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L’ANR recale 90% des projets scientifiques - Sylvestre Huet - Sciences2 - 26 août 2014

mardi 26 août 2014, par Louise Michel

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Cet été de nombreuses équipes scientifiques françaises ont dû renoncer à leurs projets de recherche. En cause, le résultat du dernier appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche (ANR), publié début juillet. Un appel dit « générique », autrement dit sans priorités programmatiques fixées par les autorités politiques et la direction de l’ANR. Or, plus de 90% des projets proposés par les chercheurs n’auront aucun financement.

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Pourtant, la ministre (jusqu’à ce jour au moins) Geneviève Fioraso s’était (auto) félicitée d’un succès de 28% des demandes et des 300 millions ainsi distribués. Sauf que le calcul était effectué… après une première sélection qui avait éliminé une bonne part des demandes. Si l’on opère le calcul sur la base des projets initiaux, le taux de succès chute à 8,5% signale avec vigueur un communiqué du mouvement « Science en marche ». Une des conséquences majeures est que, après avoir servi « les plus grosses pointures », il ne reste plus rien pour idées originales, même lorsqu’elles ont fait la couverture de Nature, montrant ainsi leur top niveau mondial, à l’exemple des recherches sans équivalent au plan international conduites par Aberrazak El Albani (Université de Poitiers) sur l’émergence d’une vie complexe il y a 2,1 milliards d’années.

« Notre communauté est sous le choc »

C’est peut-être ce qu’un groupe de biologistes, entraîné par Alain Prochiantz, devait dire à la ministre, lors d’une audience qui était prévue pour aujourd’hui. Leur lettre demandant ce rendez-vous, envoyée à la ministre, mais aussi à Vincent Berger, le conseiller scientifique de François Hollande, débute ainsi : « Les chercheurs qui vous adressent cette lettre veulent attirer votre attention sur les grandes difficultés que rencontre la recherche dans les sciences du vivant. Ces difficultés ne sont pas nouvelles mais elles ont pris au cours des derniers mois une ampleur dramatique. Elles annoncent un décrochage rapide et irréversible dans un domaine fortement compétitif et porteur d’innovations susceptibles de révolutionner des pans entiers de notre économie, tout particulièrement dans les domaines de la santé et de l’agriculture. Cela est d’autant plus désespérant que notre communauté a réussi, en dépit des difficultés, à maintenir notre recherche en biologie fondamentale au 5ème rang mondial (top 10 des publications les plus citées à 2 ans au niveau mondial, source OST mai 2014), et cela malgré l’irruption dans la compétition de pays comme la Chine ou la Corée du Sud. Nous faisons donc jeu égal avec nos collègues des autres disciplines expérimentales. Seuls les mathématiciens font mieux, puisqu’on les retrouve au 3ème rang mondial. Ce qui nous a décidé à nous adresser à vous collectivement est le résultat catastrophique de l’appel d’offres de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), avec 8,75% des projets ayant obtenu un financement. Cela est la conséquence de la réduction de son budget, passé pour la biologie de 160 à 120 millions d’euros. On doit comprendre qu’un tel taux de réussite introduit une dose forte d’aléatoire dans les résultats et touche de plein fouet les équipes dont certaines, excellentes, devront réduire fortement leurs activités. Notre communauté est sous le choc. »

Une multimanifestion pour la recherche scientifique

Le mouvement Sciences en marche, initié par un groupe de chercheurs de Montpellier, organise une multimanifestation de la province vers Paris du 27 septembre au 19 octobre 2014. Plus de 3.000 directeurs de laboratoires ont reçu cet été une missive leur demandant de favoriser cette action qui prend de l’ampleur à travers de multiples comités locaux d’organisation. Il a publié une analyse plus complète de la situation.

Le voici :
Financement de la recherche publique : derrière la communication gouvernementale, la catastrophe pour les laboratoires publics.

Les résultats finaux de l’appel générique 2014 de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) sont disponibles depuis la fin juillet. Le bilan pour les laboratoires français de recherche publique est catastrophique, alors même que l’ANR est progressivement devenue leur principale source de financement : seuls 8,5% des projets soumis seront financés (1) ! La situation de pénurie que nous vivons démobilise les personnels, qui se sentent floués, de nombreux laboratoires n’ayant plus les moyens de travailler.

Rappelons que le mode de financement historique des laboratoires publics français se fait par une dotation de base, reçue annuellement des tutelles (CNRS, Universités, autres organismes publics). L’ANR a été initialement créée en 2005 pour complémenter ces dotations de base, dans le cadre de projets ambitieux, de partenariats entre laboratoires ou public-privé. L’asphyxie budgétaire progressive des organismes de tutelle a conduit au cours des deux dernières décennies à une très forte érosion des dotations de base (2). Ainsi, loin d’être restée une Agence de financements complémentaires, l’ANR est devenue la source majeure de financements des laboratoires dans de nombreuses disciplines (3). Au-delà de la communication officielle qui prétend « sanctuariser la recherche » (4), la combinaison du très faible niveau de financement par dotation de base des laboratoires et du taux de succès dérisoire de l’appel d’offres ANR 2014, met une majorité de laboratoires dans une situation intenable qui nuit au développement de leurs recherches.

