit pas qu’ils soient ignorants. Il faut en plus qu’ils n’aiment pas leur discipline.

- Tu veux dire que pour que les nouvelles paillotes de la pédagogie soient viables, ces gens-là ont décidé de sacrifier les pauvres ? Que c’est le seul truc qu’ils ont trouvé pour garder leurs prébendes ?

- Exactement. En modifiant les droits aux bourses, ils empêchent les étudiants les plus démunis de faire de vraies études même s’ils en ont le désir et la capacité.Et ils remplissent leurs bouibouis.

- Delendae sunt Espe.