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Compte rendu du rendez-vous de "urgence pour l’emploi scientifique" avec Geneviève Fioraso : la secrétaire d’Etat assume la stratégie du gouvernement et ses conséquences sur l’emploi scientifique.

lundi 22 septembre 2014, par Louise Michel

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Geneviève Fioraso a conscience de la mobilisation de la communauté scientifique. Alors elle communique (conférence de presse prévue le 25 septembre) et elle consulte largement. Sophie Duchesne et Alain Trautmann ont ainsi été invités à la rencontrer le 19 septembre. L’échange a duré plus de deux heures, en présence de Jean-Paul de Gaudemar (Conseiller spécial), Anne Peyroche (Conseillère chargée à la recherche, en poste depuis le mois de mai) et Christophe Strassel (Directeur de cabinet).

Nous avons posé avec insistance une série de questions, celles qui ont été formulées pendant la plénière du Comité national du 11 juin. Les réponses ont été longues et détaillées mais le résultat est sans équivoque : le gouvernement campe sur son refus d’envisager une rupture avec la politique menée jusqu’à maintenant. Voici un résumé du contenu de ces échanges que G.Fioraso a ouverts en exprimant l’importance qu’elle accorde à la situation des jeunes et la conscience qu’entre les effets de la loi Sauvadet et la démographie, les postes qui leurs sont offerts sont insuffisants.

Question  : Pourquoi refusez-vous d’annoncer un plan pluri-annuel d’emploi scientifique ?

GF indique qu’avec la loi de programmation votée en juillet, nous aurons bien une visibilité sur 3 ans. Dès la réception de la lettre de cadrage, au 1er octobre, le secrétariat d’Etat fera des annonces. Mais on sait déjà qu’il faudra travailler à moyens constants et donc, faire des efforts. GF considère que ce budget préservé est une chance par rapport aux autres ministères, qui ont tous, sauf le ministère en charge de l’emploi, des réductions de leur budget. Avec les contraintes budgétaires actuelles, on ne peut pas faire autrement. GF travaille depuis des mois avec les directions des organismes de recherche pour maximiser les recrutements, tous personnels confondus.

Commentaire : Les "moyens constants" correspondront donc en réalité à une légère baisse du fait de l’inflation, du GVT, etc…. Le gouvernement fait mine d’accepter la pluri-annualité, mais refuse le plan de redressement demandé.

Question : Vous parlez de moyens constants. Mais, pour ce qui concerne l’emploi, le gouvernement ne remplace que les départs à la retraite, ce qui pose deux problèmes. 1) Comme un certain nombre de départs ne sont pas à la retraite (décès, démissions, etc…), le simple remplacement de ces départs signifie une érosion progressive des moyens humains. 2) Dans la période actuelle, la baisse, chaque année, du nombre de départs à la retraite signifie une baisse du nombre de postes mis au concours.

GF estime que nous devons nous estimer heureux de voir tous les départs à la retraite remplacés, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart des ministères. Quant à l’érosion des moyens humains, ses chiffres montrent au contraire que dans les universités, il y a eu une augmentation régulière de ces moyens ces dernières années.

Commentaire : Pour les organismes de recherche, il n’y a pas de discussion possible, les chiffres du CNRS le montrent clairement (-806 postes en 10 ans). Par ailleurs, pour les universités, les chiffres du ministère et ceux de la CPCNU sont de fait en complète contradiction. Qui fera une analyse précise, efficace, de cette discordance ?

Question : Mais il y aurait la possibilité, sans aggraver de déficit budgétaire, d’augmenter le budget de l’ESR en réduisant d’autant le CIR...

GF affirme d’abord que techniquement ce n’est pas possible, Bercy récupèrerait la partie du CIR en question, pas l’ESR.

Question : On a déjà beaucoup entendu cet argument, mais il n’est pas exact. Les députés ne peuvent pas voter un amendement à la loi de finances rectificative qui aggraverait le déficit, mais ils peuvent voter une augmentation du budget de l’ESR si cette augmentation est gagée sur une réduction du CIR, qui s’inscrirait alors comme "recette". C’est légal, possible, et répond à l’objection technique mentionnée ci-dessus.

GF reconnaît implicitement que l’argument "technique" systématiquement invoqué (le CIR n’est pas une recette et ne peut donc pas gager une augmentation du budget de l’ESR) ne tient pas. Elle indique que cela a déjà été tenté mais que ce type d’amendement n’est jamais passé. Le CIR est un élément de la stratégie gouvernementale, appuyée sur le rapport Gallois, pour relancer l’emploi industriel en s’appuyant sur l’innovation. La faiblesse comparative de la recherche française tient à l’insuffisance de la recherche privée.

Commentaire : il devient clair qu’il n’y a aucun obstacle technique à obtenir un déplacement du CIR vers le budget de l’ESR. Un amendement CIR-ESR peut passer si le rapport de forces nécessaire est atteint. C’est une question politique, pas technique.

Question : Si un tel amendement est déposé, votre parole pèsera lourd. Soutiendrez-vous un tel amendement, d’un intérêt évident pour l’ESR ?

GF suivra avec intérêt le débat parlementaire s’il porte sur ces questions, mais elle restera solidaire du gouvernement dont elle fait partie.

Question : Pourquoi sanctuariser le CIR ? Plusieurs rapports montrent qu’une partie importante du CIR est détournée pour de l’optimisation fiscale sans rapport avec la recherche. On sait par ailleurs que le financement d’assurances ou de banques (recherche sur le trading à haute fréquence) ne saurait se justifier pour améliorer l’activité de la recherche industrielle.

