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Pour que l’université française ait enfin les moyens de ses ambitions - Tribune des présidents de Paris-VIII et de Paris-Ouest, Le Monde, 9 juin 2014

lundi 9 juin 2014, par Mariannick

L’université française – à moins qu’elle ne soit très parisienne – serait aujourd’hui déchirée par un conflit qui voit se dresser face à face le collectif Marc Bloch et le groupe Jean-Pierre Vernant. Le premier réunirait « des gens ayant eu des responsabilités dans la gestion et l’enseignement supérieur », soucieux de penser les « nécessaires évolutions », dans le droit fil de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU), et promoteurs, dans le cadre de la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) de communautés d’universités et d’établissements (Comue) préfusionnelles.

Le second, considérant la nouvelle loi comme la continuation, voire l’aggravation de la précédente, rassemblerait ceux qui, « farouchement opposés aux projets de regroupements prévus », prônent un modèle d’association interuniversitaire, notamment en Ile-de-France. Hors de cette alternative, point de salut, les universités devraient choisir leur camp.

Le monde de l’enseignement supérieur, depuis une dizaine d’années, est traversé par de profondes mutations, qui voient se succéder les réformes structurelles. Des logiques de concurrence ajoutées aux contraintes budgétaires fortes que subissent les universités font peser des menaces certaines sur le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Pourtant, si nous pouvons partager ce diagnostic, nous sommes nombreux, présidents d’université, enseignants, personnels administratifs et étudiants, à ne pas nous retrouver dans cette opposition frontale. Nous considérons que ni la fusion, ni la Comue, ni l’association, qui sont les trois manières d’organiser les regroupements d’universités, ne peuvent constituer des remèdes miracles ou des facteurs aggravants sui generis. La question n’est donc sans doute pas là.

UN TROISIÈME MODÈLE : LA COMUE

Entre le regroupement par fusion d’établissements et la convention d’association, le législateur a proposé un troisième modèle : la Comue. A bien des égards, cette forme de regroupement se rapproche des intercommunalités telles que nous les connaissons dans notre vie quotidienne, sans pour autant avoir vu disparaître nos communes.

Une différence notoire, cependant : là où la loi imposait aux intercommunalités d’endosser des compétences communales, la loi ESR laisse ouverte la question des transferts de compétences des établissements aux Comue. Le débat central doit donc bien rester celui des stratégies d’établissement et de la construction de l’outil le plus pertinent pour la mise en œuvre.

A titre d’illustration, le projet de Comue porté par les universités de Paris-VIII et de Paris-Ouest-Nanterre propose un modèle original de collaboration entre établissements. Ces deux universités à dominante sciences humaines et sociales, de tailles comparables, sont l’une et l’autre insérées dans des territoires en mouvement, constitutifs de la métropole du Grand Paris, avec lesquels elles entretiennent des liens solides et profitables à tous. Elles se sont rapprochées et rassemblées en 2012 dans un pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), à partir d’une histoire similaire et de valeurs partagées : démocratisation d’un enseignement de qualité, lié à une recherche rigoureuse et audacieuse, responsabilité sociale des universités, inscription dans le contemporain et ouverture résolue sur le monde.

UN FORT ACCENT SUR LA QUESTION DU NUMÉRIQUE

Fortes de coopérations scientifiques nombreuses qui préexistaient au PRES, elles ont développé depuis 2012 des projets qui se sont enrichis à la faveur des synergies nouées au sein du PRES avec de prestigieux établissements devenus membres associés : CNRS, Bibliothèque nationale de France, Archives nationales, Centre Georges-Pompidou, Musée du quai Branly, Ecole nationale Louis-Lumière, Cité nationale de l’immigration, Collège international de philosophie, soit une réunion d’une grande originalité qui a su témoigner des dynamismes à l’oeuvre, dans le domaine de la création ou du patrimoine, mais aussi des études sur les inégalités sociales ou, plus généralement, sur la place de l’humain dans des mondes en transition, avec un fort accent sur la question du numérique et de la problématique des risques.

Les deux universités de Paris-VIII et Paris-Ouest-Nanterre n’ont pas une approche défensive ou contrainte de la Comue, qu’elles ne conçoivent nullement comme une préfiguration de la fusion. Elles entendent mettre en place un regroupement dans un esprit confédéral, dont les statuts seront fondés sur les principes d’égalité entre les membres et de démocratie, attestée par le recours au suffrage universel direct pour l’élection de ses conseils. Ces statuts, qui n’introduisent aucun principe d’irréversibilité, doivent permettre de trouver un point d’équilibre entre l’autonomie de chaque établissement et la force décuplée des échanges de bonnes pratiques, des synergies de recherche et des aspirations communes. Pour ce faire, il faut résolument miser sur le développement des coopérations volontaires, au rythme et selon les besoins exprimés par les différentes composantes des communautés universitaires. Et si des compétences ne sont pas transférées à la Comue, ce n’est ni par fétichisme ni par conservatisme, mais par souci d’efficacité, afin de mener à bien des missions à l’échelon pertinent, au plus près des formations, au sein des établissements, et ainsi répondre adéquatement aux attentes des étudiants.

En un temps où les ressources se sont raréfiées, la Comue est pour nous l’occasion de nous saisir d’un espace des possibles permettant d’offrir à nos deux universités les moyens de leurs ambitions, ainsi que des leviers supplémentaires susceptibles de donner à leurs recherches, dont chacun reconnaît la qualité, une visibilité accrue et de nouveaux développements de niveau international.

À lire ici

Danielle Tartakowsky (Présidente de l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis)

Jean-François Balaudé (Président de l’université Paris-Ouest-Nanterre-la-Défense)