Pourtant, comme le faisait remarquer Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (5), » […] on est allé beaucoup trop loin dans le financement sur projets. Il est contre-productif de rémunérer des personnels sans leur donner les moyens de travailler. » Ainsi, le CNRS, principal organisme de recherche français, n’a plus les moyens de financer la recherche dans ses laboratoires, puisque 80% de sa subvention d’état en 2013 finançait la masse salariale, soit plus de 2 milliards d’euros (6). L’absurdité de la situation va même au-delà. En considérant qu’il faut en moyenne au moins 10 jours de travail (hypothèse basse) pour écrire, traiter administrativement et évaluer chacun des 8300 projets soumis à l’appel d’offres générique de l’ANR, ce sont plus de 200 années de travail, payées par le contribuable français, qui sont ainsi parties en fumée dans une quête vaine de moyens pourtant nécessaires.

Pour mettre fin à cette situation de pénurie et de gaspillage, nous demandons le retour à un niveau de financement récurrent couvrant les projets courants des laboratoires. La situation est tellement catastrophique que nous estimons qu’un triplement des dotations de base allouées par les organismes de recherche aux laboratoires est nécessaire pour redonner une compétitivité à notre recherche. Le coût annuel d’une telle mesure serait néanmoins très modeste, de l’ordre de 600M€, soit à peu près le budget annuel du club de foot Paris Saint-Germain (7). Les projets particulièrement ambitieux, ou associant plusieurs équipes en collaboration, pourront alors obtenir des financements complémentaires via l’Agence Nationale de la Recherche. Un plan pluriannuel impliquant la création annuelle de plusieurs milliers d’emplois statutaires à tous les niveaux de l’enseignement supérieur et de la recherche complétera ce dispositif, pour redonner confiance et perspectives aux jeunes scientifiques. Il sera détaillé dans notre prochain communiqué.

Les moyens existent pour conduire cette politique, ne serait-ce qu’au travers d’une redéfinition et d’un redéploiement partiel du Crédit Impôt Recherche (CIR), afin de mieux soutenir les entreprises innovantes, notamment les TPE/PME, la recherche publique et l’enseignement supérieur. Pour mémoire, de multiples rapports démontrent qu’une large partie du CIR est devenue au fil du temps une simple niche fiscale sans impact significatif sur l’effort de recherche du pays (8). Une réallocation de moins de 10% du CIR vers la recherche publique permettrait de financer l’augmentation des dotations de base aux laboratoires proposées ici. Les scientifiques de notre pays doivent pouvoir contribuer efficacement à sortir de la crise économique et morale que nous traversons. Il faut leur en donner les moyens par une politique ambitieuse de recherche, de formation supérieure et d’innovation.


Notes :

1) les résultats de la première phase de sélection sont disponibles à l’adresse : http://www.agence-nationale-recherche.fr/financer-votre-projet/plan-d-action-2014/donnees/. Sur les 8338 projets admissibles soumis, 2804 (33,6%) ont été sélectionnés pour la seconde phase. Les résultats de la deuxième phase sont disponibles à l’adresse : http://www.agence-nationale-recherche.fr/financer-votre-projet/plan-d-action-2014/resultats/. 711 projets ont été finalement sélectionnés pour financement (8,5%).
2) Pour prendre le CNRS comme exemple, la dotation de base aux laboratoires de cet organisme était de 166,5M€ en 2004 (équivalent à 194M€ en euros constants 2013 : source : www.cnrs.fr/cw/fr/accu/notedu0401.doc) pour seulement 145,2M€ en 2014 (source : http://www.cnrs.fr/insis/infos-DU/docs/docs2014/DU2014/DGDR.pdf). Les deux chiffres ne sont toutefois pas directement comparables, les charges d’infrastructure des laboratoires (entretien des bâtiments, électricité, eau) étant à la charge des laboratoires en 2014, alors qu’ils ne l’étaient pas en 2004. Ainsi, la décroissance apparente de 26% des dotations aux laboratoires entre 2004 et 2014 est une sous-estimation probablement forte de la réalité.
3) Cette extension de fait des missions de l’ANR a été néanmoins accompagnée par une réduction annuelle significative de budget d’intervention 2008 (source : rapport de la cour des comptes sur le financement de la recherche publique, 2013). En 2014, cette baisse du budget ANR a atteint le montant record de plus de 80M€.
4) Geneviève Fioraso, conférence de presse du 7 novembre 2012, sortie de conseil des ministres. A noter que la secrétaire d’état à la Recherche et l’Enseignement supérieur, s’est également félicitée en toute mauvaise foi d’un taux de succès à l’appel d’offres ANR supérieur à celui de l’année dernière, en omettant de mentionner que les modes de calcul diffèrent. En effet, les pourcentages de réussite affichés par la secrétaire d’état ne correspondent qu’au deuxième tour d’évaluation (donc après que près de 70% des dossiers ont été éliminés).
5) Rapport de l’OPECST « quelles conclusions législatives et réglementaires tirer des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ? » 4 décembre 2012.
6) soit 2130M€, sur une subvention d’état globale de 2613 M€. Source : le CNRS en Chiffres 2013 : http://www.dgdr.cnrs.fr/dsfim/chiffres/2013/default.htm.
7) Considérant que le CNRS représente approximativement 50% de l’effort de recherche de la France, et que la dotation aux équipes est de 145,9M€ en 2014 (soit seulement 5,7% de la subvention d’état !), le coût du triplement de la dotation CNRS serait de 290M€/an. Le coût du triplement des dotations de tous les organismes serait de l’ordre de 600M€. Ces sommes représentent 10% du CIR.
8) Le Crédit Impôt Recherche a un coût de près de 6 milliards d’euros en 2014. Parmi les critiques de ce dispositif, voir par exemple le rapport de la Cour des Comptes 2013 : http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/L-evolution-et-les-conditions-de-maitrise-du-credit-d-impot-en-faveur-de-la-recherche.