Accueil > Revue de presse > Blogs > Geneviève Fioraso corrige sa loi par Ordonnance - Yann Bisiou, blog "Le Sup (...)

Geneviève Fioraso corrige sa loi par Ordonnance - Yann Bisiou, blog "Le Sup en maintenance", 21 juillet 2014

lundi 4 août 2014, par Elisabeth Báthory

Les ministres, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.
Libre adaptation de Michel Audiard, in « Les tontons flingueurs »

A lire sur le site du blog de Yann Bisiou : Le Sup en maintenance.

Les collègues du ministère liraient-ils ce blog ou ont-ils, enfin, décidé d’étudier la loi qu’ils ont rédigé ? Toujours est-il que le Journal Officiel du 18 juillet publie une ordonnance corrigeant quelques erreurs de la loi Fioraso.

Les premiers lecteurs de ce blog se souviendront peut-être que j’avais moqué la ministre et son équipe qui avaient supprimé l’AERES dans le code de la recherche mais l’avaient maintenue pour l’évaluation des universités dans le code de l’éducation (art. L.242-1) ! Erreur corrigée dans l’ordonnance du 17 juillet 2014 (art. 3, 1°) : l’AERES n’est plus. Dommage, ils étaient venus évaluer notre université il y a quelques mois, juste après la dernière visite de l’IGAENR. Nous attendions leur rapport ; nous n’allons plus attendre grand chose.

J’avais également pointé dans une autre chronique, le problème du droit de veto des présidents d’universités transféré au conseil d’administration dans un article (L.712-2), mais toujours attribué au président dans un autre (L.952-6-1). L’ordonnance corrige cette erreur, mais en commet une autre.

Avant la loi Fioraso le conseil d’administration transmettait au ministre la liste des candidats classés « sous réserve de l’absence d’avis défavorable du président tel que prévu à l’article L. 712-2 ». Puisque c’est maintenant le conseil académique qui arrête le classement et le conseil d’administration qui détient le droit de veto, il suffisait de remplacer « président » par « conseil d’administration ». Au lieu de cela, l’ordonnance supprime tout ce membre de phrase ; le conseil académique peut donc transmettre un classement au ministre même si le conseil d’administration a émis un avis défavorable sur ce classement ! Et comme la note de la DGESIP sur la « légalité » des statuts des universités affirme, à tort, que le conseil d’administration n’intervient plus dans la procédure de recrutement après le conseil académique, on se demande comment le conseil d’administration va pouvoir exercer son droit de veto !

Au-delà de ces corrections substantielles, l’ordonnance du 17 juillet est un inventaire à la Prévert d’erreurs plus ou moins grossières de la loi Fioraso. Nous avions déjà eu au journal officiel du 4 novembre 2013 le rectificatif corrigeant les fautes d’orthographe de la LRU2 (et oui quand on évoque le « 2ème et le 3ème cycle » [sic], « cycle » prend un « s » et « mentionées » [re-sic] prend deux « n »…) ; voici donc l’ordonnance corrigeant les fautes de style de la LRU2 !

Dans les COMUEs, l’article L718-13 du code de l’éducation version Geneviève Fioraso prévoyait que le conseil des membres était associé à la mise en oeuvre des « décisions » du conseil d’administration et du conseil académique. Or, dans les universités, ces conseils prennent des « délibérations », pas des décisions. Il y avait donc un risque que le conseil des membres... ne soit jamais associé à quoi que ce soit ! Erreur corrigée : les conseils centraux des COMUEs prendront des délibérations lorsque la loi sur l’agriculture aura été définitivement votée (ce qui n’est pas annoncé avant la rentrée de septembre ; Saclay devra patienter).

Autre correction formelle, quand une phrase commence par « en outre » il est préférable de ne pas ajouter une nouvelle phrase après, surtout si elle n’a strictement rien à voir. C’est pourtant ce que faisait le dernier alinéa de l’article L713-1 version Geneviève Fioraso relatif aux composantes des universités. Les choses rentrent dans l’ordre : « La première phrase du septième alinéa de l’article L.713-1 devient le dernier alinéa du même article » nous précise l’ordonnance ... il n’y a vraiment que les juristes pour comprendre.

Il y a également les références obsolètes aux articles L.719-7 à L.719-11 que la loi Fioraso avait conservées alors que l’article L.719-11 n’existe plus depuis 2011 et que l’article L.719-10 a été supprimé... par cette même loi Fioraso ! L’ordonnance du 17 juillet permettra au moins au ministère d’éviter le ridicule plus longtemps.

Plus compliquée à saisir, la loi Fioraso supprimait le CEVU dans les universités mais le conservait dans les Instituts et Écoles « externes » (art. L715-2 du code de l’éducation). L’ordonnance du 17 juillet corrige ce texte en remplaçant l’intitulé CEVU par « Conseil des études ». Mais alors que cet article mentionne deux fois le CEVU, l’ordonnance ne remplace cette expression qu’une fois ! Cela donne : « La composition... du conseil des études et de la vie universitaire est celle fixée par l’article L.712-6 pour la commission de la formation et de la vie universitaire. Lorsqu’un conseil académique n’a pas été créé, le conseil scientifique et le conseil des études exercent les fonctions consultatives confiées au conseil académique... ». On ne voit pas très bien l’apport de cette correction ; les voies du ministère sont parfois impénétrables.

De cet inventaire il ressort le même sentiment d’impréparation, pour ne pas dire de panique. Le ministère ravaude dans l’urgence un texte mal conçu créant de nouveaux problèmes en cherchant à résoudre les précédents.

On notera enfin, pour conclure, qu’une fois encore, le ministère est prêt à prendre des libertés avec la légalité puisque le Parlement n’avait pas autorisé le gouvernement à corriger le texte voté mais, seulement, à « remédier aux éventuelles erreurs de codification » ou à « abroger les dispositions devenues sans objet » ce qui n’est pas le cas dans les exemples que nous avons cité. Mais on a bien compris que pour les ministres qui se succèdent à la tête de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 10 ans, la fin justifie les moyens et les principes de la démocratie ne sont que contraintes dont on peut s’exonérer.