GF renvoie à la lecture, sur le site du ministère, d’une analyse tendant à montrer l’efficacité de ce dispositif. Pour un euro de CIR touché, les entreprises investissent un peu plus d’un euro dans la recherche, l’effet dit « de levier » est de 1.2. (Il est de 1.08 selon un document de décembre 2013, sur le site du ministère[1].) GF estime aussi que de nombreux laboratoires privés seraient, sans le CIR, partis à l’étranger. Le secrétariat d’Etat considère donc que les détournements du CIR sont négligeables et qu’on ne devrait pas évaluer un dispositif d’action publique à partir des détournements qui en sont fait (contrairement, notons-nous, à ce qu’on peut entendre sur les politiques sociales par exemple). GF refuse donc, toujours par solidarité avec le gouvernement, d’envisager une réduction du CIR mais son équipe étudie les moyens de l’optimiser. Un groupe de travail a été constitué avec Bercy de façon notamment à simplifier la procédure pour mieux en faire bénéficier les PME ; à favoriser l’emploi des docteurs (+30%) par un doublement du crédit d’impôt consenti dans ce cas ; à améliorer le contrôle fiscal en évitant que cela défavorise les moyennes entreprises. Les règles constitutionnelles en matière d’égalité devant l’impôt rendent les choses difficiles. C.Strassel indique que le secrétariat d’Etat accueillerait favorablement des propositions juridiquement acceptables de conditionnalité pour rendre le CIR plus efficace.

Commentaire : il devient de plus en plus indispensable d’avoir une évaluation de la part du CIR qui part en optimisation fiscale, sans rapport à la recherche. Si cette part est importante et chiffrée, ce serait un élément déterminant pour le débat parlementaire. Nous en appelons aux fiscalistes et syndicalistes du ministère de l’Economie et des Finances !

Question : Vous dites que vous êtes préoccupée par le chômage des docteurs. Où sont les blocages pour la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives et la haute fonction publique ?

GF répond longuement sur ce point, se dit très attachée à lutter contre les inégalités en matière d’accès à l’enseignement. Elle évoque différents dispositifs (importance du premier cycle, aides aux étudiants auxquelles a consacré plusieurs centaines de millions d’euros, défense des bourses CIFRE).

Des négociations sont en cours, branche par branche, avec les syndicats et organisations patronales, notamment dans la chimie et la métallurgie, afin de faire reconnaitre le doctorat dans les grilles salariales.

Par ailleurs, le secrétariat d’Etat a entamé des négociations pour la reconnaissance du doctorat dans la fonction publique. Ces négociations doivent être menées séparément pour chaque grand corps. Les résistances sont fortes, à la fois de la part de ces corps et de leurs syndicats (préoccupés par les conséquences d’une telle ouverture sur les possibilités de carrière).

La possibilité de concours d’accès aux grands corps d’Etat (y compris l’ENA) réservés aux docteurs est sérieusement envisagée. Le conseil d’Etat, a donné un avis positif sur cette possibilité il y a deux semaines (non encore publié). Le concours d’entrée à l’ENA pourrait servir d’exemple. Cela servirait également de message vis-à-vis des entreprises.

Autres points abordés :

Comparaison internationale. L’ESR en France est dans une situation intermédiaire entre les pays du Sud (situation désastreuse), et ceux d’Europe du nord et Allemagne (investissement en hausse). Pour GF, ce n’est pas spécifique à l’ESR et nous devons faire en sorte ne pas nous retrouver dans la situation de l’Espagne ou de l’Italie. Nous pensons justement que pour préparer l’avenir, on ne peut pas se contenter d’accompagner un affaiblissement progressif de notre système d’ESR.

Financements des laboratoires. GF a eu beau jeu de dire que sur la question de l’ANR, les scientifiques sont divisés, ce que nous avons reconnu. Elle regrette que la France mette plus d’argent au pot de la recherche européenne qu’elle n’en récupère via les contrats européens (16% contre 12%). Commentaire : on ne construit pas l’Europe sur le principe "I want my money back".

Simplification du millefeuille. Visiblement, GF ne se rend pas compte du vécu des personnels de laboratoires et des universités. Pour elle, les COMUE ne constituent pas du tout une strate supplémentaire du millefeuille. Elle assume le fait de n’avoir pas voulu faire table-rase de ce qui a été fait avant son arrivée (PRES par exemple) et même que ce n’est pas de sa faute si la simplification promise n’a pas lieu : chacun s’accroche à sa strate quand il est question de la supprimer.

En conclusion, la discussion a été dense, courtoise et franche. G.Fioraso attache beaucoup d’importance à la réduction des inégalités sociales dans l’accès à l’enseignement supérieur et au problème de l’emploi des docteurs. Elle semble convaincue que le pays gagnerait à ce que le milieu des décideurs bénéficie de la formation par la recherche. Elle est prête à réfléchir à toutes sortes de mesures, dès lors qu’elles n’ont pas d’impact sur le budget. Mais sur la réduction du CIR et l’augmentation du budget de l’ESR, c’est une fin de non-recevoir, au nom de la solidarité du secrétariat d’Etat à la politique du gouvernement.

Ainsi, la citation reprise en tête du texte voté par la session plénière du Comité national reste d’actualité : « Je tiens à rassurer les chercheurs : les campagnes de recrutements vont se poursuivre, même si les recrutements seront moins nombreux que précédemment. » Finalement, les références de Geneviève Fioraso nous ont semblé très thatchériennes : "There is no alternative" en politique intérieure, et pour récupérer un peu de budget, regardons vers l’Europe : "I want my money back".

La mobilisation continue…